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Zéro déchet : pourquoi les supermarchés sont-ils accros au plastique ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

On peste devant cette barquette de fraises en plastique, on râle devant ce concombre emballé dans un film plastique, on s’insurge devant ce petit pot de carottes râpées…encore du plastique. Pourquoi les supermarchés ne peuvent-ils plus se passer du plastique ? Il existe plusieurs explications, et les consommateurs ont peut-être leur part de responsabilité.

Chaque année 8 millions de tonnes de déchets plastiques finissent dans les océans. Si rien ne change, en 2050 il y aura plus de plastique que de poisson dans les mers. La pollution plastique est l’un des enjeux majeurs de notre siècle.

Si bien que le mouvement « zéro déchet » prend de l’ampleur auprès des citoyens qui veulent, à leur échelle, tenter d’enrayer le problème.

Pour la deuxième année consécutive, le #NoPlasticChallenge sera organisé du 22 mai au 5 juin prochain. Le challenge consiste à boycotter le plastique à usage unique pendant deux semaines. Le but de l’association : réduire cette pollution à la source et mettre la pression sur les fabricants.

Pourtant, les supermarchés, très concernés par la problématique du suremballage, ont du mal à répondre à cette nouvelle demande des consommateurs et à changer leurs pratiques. Ce n’est pas si simple, explique Didier Oraita, fondateur de la chaine d’épicerie vrac Day by day, interrogé par L’ADN.

Didier Oraita travaille depuis 30 dans la grande distribution. Il a fait une partie de sa carrière chez Carrefour et ne jette pas directement la pierre au secteur. Il remet les choses en contexte et explique comment on en est arrivé à un tel niveau de suremballage.

Selon lui, les emballages alimentaires ont fait leur apparition pour servir une juste cause : éviter le gaspillage alimentaire.

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Mais depuis 25 ans, les habitudes alimentaires des consommateurs ont changé : dans une même famille, on ne mange plus forcément tous en même temps, ni la même chose. « Dans certains cas, ça veut dire qu’on n’a plus besoin d’acheter un rôti de 3 kilos pour le déjeuner du dimanche. On peut imaginer qu’un membre de la famille sera végétarien, qu’un autre préférera plus de féculents, et que les enfants voudront se réserver pour le dessert. Les quantités nécessaires seront moindres », explique-t-il.

Autre tendance : le grignotage. Les gens ont tendance à ne plus manger trois repas par jour, mais plutôt deux et à grignoter le reste de la journée.

Ces deux évolutions en ont amené une troisième : le packaging individuel. Les gens ne vont pas acheter un plat pour quatre personnes s’ils sont seuls à table. La grande distribution a donc emballé ses produits dans des portions plus petites, voire individuelles, ce qui considérablement augmenté le volume d’emballages. Mais à l’époque, selon Didier Oraita, personne ne voyait le problème puisque cela permettait de lutter contre le gaspillage alimentaire. Le problème du déchet en plastique n’était pas encore au-devant de la scène comme il l’est aujourd’hui.

Les avantages de l’emballage en plastique

Le problème de l’emballage en plastique n’est pas seulement qu’il n’est pas biodégradable et qu’il s’accumule à une vitesse infernale dans nos décharges et au fond des océans. Le véritable problème qui fait qu’on a encore du mal à s’en passer dans la grande distribution est qu’il remplit son rôle très efficacement. C’est-à-dire qu’il permet, par exemple au rayon des fruits et légumes, de ralentir le mûrissement des produits. Ce qui permet aux magasins de réduire le gaspillage.

Par contre, les consommateurs, une fois rentrez chez eux, continuent de gaspiller et de jeter les trois tomates dont ils n’avaient pas vraiment besoin, mais qu’ils ont été obligés d’acheter dans une barquette… C’est le serpent qui se mord la queue.

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Conséquence directe de ce gaspillage, selon le chef d’entreprise, est que les consommateurs, s’ils jettent une partie de ce qu’ils achètent, vont essayer de l’acheter le moins cher possible. Ce qui oblige les supermarchés à faire baisser les coûts de production de leurs produits, avec les effets délétères en chaine que l’on connait : intensification des cultures, apports chimiques, pesticides, appauvrissement des sols, perte de biodiversité, diminution de revenus pour les producteurs, etc.

Pourquoi le système est si difficile à changer

Concernant ces problématiques environnementales, les consciences s’éveillent peu à peu. Les consommateurs demandent des changements aux industriels responsables de ces désastres écologiques. Mais le système ne peut pas être changé en un coup de cuillère à pot, affirme Didier Oraita. Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas seulement d’enlever un film plastique d’une grappe de bananes.

« Quand on se lance dans l’aventure, il ne s’agit pas que de supprimer les emballages, explique Didier Onraita. Il faut être prêt à revoir l’ensemble de son organisation logistique. Retirer le packaging sans rien changer à son système d’approvisionnement et d’écoulement, c’est aller droit dans le mur. »

Pour que les aliments ne s’abîment pas durant le transport, il faut réduire la durée de celui-ci. Cela veut dire s’approvisionner le plus localement possible. Ensuite, il faut que les responsables de rayon soient formés pour savoir quels fruits et légumes peuvent cohabiter pour éviter que ceux-ci ne mûrissent trop vite. Alors qu’actuellement tout est pensé pour donner envie d’acheter et pour un remplissage maximum des rayons. Les employés devraient aussi être capables de repérer les produits un peu trop mûrs pour les retirer et les mettre en promotion.

Pour cela, il faudrait donc investir dans la main d’oeuvre. Autant dire que c’est aller à contresens de ce qui se fait depuis 25 ans dans le secteur.

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Pourtant, des solutions existent

De plus en plus d’épiceries proposant du vrac voient le jour un peu partout dans le monde. En Belgique aussi, le secteur est en pleine expansion. Il existe aujourd’hui plus de 150 épiceries qui vendent uniquement du vrac en Wallonie et à Bruxelles, selon le recensement du site Zérocarabistouille.be.

Les points de vente dans les fermes sont aussi de plus en plus nombreux et rencontrent un beau succès. Des coopératives de distribution de produits locaux voient le jour un peu partout en Wallonie. Il en existe actuellement 19, selon le Collectif des coopératives citoyennes pour le circuit court.

Selon Didier Oraita, à la tête d’une chaine d’épicerie vrac, rappelons-le, affirme que cette tendance va s’accentuer et que la part de marché de la grande distribution qui a déjà commencé à diminuer et va passer de 75 % aujourd’hui à 50 % dans 10 ans.

« Nous passons à une société du « plus » à une société du « mieux ». L’argent qui n’ira pas chez ces hypermarchés ira ailleurs. Il sera redistribué sur des centaines d’expériences différentes : l’émanation du bio, des concepts mono-catégorie, des coopératives de magasins regroupant des spécialistes… », prédit-il.

Selon lui, trois ingrédients sont nécessaires pour vraiment faire bouger les choses : les autorités doivent informer les citoyens, il faut une incitation (qui peut passer par la fiscalité) et il faut des solutions concrètes. « Sinon on n’est dans rien de plus que de l’injonction contradictoire et paralysante. Il faut emmener la solution près des gens. Et on va y arriver », conclut-il optimiste.

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