Le Met Gala, symbole d’une élite qui se moque du sort réservé aux autres © AFP

Le mouvement Blockout peut-il vraiment faire du tort aux influenceurs? «Il y a plein de manières de soutenir une cause»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Sur les réseaux sociaux, les appels à bloquer les personnes influentes se multiplient. Ce mouvement, appelé Blockout, vise à les sanctionner pour leur silence sur le conflit Israël-Hamas. Un chantage, mais aussi un mouvement d’influence.

Strass, paillettes et tenues tout en démesure… Début mai, les photos de l’extravagant Met Gala inondaient les réseaux sociaux. Les excès d’une élite qui font tache comparés aux récents évènements mondiaux, notamment le conflit qui oppose Israël et le Hamas.

Chantage

Sur TikTok et Instagram, le hashtag #blockout2024 cumule alors des dizaines de milliers de posts. Un mouvement de boycott parti d’une vidéo, depuis supprimée, dans laquelle la créatrice de contenus Haley Kalil se filmait avec en fond sonore un passage du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola: le célèbre «let them eat cake!» («qu’ils mangent de la brioche!»). Une phrase symbolique qui a embrasé les réseaux alors que Gaza est menacée par la famine. «Il est temps de bloquer toutes les célébrités, les influenceurs et les riches qui n’utilisent pas leurs ressources pour aider ceux qui en ont cruellement besoin», lance une autre influenceuse, appelant à une «guillotine numérique».

Des militants propalestiniens et pro-israéliens exhortent les people et autres influenceurs à prendre position. Objectif: les frapper au portefeuille. Réaliste? «Je ne pense pas, réagit Xavier Degraux, consultant en marketing digital et réseaux sociaux. Les personnes à l’origine du mouvement veulent qu’on parle du conflit d’une façon précise, ce sont des méthodes de l’ordre du chantage. Mais la population est plus intelligente que cela et sait que les influenceurs sont davantage que des gens à qui on doit dire quoi publier. Cela serait mal les connaître.»

Les petits influenceurs davantage touchés par le Blockout?

Parmi les cibles du mouvement, les chanteuses Beyoncé et Taylor Swift, ou encore Kim Kardashian. Des vidéos listant les invités du Met Gala et les autres personnalités à bloquer pullulent. Selon le site Social Blade, Kim Kardashian avait perdu plus de 800.000 abonnés sur Instagram en un mois, Selena Gomez plus d’un million et Beyoncé environ 700.000. Une broutille comparée à leur audience. Mais il n’en va pas forcément de même pour les plus petits influenceurs.

Si ces derniers ne sont pas les premiers visés par le Blockout, ils reçoivent, eux aussi, des dizaines de commentaires les poussant à prendre position. Et n’ont pas une énorme communauté qui vole à leur secours. «Le mouvement Blockout est aussi un mouvement d’influence», analyse Xavier Degraux. Pour lui, l’engagement de leur communauté est beaucoup plus puissante que les microcommunautés issues de ce type de mouvement. Son conseil: «Il vaut mieux ne pas agir contre ses convictions pour faire plaisir à une minorité parce que sinon, deux semaines plus tard, une autre microcommunauté va faire pression sur un autre sujet.»

Il ne serait d’ailleurs pas étonné de voir apparaître un contre-mouvement contre ceux qui veulent forcer la prise de parole. Les influenceurs construisent des communautés thématiques (make-up, voyage, livres…) et sont rarement légitimes sur d’autres thèmes. «Je les vois mal être crédibles avec des messages militants. Ils peuvent facilement retourner la contrainte en quelque chose de positif, en disant par exemple qu’ils respectent les avis de chacun mais qu’ils ne se sentent pas légitimes sur ce sujet.»

Cate Blanchett à Cannes, une évocation subtile du drapeau palestinien? © Getty Images

Pas une première

Ce n’est pas la première fois que l’actualité s’entremêle dans les affaires des influenceurs. L’an dernier, en France, certaines figures emblématiques comme Lena Situations avaient exprimé publiquement leur opposition à la réforme des retraites. Une prise de position alors inédite. Si les influenceurs ont sauté le pas, c’est parce que beaucoup ont estimé qu’ils avaient « plus à gagner qu’à y perdre», analysait alors Philippe Moreau-Chevrolet, consultant en communication et professeur à Sciences Po Paris. Prendre position, pour les influenceurs, c’est aussi risquer d’être vu illégitime ou opportuniste. C’est pourquoi certains se contentent de repartager un post explicatif ou un appel aux dons pour les victimes via leur story.

Même si le sujet est sensiblement différent, Xavier Degraux y voit un parallèle avec la période Covid. Durant la pandémie, les débats provaccin / anti-vaccin ont fait rage. A l’époque, l’épidémiologiste Marius Gilbert avait demandé aux influenceurs de faire passer un message à leur communauté. «On a vu vrai un vrai clivage, se rappelle le consultant en réseaux sociaux. Certains trouvaient qu’il fallait amplifier le message chez les jeunes et ont mis leurs stories à contribution. D’autres ont préféré de ne pas s’en mêler, ou étaient contre. La crainte, c’est avant tout de se mettre des gens à dos plus qu’une réflexion pour ou contre. Parce que dans l’audience aussi, le sujet était clivant.» Les influenceurs belges semblent d’ailleurs plus frileux à l’idée de se positionner politiquement. Peu en gagnent vraiment leur vie, «la Belgique est une terre de micro-influenceurs».

Blockout ou soutenir différemment

Faut-il pour autant céder au mouvement Blockout? «Il y a toujours eu des boycotts, et il y en aura toujours. Ce genre de pressions n’est pas nouveau. C’est le cas aussi pour les journalistes, les experts, les politiciens. Si on cède, le pouvoir médiatique s’affaiblit. C’est la même chose avec les réseaux sociaux, sauf que le média est différent.»

D’autant qu’il y a pléthore de moyens de soutenir une cause, parfois subtilement. Comme la robe portée par Cate Blanchett sur le tapis rouge de Cannes, que d’aucuns voient comme un rappel visuel au drapeau palestinien. Couleurs que les followers de Lena Situations pointent également dans un de ses derniers posts Instagram.

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«Un influenceur qui serait sincère ne doit pas forcément le faire comme certains veulent, mais à sa sauce. De la même manière que leurs négociations avec des annonceurs. Soit on leur dit le message, comment et quand le poster. Soit on leur donne le message global et la confiance pour le diffuser de la meilleure manière à leur communauté. C’est là qu’ils deviennent de véritables créateurs de contenus», conclut Xavier Degraux.

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