La mouvance incel gagne du terrain en Belgique. © Getty Images

La mouvance incel en pleine expansion: «Violer une femme est apparemment répugnant, mais les femmes me violent mentalement chaque jour»

La communauté incel, qui regroupe de jeunes hommes privés malgré eux de relations sexuelles et qui en imputent la faute aux femmes, a attiré à plusieurs reprises l’attention de la presse internationale l’an dernier. Elle gagne également du terrain en Belgique.

Le plus grand forum* incel au monde, né aux Etats-Unis mais utilisé à l’échelle planétaire, comptait encore pas moins de 16.000 membres en 2022. Ce nombre a depuis doublé, dépassant les 32.000. Cette même année, le site enregistrait en moyenne 28.000 visites mensuelles depuis la Belgique. «Les femmes doivent être punies pour ce qu’elles m’ont fait subir», peut-on y lire. Une immersion dans ces forums et des échanges avec des incels révèlent une inquiétante réalité.

Dès les premières lignes, le forum expose une vision d’une haine extrême, partagée par des garçons dès l’âge de 14 ans. Le ton est brutal, la colère envers les femmes transparaît dans chaque message. Un modérateur écrit: «La mort est trop douce pour les femmes. Un simple bain de sang ne suffit pas, car la mort est une délivrance de toute souffrance. Ce que les femmes méritent, c’est un supplice éternel de l’âme et un désespoir sans fin.» Un Néerlandais ajoute: «Si j’arrive un jour au pouvoir, j’enfermerai les femmes dans des camps de concentration. Elles doivent être punies pour ce qu’elles m’ont infligé.»

«Ce que les femmes méritent, c’est un supplice éternel de l’âme et un désespoir sans fin.»

Un incel belge

En 2019, les services de renseignement belges sont alertés par Europol Paris. L’alerte concerne Sami Haenen, 31 ans. Dans un groupe Facebook, cet autoproclamé incel affirme qu’une jeune Française, violée puis tuée, «l’avait bien cherché.» Aux réactions indignées, il répond par des menaces: «Je vais te renverser en voiture.» En 2022, la cour d’assises de Liège le reconnaît coupable de délit de presse et de menaces. Il écope d’un an de prison, peine purgée en détention préventive. Il devient ainsi le premier Belge condamné pour des faits motivés par une idéologie incel.

«S’opposer à l’idéologie dominante, le féminisme, entraîne automatiquement des représailles», déclare-t-il lors d’un entretien téléphonique. «Une femme peut dire ce qu’elle veut, mais lorsqu’un homme exprime la même chose, il risque une condamnation.» Une fois sa peine purgée, il dit avoir été habité par un fort sentiment d’injustice. «J’ai pensé à la vengeance. A ma libération, une rage immense bouillonnait en moi. Enfermer quelqu’un sans raison, comme cela a été le cas pour moi, ne fait qu’attiser la haine.» Il affirme aujourd’hui avoir tourné la page.

«Je dessinais des femmes mortes dans mon carnet de croquis»

Ben* (18 ans), d’origine turque, a lui aussi été happé par le mouvement incel. Pendant plusieurs mois, il a raconté son histoire dans des échanges publiés sur Reddit. Très jeune déjà, il nourrissait du ressentiment envers les femmes. «Ma mère et ma tante critiquaient souvent les hommes, ce qui m’a convaincu que toutes les femmes les détestaient. Les contenus que je voyais en ligne renforçaient cette image de femmes sociopathes. En découvrant des vidéos défendant les droits des hommes, j’ai eu le sentiment que mes impressions étaient fondées. A partir de là, j’ai rapidement sombré dans la radicalisation

«J’évitais les femmes comme la peste. Pas par sentiment de supériorité, mais parce qu’elles m’inspiraient une peur profonde, mêlée à une haine de moi-même et à une dépression lourde.»

A son point le plus sombre, Ben a commencé à fantasmer sur un attentat. «Je m’isolais et je dessinais dans mon carnet des femmes mortes, ainsi que des camarades de classe que je rêvais de tuer.» Ses croquis traduisent une colère viscérale, bien que, selon lui, rien ne laissait paraître cette violence. «J’évitais les femmes comme la peste. Pas par sentiment de supériorité, mais parce qu’elles m’inspiraient une peur profonde, mêlée à une haine de moi-même et à une dépression lourde. Il me fallait désigner un coupable.»

Foyer de radicalisation

La diffusion des idées conservatrices et des rôles de genre traditionnels rend la haine des femmes toujours plus visible. De jeunes hommes en perte de repères, influencés notamment par les réseaux sociaux, adhèrent de plus en plus à des idéologies misogynes comme celle du mouvement incel. Cette dynamique se manifeste aussi ici. La Belgique figure à la quinzième place mondiale en nombre absolu de visiteurs du principal forum incel. Une position étonnamment élevée au regard de la taille du pays.

«Une étude menée en 2022 par le Center for Countering Digital Hate révèle que le mot “viol” est mentionné toutes les 29 minutes sur ce forum.»

Pour nombre d’hommes, ces plateformes offrent un semblant de réconfort face à l’impossibilité de trouver une partenaire. Malgré une apparence souvent anodine, elles légitiment de façon répétée la haine et deviennent un terrain propice à la radicalisation des jeunes les plus fragiles. Une étude menée en 2022 par le Center for Countering Digital Hate (CCDH) révèle que le mot «viol» est mentionné toutes les 29 minutes sur ce forum. Certains adolescents s’interrogent à voix haute sur ce que serait un monde où ils pourraient violer des femmes sans être punis. A leurs yeux, la souffrance d’un homme incel dépasserait celle d’une femme violée. L’un d’eux écrit: «Violer une femme est apparemment « répugnant », mais les femmes me violent mentalement chaque jour.»

Bien que ces forums soient souvent choquants et saturés de misogynie violente, nombreux sont les incels qui s’en dissocient. Eux aussi connaissent la solitude et le rejet, sans pour autant adhérer aux discours haineux et violents qui dominent ces espaces. Comme dans toute idéologie, les cas de radicalisation restent minoritaires.

Quête difficile

Depuis quelques années, Sami Haenen diffuse du contenu en ligne sous le nom d’Incelus Premier. Dans ses vidéos TikTok, il raconte à ses 30.000 abonnés combien il est ardu de rencontrer une femme. «La plupart des hommes ne trouvent pas de partenaire, mais ce sujet reste tabou. Je veux m’adresser à ces garçons, car on parle trop peu des droits des hommes.»

Le parcours de Ben prend une tournure inattendue. Grâce à un bon professeur particulier et à un nouvel environnement scolaire, il réalise que les différences entre hommes et femmes ne sont pas si marquées. Progressivement, il se déradicalise et se revendique désormais féministe. Son témoignage illustre l’importance d’un cadre hors ligne équilibré.

D’après le centre fédéral d’expertise Ocad, la menace que représente la mouvance incel reste pour l’instant limitée dans le pays. Seuls quelques profils belges font l’objet d’un suivi dans la base de données antiterroriste T.E.R., et aucun indice ne laisse penser que le groupe soit actif physiquement. L’organisme précise toutefois que la nature numérique de cette radicalisation rend son suivi plus complexe. A ce stade, aucune raison de céder à la peur, estime l’Ocad, même si une vigilance raisonnée demeure justifiée. La sensibilisation reste une priorité.

* Le nom du forum n’est pas cité pour des raisons éthiques et journalistiques, afin d’éviter toute banalisation ou diffusion de contenus haineux.

* Un pseudonyme est utilisé pour préserver l’anonymat des sources.  

 

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