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Pourquoi on est tous un peu des négationnistes du climat

Qu’est-ce qui empêche d’agir ? Voilà une des questions centrales autour de la crise climatique actuelle. La réponse est malheureusement plus ? qu’on ose l’admettre.

Le consensus scientifique est écrasant : le changement climatique est une réalité au quotidien et est indéniablement causé par l’homme. Pourtant, les négationnistes du climat continuent de parler de fake news, de canular ou de conspiration chinoise. Certains nient ou doutent du changement climatique lui-même, d’autres mettent en doute sa source anthropique où nient la gravité et les conséquences de la crise. Une récente enquête menée par le cabinet d’études YouGov auprès de 30 000 personnes dans 28 pays a révélé que 6 % des Américains pensent que le changement climatique n’est pas réel et que 9 % pensent que l’homme n’est pas responsable. En Arabie Saoudite, les chiffres sont respectivement de 5 et 7 pour cent, et en Australie de 5 pour cent dans les deux cas. Il est également frappant de constater que 8 % des Norvégiens et 6 % des Suédois rejettent la cause humaine du changement climatique.

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Même une partie de la communauté scientifique a des doutes. Ainsi, il y a quelques années, un groupe de 500 autoproclamés « scientifiques et professionnels éminents » a envoyé une lettre au secrétaire général des Nations unies, António Guterres, intitulée « Il n’y a pas d’urgence climatique ». Des recherches menées par « Climate Feedback », le canal d’un réseau international de scientifiques visant à distinguer les faits de la fiction dans le débat sur le climat, ont cependant rapidement révélé que la crédibilité de cette lettre ouverte était « très faible » tant le document serait biaisé, inexact et trompeur.

Le scepticisme, moteur de la science

Le négationnisme climatique n’est pas un phénomène nouveau. Dès les années 1970, l’industrie des combustibles fossiles aux États-Unis était consciente des effets dévastateurs des émissions de CO2. N’ayant aucun intérêt à l’introduction de mesure comme la limitation des émissions de CO2, ils ont, à l’instar de l’industrie du tabac, semé publiquement le doute par le biais d’annonces payées contenant des informations trompeuses, par exemple dans le New York Times. Craignant des mesures environnementales qui pourraient annoncer le début du socialisme tant redouté aux États-Unis, les organisations conservatrices et les groupes de réflexion américains ont progressivement servi de mécènes à des scientifiques ayant des opinions opposées. Ils ont cherché à décrédibiliser les chercheurs avec pour cible ultime le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’organisme chargé de conseiller les dirigeants mondiaux sur les mesures à prendre. Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC, s’est toujours opposé depuis le début à ce qu’il appelle lui-même les  » semeurs de confusion climatique « . Il n’utilise délibérément pas les termes courants de « climatosceptiques » et « négationniste climatique », car il estime qu’ils posent problème. « Le scepticisme est le moteur de la science, mais dans leur cas , c’est un trop grand honneur que d’associer cette si belle qualité essentielle à la science à des individus aussi haineux ». Quant au terme « négationnisme », van Ypersele préfère également ne pas utiliser, par respect pour la Shoah.

Trois formes de déni

Quel que soit le nom qu’on leur donne, on ne peut cataloguer ceux qui nient le réchauffement climatique en une seule et unique catégorie. Dans son livre States of Denial, le sociologue sud-africain Stanley Cohen distingue, en se basant sur son analyse de l’Holocauste, trois formes de déni. Ces différentes formes de déni peuvent s’appliquer à l’inertie individuelle et collective envers l’un des plus grands défis de notre temps qui est la crise climatique.

La première forme est le déni pur et simple, soit le rejet délibéré de quelque chose qui se produit ou qui est sur le point de se produire. Cette catégorie de climatosceptiques, qui sont une petite minorité, saisit la terrible réalité, mais ils s’en protègent en mentant. La personnalité des individus jouerait un rôle dans ce type de déni puisque ceux qui aiment le statu quo et ne répugnent pas à une certaine hiérarchie nieront plus facilement les faits. Les facteurs démographiques ont également leur importance. Les personnes plus âgées, plus religieuses et moins instruites ont aussi plus tendance à discréditer le changement climatique. Le sexe et le niveau revenu auraient par contre moins d’influence. Mais le facteur premier, celui qui pèse le plus, est les convictions politiques d’une personne. Une méta-analyse des études existantes montre que les valeurs, l’idéologie et l’orientation politique éclipsent de nombreux autres facteurs. Par exemple, une étude de l’université de technologie de Chalmers, en Suède, montre que c’est parmi les nationalistes de droite que l’on trouve le plus de climatosceptiques. À l’échelle mondiale, l’absence de croyance dans les valeurs démocratiques serait l’un des principaux dénominateurs communs.

La deuxième forme de déni est le déni interprétatif. Dans ce cas, les faits ne sont pas niés, mais interprétés de manière à ce qu’ils prennent un sens différent et moins alarmiste. Par exemple, quelqu’un peut prétendre que le changement climatique fait partie d’un cycle naturel ou que l’accumulation de gaz à effet de serre est en fait une conséquence et non la cause de la hausse des températures.

La troisième forme de déni, la plus insidieuse, est le déni des implications. Ici, les faits ne sont pas niés ou interprétés différemment comme dans les cas précédents. Ce qui est nié ou minimisé ce sont les conséquences psychologiques, politiques et morales pour les gens. Nous ne parvenons pas à transformer ces faits que l’on ne peut nier en actions efficaces. Nous choisissons d’ignorer le problème parce que c’est plus confortable. « La façon dont la militante suédoise Greta Thunberg est prise à partie illustre la troisième forme de déni », déclare Iain Walker, professeur de psychologie australien, dans The Conversation. Selon Walker, cette dernière forme de déni est celle à laquelle pratiquement personne n’échappe. Grâce à ce déni implicite, nous nous disons qu’il suffit d’utiliser une tasse à café réutilisable, de recycler le plastique et de prendre le bus de temps en temps pour lutter contre le changement climatique. Mais même cette forme de déni ne va plus être tenable sur le long terme, comme le montre l’émergence d’organisation comme Extinction Rebellion.

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Trop douloureux à supporter

D’un point de vue psychologique, le déni est un mécanisme de défense assez logique. Il s’agit d’une réaction émotionnelle qui justifie l’inertie. Le fonctionnement de notre cerveau explique également l’inaction de l’homme face au changement climatique. La crise climatique n’est pas une chose personnifiée, elle est multiple. Or pour agir, l’être humain a besoin d’un « méchant », par exemple un virus. Et, pour l’instant, il n’est pas possible de développer des vaccins contre le changement climatique comme cela a été fait avec le covid.

En outre, le cerveau a plus de mal à faire face à des changements graduels qu’à des changements brutaux. Le changement climatique s’est développé de manière si lente que notre cerveau a fini par considérer le phénomène comme normal. Cette absence de signaux d’alerte est précisément ce qui rend la menace si dangereuse. Elle permet de continuer à dormir paisiblement dans un lit en feu. Une autre explication de cet immobilisme face à la crise climatique est que les gens sont partagés entre leur inquiétude envers la planète et leur propre mode de vie. Il est inhérent à l’homme d’être incapable de renoncer à court terme à une partie de son luxe pour le bonheur des générations futures. Beaucoup refusent d’accepter que ce soit toute notre façon d’être d’aujourd’hui qui provoque ces incroyables catastrophes partout sur notre planète. Ceux qui ne peuvent pas faire face à ce constat se braquent.

De même, lorsque le changement climatique est trop proche, trop concret, il s’accompagne de réactions émotionnelles intenses qui peuvent conduire à un comportement d’évitement. Lorsque les gens ont peur, ils ne peuvent plus penser rationnellement et nient ou minimisent le problème, se fâchent contre le messager (Greta Thunberg et Anuna De Wever), tombent dans le fatalisme et le désespoir, ou pensent qu’ils peuvent faire leur part avec une tasse à café réutilisable.

Transformer le déni climatique en action ?

Il est impossible de faire en sorte que tous ceux qui nient le changement climatique à travers le monde changent d’avis. Pour certains, une transition vers un monde neutre en CO2 va tout simplement à l’encontre de leurs intérêts, quel que soit le nombre de faits scientifiques invoqués. Pourtant, le changement est possible.

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