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Pollution : en 40 ans, une première cure de désintoxication qui reste insuffisante

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Ces dernières décennies, la Belgique a enregistré de nombreux progrès sur le plan environnemental et de la pollution. Mais l’empreinte écologique globale du pays soulève bien d’autres questions.

Le contexte

1983-2023 : cette année, Le Vif (qui ne s’appellera désormais plus Le Vif/L’Express) fête ses 40 ans. Pour marquer le coup, le magazine a décidé de faire ce qu’il a toujours fait de mieux : décoder la société belge. Comment a-t-elle évolué, ces quatre dernières décennies ? Réponses dans notre numéro spécial.

L’homme doit s’explorer lui-même – ses objectifs et ses valeurs – autant que le monde qu’il cherche à changer.» C’est par ces mots que le Club de Rome concluait son commentaire du célèbre rapport The Limits to Growth, publié en 1972. Dans cet ouvrage inédit, quatre scientifiques qualifiaient l’incompatibilité de la croissance infinie dans un monde fini, tandis que Stockholm accueillait, la même année, la première Conférence des Nations unies sur l’environnement. En 1980, la Stratégie de la conservation, fruit d’une collaboration entre les Nations unies, le WWF et l’Union internationale pour la conservation de la nature, introduisait pour la première fois le terme «développement durable», en tant que «seule option rationnelle» pour l’avenir de la planète, et donc de l’humanité.

Il faudrait 4,3 Terres pour que l’ensemble de la population mondiale vive avec les mêmes standards qu’en Belgique.

Que de chemin parcouru depuis les prémices de cette prise de conscience, qui trouvait ses fondements empiriques dans le développement effréné des modes de consommation après la Seconde Guerre mondiale. Poussée comme d’autres Etats par l’Europe, la Belgique a réalisé de nombreux progrès environnementaux ces dernières décennies, du moins pour ce qui relève de l’intérieur de ses frontières.

«La qualité de l’air s’est significativement améliorée dans les trois Régions du pays, confirme notamment Philippe Maetz, collaborateur scientifique à la Cellule interrégionale de l’environnement. Du fait de l’abandon du charbon et de l’arrêt de la sidérurgie, le dioxyde de soufre (SO2), par exemple, n’est presque plus un problème en Belgique.» Les émissions de particules fines, inférieures à 2,5 et dix microns, ont diminué respectivement de 51% (par rapport à 2005) et de 56% (par rapport à 1997). Les concentrations de dioxyde d’azote (NO2), intimement liées au trafic automobile, de 58% entre 1990 et 2019. Elles restent toutefois problématiques dans les villes et aux abords des axes très fréquentés. Les pics d’ozone se font plus rares que par le passé à conditions météorologiques équivalentes. En revanche, les concentrations moyennes stagnent depuis quelques années.

La pollution liée au trafic automobile reste problématique mais le tri des déchets s'est bien amélioré.
La pollution liée au trafic automobile reste problématique mais le tri des déchets s’est bien amélioré. © belga image

En matière de pollution de l’eau, le modèle de la production agricole industrielle prôné à partir de la Seconde Guerre mondiale a généralisé l’utilisation néfaste de produits phytosanitaires. «Cela s’est traduit par des augmentations de concentrations en nitrates, en phosphates et en autres résidus dans les eaux souterraines et de surface, retrace Marnik Vanclooster, professeur à la faculté des bioingénieurs et président du Earth and Life Institute de l’UCLouvain. La convention de Rio, en 1992, a constitué un premier tournant à partir duquel d’importantes législations se sont mises en place pour inverser la tendance.» Les dispositions prises contre le nitrate, les herbicides, pesticides ou encore pour le traitement des eaux usées ont rapidement produit leurs bénéfices en surface. Pour les eaux souterraines, il peut par contre s’écouler quinze ans avant de percevoir les effets d’une quelconque amélioration ou détérioration. «Au nord du pays, elles sont relativement proches des eaux de surface, poursuit l’hydrologue. En Wallonie, par contre, les eaux souterraines valorisées sont situées à plus grande profondeur et donc davantage protégées.»

Si la caractérisation des sols s’avère très fine jusqu’au premier mètre cinquante de profondeur, les connaissances restent bien plus fragmentaires dans les sous-sols. Il demeure de ce fait de nombreuses incertitudes quant à leur capacité à filtrer des pollutions survenues en surface: «Il y a peut-être encore des bombes environnementales, c’est-à-dire des pollutions qui arriveront plus tard dans les eaux souterraines. Par exemple le phosphore, introduit pendant une très longue période.» En outre, la précision des technologies permettant de caractériser certaines pollutions est aujourd’hui mille à dix mille fois supérieure à celle d’il y a quarante ans. Les scientifiques constatent de ce fait la présence d’autres substances préjudiciables pour l’environnement, mais auparavant indétectables: perturbateurs endocriniens, produits pharmaceutiques, drogues, caféine, etc.

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D’autres indicateurs de développement durable, tels que définis par les Nations unies, ont évolué favorablement. La Belgique figure aujourd’hui parmi les champions européens du taux de recyclage global des déchets municipaux (54% en 2020, soit une progression de 184% par rapport à 1995) et trône au sommet du classement de l’UE des 27 pour ce qui concerne les déchets d’emballage (79,7%), d’après les données d’Eurostat. Le bilan est plus mitigé en ce qui concerne le volume des déchets municipaux collectés par habitant: 416 kilos en 2020, soit une diminution de seulement 9% depuis 1995.

Les dernières décennies ont également vu naître une prise de conscience liée à la gestion parcimonieuse des sols, ce qui constitue par ailleurs l’une des clés de la sécurité alimentaire de demain. Dans les dispositions régionales ou communales, les nouveaux lotissements ou complexes commerciaux en rase campagne n’ont plus le vent en poupe. L’emprise au sol des logements neufs tend à diminuer, tandis que se propagent de nouveaux modes d’habitat collectif.

Mais comme dans tant d’autres pays, la marge de progression de la Belgique en matière de pollution reste immense. Comme le souligne Philippe Maetz, la mobilité électrique ne réglera en rien les émissions de particules fines dues à la seule utilisation (freinage, abrasion des pneus…) de véhicules toujours plus nombreux sur les routes. Le suremballage de produits achetés en magasin ou en ligne reste flagrant, tout comme les cigarettes ou chewing-gums jetés sur les trottoirs. La durée de vie d’une feuille d’aluminium est inversement proportionnelle à la débauche d’énergie que nécessite sa production. L’utilisateur d’un smartphone dernier cri se soucie bien peu de sa provenance ou de sa destination en fin de vie.

Les avancées observées à l’échelle belge ne doivent donc en rien occulter le bilan global, bien plus préoccupant, d’un mode de consommation pour lequel la pollution et les dommages causés à la planète surviennent majoritairement ailleurs. D’après les données du Global Footprint Network, il faudrait ainsi 4,3 Terres pour que l’ensemble de la population mondiale vive avec les mêmes standards qu’un citoyen belge moyen. L’action face au défi environnemental suppose résolument de dépasser les frontières.

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