Dormir à proximité de son enfant est recommandé les premiers mois de sa vie, pour des raisons de sécurité et de praticité. Reste à savoir quand et comment franchir le cap de la séparation nocturne, et comment gérer les moments plus délicats.
Du haut de ses 10 ans, Alice est devenue grande sœur pour la première fois il y a quelques semaines. Ses parents, Angélique et Shaï, lui ont alors accordé un privilège dont elle n’avait pas bénéficié depuis plusieurs années: une chauffeuse dans leur chambre, afin de lui permettre de dormir avec eux et sa petite sœur, Margaux, si elle en ressent le besoin. «C’est un chamboulement pour elle aussi: elle veut pouvoir être avec nous, pour ne pas être seule dans sa chambre», confie son père. Les nuits à quatre dans une même pièce ne sont pas toujours de tout repos, mais les jeunes parents n’imaginaient pas une autre solution. Comme après la naissance d’Alice, ils ont décidé de pratiquer le «cododo» avec Margaux, en lui installant un lit, collé au leur, du côté de la maman. «Avec l’allaitement, le cododo est presque indispensable pour Angélique» assure Shaï, qui n’y voit «que des avantages», notamment la proximité directe de l’enfant permettant à sa compagne de pouvoir la nourrir rapidement. «C’est aussi rassurant d’avoir notre bébé juste à côté», selon le père de famille, qui concède que «c’est une période où tu ne prends pas trop le temps et l’espace pour le couple. J’imagine que certains aiment avoir leur intimité; moi, je n’ai pas eu l’impression d’être « envahi ».»
«Il faut que les règles soient claires: souvent, vers 2 ou 3 ans, les enfants cherchent tous les prétextes pour retarder l’heure d’aller au lit.»
Réduire le risque de mort subite
Dormir dans la même pièce que son enfant durant les premiers mois de sa vie est devenu une pratique très courante. Elle est recommandée par la grande majorité des professionnels de santé, tandis que l’Unicef encourage les parents à «dormir à proximité» de leur enfant durant les six premiers mois afin de réduire le risque de mort subite du nourrisson: ils peuvent ainsi être plus attentifs à d’éventuels signaux d’alerte et intervenir rapidement en cas de besoin. «Il faut bien distinguer le cododo du cobedding ou cosleeping, à savoir la pratique de dormir avec son nourrisson dans le même lit», souligne Gérard Thiriez, pédiatre spécialiste du sommeil, qui déconseille cette dernière.
«Ce qui est préconisé, c’est que l’enfant soit dans la chambre des parents, dans son propre lit: soit complètement à part, soit dans un lit fait pour se clipser sur le bord de celui des parents», ajoute le médecin, pour qui «il faut que l’enfant soit couché strictement sur le dos: ni sur le côté ni sur le ventre». Il ne doit pas non plus «y avoir d’objets dans le lit susceptibles de se retrouver sur son visage. Il faut éviter les doudous, les couvertures, même les tours de lit, car l’enfant peut glisser et se retrouver la tête coincée. On préconise aussi une température autour de 19 °C: il faut éviter de surchauffer la pièce.»
«Elle ne dormait pas»
Si ces conseils semblent simples à mettre en place, ce n’est pas toujours aussi facile dans la pratique. Et parler du sommeil de leur enfant à des parents peut raviver des souvenirs douloureux, avec des formes de cododos «imposées». «Avant la naissance de Madeleine, on ne souhaitait pas qu’elle dorme avec nous. On avait entendu dire que dormir dans la même chambre nuisait à la fois au sommeil des parents et de l’enfant, raconte Emma. Mais son sommeil a été extrêmement compliqué. Elle ne dormait pas. Les seuls moments où elle y arrivait, c’était dans nos bras, ou en tétant au sein. Pour faciliter notre sommeil à tous, on a fini par se résoudre à dormir avec elle.» Emma a ensuite dormi plusieurs semaines avec sa fille dans sa chambre, avant que l’intervention d’un ostéopathe pour soulager des maux de ventre de Madeleine se révèle salvatrice. Avec son compagnon, ils ont dû alors faire face à une autre épreuve: tenter à nouveau de faire dormir Madeleine seule dans son lit et dans sa chambre.
Pour cela, «il faut que les parents soient prêts et surtout la maman» pour éviter tout stress inutile, indique Candice Turjman, experte en sommeil pour les enfants et autrice de La Fête du sleep, dans lequel elle distille sa méthode aux parents. Pour en finir avec le cododo, «il existe plusieurs techniques, développe-t-elle. La version très douce, c’est fermer la partie cododo et commencer à éloigner le berceau du lit parental, surtout de la mère si elle allaite. Cela peut générer des réveils, et quand ça se passe bien, on placera le bébé dans sa chambre. La version plus rapide est de commencer par les siestes dans son lit: ensuite, on pourra y faire les débuts de nuit. Si tout est calé, les réveils diminueront.» Concernant l’âge auquel faire cette transition, «il n’y a pas de réponse toute faite, note Gérard Thiriez, même si elle est conseillée aux alentours de 6 mois. L’important, c’est que l’enfant apprenne qu’il est capable de dormir seul.»
«Les parents qui galèrent avec le sommeil des enfants, il y en a plus qu’on ne le pense.»
Le rituel, un allié important
Là encore, dans les faits, cette transition n’est pas toujours aussi simple, à l’image de ce qu’ont vécu Damien et Fiona: ils ont attendu les 3 ans de Théa pour retrouver le sommeil. Si la fin du cododo s’était bien passée avec Lola, sa grande sœur, cela a été plus compliqué avec leur deuxième fille. «On la mettait au lit, elle pleurait. On dormait presque par terre en lui tenant la main, pour qu’elle se rendorme», raconte Damien. Le couple a essayé de nombreuses méthodes, consulté des spécialistes, acheté des objets censés faciliter le sommeil, en vain. La seule façon de faire dormir Théa à coup sûr, était de la placer dans leur lit, ce qu’ils se refusaient à faire. «On ne dormait pas, elle bougeait et nous réveillait tous les deux, se souvient le père de famille. Et dormir avec un enfant dans notre lit conjugal, je n’étais pas pour», ajoute Fiona, qui voulait aussi éviter toute jalousie de Lola.
Si le temps fut leur meilleur allié, d’autres astuces peuvent parfois aider à faire tomber un enfant dans les bras de Morphée, notamment l’instauration d’un rituel avant le coucher. «Pour les nourrissons, il y a d’abord la partie nutrition, que je recommande en pleine lumière, pour éviter l’association repas/sommeil, expose Valérie Carlier, consultante spécialisée. Le change peut se faire avec une lumière tamisée, afin de baisser la luminosité. Puis il y a une partie affective, dans l’obscurité, avec des chansons, des bisous, des câlins. On fait en sorte que chacun remplisse son réservoir d’amour, pour ensuite coucher l’enfant qui acceptera plus facilement de rester dans son lit et de s’endormir.»
Elle recommande un rituel de 30 minutes le soir, de cinq à dix minutes en journée avant les siestes et insiste sur le fait que les étapes doivent toujours être identiques, car cela permet d’envoyer une «alerte au cerveau» du bébé, qui saura alors qu’il doit dormir. Pour les jeunes enfants, «lire une histoire» reste efficace. «Il faut que les règles soient claires: souvent, vers 2 ou 3 ans, les enfants cherchent tous les prétextes pour retarder l’heure d’aller au lit. On peut leur faire choisir les livres pour l’histoire, mettre le rituel en images, ou le doudou peut être un bon complice pour exposer ce rituel. Il faut toujours un côté câlin aussi, c’est important.» Gérard Thiriez souligne quant à lui que le rituel ne doit pas «être trop long» et «rester simple».
«Un sujet un peu tabou»
Le rituel pourra aussi permettre de faire face aux phases de régression qui peuvent perturber le sommeil de l’enfant les mois suivants. «Souvent, quand l’enfant fait un grand pas psychomoteur (faire du quatre pattes, ramper, marcher…) ou dans le langage, il y aura un effet sur le sommeil et/ou l’alimentation. Il ne faut pas avoir peur de ces régressions, qui font partie de son développement», précise Ariane Vaughan, coach en sommeil de l’enfant.
Annabelle, mère de deux filles de 4 ans et demi et 20 mois, le confirme: «Pendant ces phases, on vient les voir quand elles pleurent, on les réconforte, on leur dit qu’on est là, qu’elles sont en sécurité, après on repart. On ne veut pas instaurer la solution de facilité de dormir avec elles, même si je peux comprendre qu’on puisse en arriver là.» Gérard Thiriez ne recommande pas non plus cette solution, pour «éviter de pérenniser la situation» et donner l’habitude à l’enfant de dormir avec ses parents. «Il faut lui expliquer qu’il doit être dans sa chambre si les nuits agitées et terminées dans le lit parental sont trop récurrentes, conseille Valérie Carlier. Il doit y avoir beaucoup de communication, comprendre pourquoi il se réveille la nuit avant de chercher à mettre en place quelque chose.»
Eviter les comparaisons avec les autres bambins, en se rappelant que chacun a sa propre sensibilité et qu’il n’y a pas de méthode miracle concernant le sommeil, est important pour les parents, afin de ne pas trop culpabiliser face aux éventuelles difficultés rencontrées. «Le sommeil chez les enfants est un sujet un peu tabou, glisse Fiona. Les parents qui galèrent, je crois qu’il y en a plus qu’on ne le pense.»