Une forte pluie en fin de semaine: ce que ça dit du changement climatique (analyse)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

De mercredi à vendredi, la quasi-totalité de la Wallonie sera en alerte jaune, alors que d’importantes pluies sont attendues sur le sud du pays. Le numéro d’alerte 1722 a été activé. Beaucoup de pluie en hiver ? L’évolution de la météo belge en dit long sur le changement climatique.

Le numéro 1722 dédié aux interventions non-urgentes des pompiers a été activé en prévision des importantes chutes de pluie annoncées pour les prochains jours, indique mardi le SPF Intérieur. L’Institut royal météorologique (IRM) a placé toutes les provinces wallonnes, à l’exception du Brabant wallon, en alerte jaune pluie pour deux jours, à partir de mercredi 01h00 jusque vendredi matin 01h00.

« Entre la nuit de mardi à mercredi et jeudi soir, nous attendons des cumuls de pluie atteignant 30 à localement 60 mm en Wallonie. Notons que sur l’ensemble de cette période, il pourra parfois tomber 25 à 40 mm en à peine 24h », explique l’IRM.

En partenariat avec l’Institut royal météorologique (IRM), Le Vif présente les tendances qui se logent derrière 190 années d’observations depuis la station d’Uccle. Compte tenu des aléas inhérents à la météo, seules les comparaisons étalées sur de longues périodes peuvent livrer des enseignements pertinents quant à la normalité du temps qu’il fait. Et esquisser les tendances sur le changement climatique.

1. Moins de pluie au printemps, plus en hiver

Depuis 1833, l’IRM mesure les anomalies de cumuls annuels de précipitations à Uccle par rapport à une période de référence de trente ans, établie de 1961 à 1990. S’il pleuvait comparativement moins au XIXe siècle et au début du XXe siècle qu’à cette période, la légère tendance à l’augmentation observée depuis 1981 n’est plus significative. Doit-on pour autant en déduire que les quantités annuelles de précipitations se stabilisent, et qu’il en sera de même à l’avenir? «Vu que ces quantités varient fortement d’une année à l’autre, il faut encore attendre afin de pouvoir dégager des tendances sur le long terme, décode Nicolas Ghilain, chercheur en modélisation climatique à l’IRM et l’ULiège. Actuellement, le signal n’est pas clair. Même dans le pire scénario (NDLR: le «RCP 8.5» du Giec, qui suppose une augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre tout au long du XXIe siècle), on n’obtient qu’une augmentation de l’ordre de 5% des précipitations annuelles vers 2085» – par rapport à la période 1975-2005.

Des pluies extrêmes provoquent un risque accru d'inondations, fatales aux festivals en plein air (ici, Glastonbury).
Des pluies extrêmes provoquent un risque accru d’inondations, fatales aux festivals en plein air (ici, Glastonbury). © GETTY IMAGES

En revanche, les données de l’IRM révèlent déjà des changements dans la contribution de certaines saisons à la quantité annuelle de pluie. Deux constats marquants et déjà observables: il pleut davantage en hiver – que ce soit sous forme de gouttes ou de flocons – qu’avant (+ 30% depuis les premières observations) et de moins en moins au printemps (environ 9 millimètres de moins tous les dix ans) depuis 1981. «Dans les prochaines années et si l’on se réfère au RCP 8.5, la quantité de précipitations hivernales pourrait augmenter de 20 à 25% par rapport à la période 1976-2005, ce qui n’est pas anodin», poursuit Nicolas Ghilain. Pour le printemps et l’été, le signal est moins homogène, puisque la tendance à la baisse dépend du scénario pris en compte. Quant à l’automne, les modèles suggèrent une stabilité des quantités de pluies dans les prochaines décennies.

Le déficit hydrique au printemps, de plus en plus fréquent, affecte certaines années la croissance des arbres.

Ces glissements entre saisons ne sont pas sans conséquences sur nos écosystèmes, comme le résume Caroline Vincke, professeure à l’UCLouvain, spécialisée en écologie forestière : «A la station de Vielsalm, sur une période de 25 ans, nos études démontrent que depuis 2010, le déficit hydrique au printemps est de plus en plus fréquent. Qu’il affecte, certaines années, la croissance des arbres. On observe aussi ce que l’on appelle des arrière-effets, à savoir le fait qu’une sécheresse ayant lieu en 2018 aura des impacts en 2019, en 2020. Les arbres étant des êtres pérennes, ils ont une sorte de mémoire des stress. Et pourtant, ce n’est pas à Vielsalm, c’est-à-dire en Ardenne, que la situation est censée être la plus préoccupante.»

A l’heure actuelle, les données de l’IRM ne permettent pas de savoir avec une précision suffisante s’il pleuvra davantage ou moins dans certaines sous-régions du pays à l’avenir, hormis pour des variables plus précises comme les jours de neige. «On a commencé à homogénéiser les séries pour obtenir une vue spatiale, mais ce travail n’est pas encore terminé», précise le chercheur de l’IRM.

2. Davantage de pluies extrêmes

Les précipitations très abondantes sont-elles plus fréquentes qu’avant? Oui, confirment les données de l’IRM à Uccle, qui identifie les journées de l’été durant lesquelles le cumul atteint au moins 20 millimètres. Il apparaît ainsi que la contribution des jours de fortes précipitations à la quantité annuelle totale de pluie y augmente d’environ 2% par décennie depuis 1981. Mais aussi que ces épisodes sont encore plus extrêmes qu’auparavant: au fil des ans, la quantité maximale de pluie qui s’abat en l’espace d’une heure à Uccle tend à augmenter (+ 2,85 millimètres par décennie depuis 1981).

Selon la région, une telle évolution du changement climatique peut se traduire par un risque accru d’inondations ou de coulées de boue, singulièrement quand le sol est sec ou imperméable à la pluie. Récemment, des chercheurs de l’ULiège et de l’IRM ont tenté d’estimer la probabilité que des inondations semblables à celles de juillet 2021 surviennent à nouveau dans les cinq prochaines décennies dans la vallée de la Vesdre. En suivant le Modèle atmosphérique régional (MAR) du climat, ils en concluent que la fréquence de tels événements est susceptible d’augmenter si les conditions climatiques sont suffisamment humides. Toutefois, «pour des niveaux de réchauffement global supérieurs à 3 à 4 °C, les conditions semblent trop sèches pour que de tels événements se produisent», précisent encore les chercheurs.

En juillet 2021, la vallée de la Vesdre a subi deux mois de pluie en 48 heures. Les dégâts furent considérables.
En juillet 2021, la vallée de la Vesdre a subi deux mois de pluie en 48 heures. Les dégâts furent considérables. © REUTERS

D’après l’IRM, il est cependant prématuré d’en déduire que la tendance à la hausse des précipitations très abondantes va inévitablement se poursuivre dans un contexte de changement climatique. «Quand on parle d’événements extrêmes, il n’est pas assez significatif de nous baser sur un seul modèle pour dégager des tendances futures», clarifie Nicolas Ghilain.

3. Moins de neige

C’est l’une des intuitions les plus fréquentes vis-à-vis du changement climatique : il neigerait de moins en moins au fil des ans. Dans son rapport climatique 2020, l’IRM souligne la grande variabilité du nombre de jours de neige d’une année à l’autre, rappelant que 2010 fut l’année record depuis le début des relevés. Mais la tendance sur le long cours ne laisse aucune place au doute. «Dans toutes les stations, on observe une diminution du nombre de jours de neige, confirme Nicolas Ghilain. Tous les modèles s’accordent sur le fait qu’ils diminueront encore progressivement dans les prochaines décennies. Non seulement en raison du réchauffement climatique, mais aussi parce la pluie devrait entrecouper plus souvent les périodes de neige, faisant fondre cette dernière.»

On s’attend à une augmentation de la fréquence des sécheresses au cours de ce siècle.

4. Davantage de sécheresses

La mesure de ce que l’on qualifie de sécheresse dépend de sa définition précise et du secteur qu’elle affecte. «Dans tous les cas, le déficit de précipitations, considéré sur une période plus ou moins longue, joue le rôle crucial, mais d’autres paramètres, comme le vent, la température, le contenu en eau du sol, peuvent aussi intervenir pour caractériser la sévérité d’une sécheresse et expliquer l’ampleur de ses impacts», souligne le rapport climatique 2020 de l’IRM. Celui-ci se concentre dès lors sur la sécheresse météorologique, qui qualifie l’intensité d’un déficit de précipitations en fonction du nombre de jours consécutifs pendant lesquels il ne pleut pas ou insuffisamment (moins d’1 millimètre par jour). Sur cette base, il apparaît que c’est au printemps que ce phénomène s’accentue de façon significative en Belgique (+ 1,48 jour sec par décennie depuis 1981).

Et à l’avenir? Il faudra cependant attendre encore quelques années ou décennies avant de voir émerger une tendance globale, nuance l’IRM. « On s’attend à une augmentation de la fréquence des sécheresses au cours de ce siècle», résume Nicolas Ghilain. C’est d’ailleurs ce que confirment des projections cartographiques à l’échelle européenne: plus le réchauffement climatique futur s’avère intense, plus le nombre potentiel de mois de sécheresse météorologique, sur une période de trente ans, devrait augmenter. Singulièrement autour du bassin méditerranéen, mais aussi en Belgique.

Même en tenant compte des multiples précautions d’usage du monde scientifique, ces indicateurs prouvent donc que le changement climatique est déjà très clairement perceptible, au-delà des seuls niveaux de température. Qu’il menace ou tue à petit feu de précieux écosystèmes. Et que, sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, il s’accentuera encore davantage au cours du siècle. Plus que jamais, la météo d’aujourd’hui s’apparente aussi à un thermomètre des futurs possibles. Certains étant plus viables que d’autres.

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