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Le Belge anxieux face au changement climatique? « Cela peut déclencher beaucoup d’émotions différentes »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Ecoanxiété, solastalgie: plusieurs termes peuvent définir une peur liée au changement climatique. Pourtant, peu d’études scientifiques ont été réalisées sur le sujet en Belgique. C’est ce à quoi s’attelle Alexandre Heeren, professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain et chercheur qualifié FNRS.

Le dernier rapport du GIEC est sans équivoque. Un réchauffement climatique durable supérieur au seuil de +1,5°C aurait des « impacts irréversibles pour les systèmes humains et écologiques ». Et les conclusions du groupe d’experts sont peu réjouissantes: « Le pire est à venir, avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre. »

Une étude menée par l’UCLouvain s’intéresse justement aux émotions provoquées par le changement climatique. « Le rapport du GIEC est un exemple. Ce sont des signes annonciateurs. Ils prouvent qu’ils est temps qu’on se questionne sur le sujet en psychologie. Il y a des raisons de s’inquiéter. », contextualise Alexandre Heeren, professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCLouvain et spécialiste de l’anxiété. « On a vu apparaître, dans les régions les plus exposées aux effets directs du changement climatique, comme en Australie ou en Californie, un intérêt pour ce qu’on appelle la psychologie ‘clinique’ du climat, ou l’anxiété climatique. »

Ce n’est pas vraiement le cas en Europe. « Quelques enquêtes de l’ordre de sondage ont été réalisées, mais c’est encore peu présent. En Belgique, personne n’a mené de vraie enquête sur le sujet. Or, le rapport du Giec nous le rappelle, c’est une grande priorité. Il y a de plus en plus de personnes, surtout chez les jeunes, qui disent être très inquiets pour le futur », explique Alexandre Heeren, pour qui le confinement a permis de se pencher en profondeur sur la question. « Le but de l’enquête est de sonder une première fois le niveau d’anxiété et d’inquiétude par rapport au changement climatique. L’enquête durera trois à quatre ans. C’est donc une première photographie avec une première question: où en sont les Belges par rapport au changement climatique? Et puis, on ira beaucoup plus loin dans l’analyse, pour donner une valeur scientifique aux opinions. Retrouve-t-on effectivement une anxiété dans la population? Des personnes ont-elles des crises de panique? Est-ce dangereux ou non? Que fait-on maintenant? », explique le chercheur, qui souligne que l’anxiété est a toujours été perçue trop négativement.

« Historiquement, on a toujours eu du mal avec l’anxiété. Mais toutes les émotions sont utiles. La peur sert à nous adapter à notre environnement. Grâce à l’anxiété, l’être humain va planifier. On a tendance à oublier ce côté positif », dit-il.

« Si un étudiant n’a pas un minimum d’anxiété avant ses examens, il ne va pas se bouger. Donc, l’anxiété, quand elle fonctionne normalement, nous prépare et mobilise notre énergie, dans des situations où on retrouve de l’incertitude. »

L’évolution du climat est typiquement un phénomène où on va retrouver un gros facteur d’incertitude. « Est-ce que cette anxiété climatique va être utile et pourra nous mobiliser ? Ou est-ce trop tard, au point d’être paralysé et désespéré ? », se demande Alexandre Heeren, qui différencie l’anxiété « classique » avec l’anxiété climatique. « Cette dernière est moins spécifique, ce qui la rend compliquée à étudier pour un psychologue scientifique. Quelqu’un qui va ressentir de l’anxiété avant un examen, c’est très facile à étudier, car c’est défini et circonscrit. Pour le changement climatique, on est dans quelque chose de très flou. Mais au plus un élément est incertain, au plus l’anxiété va être au rendez-vous. »

Comment cette peur pourrait-elle dès lors se manifester? « Certains sont tétanisés au point de ne plus sortir de chez eux. Mais dans les opinions, on peut voir tout et son contraire. Les réponses sont très hétérogènes. Certains sont dans des cas extrêmes, alors que d’autres sont inquiets de façon modérée. Combien de personnes sont impactées de manière sévère, avec un effet dévastateur? Combien le sont de manière utile? Cette première ligne d’étude vise à cartographier la situation. Et l’étude évoque beaucoup de situations possibles. On peut avoir des émotions très variées par rapport à l’environnement. »

Comme, par exemple, la solastalgie, qui désigne les personnes qui sont tristes par rapport au changement climatique. « Ce n’est pas de l’inquiétude, mais ce n’est pas pour autant incompatible avec le fait d’être anxieux pour le futur. Il y a donc beaucoup de possibilités », précise le psychologue.

Certaines personnes dans la population souffrent aussi d’un ‘trouble anxieux généralisé’. « Ça regroupe des personnes qui s’inquiètent pour beaucoup de choses différentes, même pour des événements qui ont très peu de probabilités d’arriver, sans stimulus déclencheur. C’est un trouble bien présent dans la population. Ces personnes sont une preuve qu’il y a des mécanismes anxieux qui sont là, sans qu’il y ait de stimulation directe, circonscrite dans le temps. L’anxiété climatique pourrait très bien se situer dans cette lignée. Il n’est pas nécessaire d’avoir un cadre très défini pour déclencher une réponse d’anxiété », conclut-il.

L’enquête est en cours, jusqu’au début du mois d’août.

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