Les auditions au parlement de Wallonie ont été marquées par l’intervention atypique d’Alfred Bernard, en rupture avec les autres experts. Le toxicologue, lui, ne cache pas son action politique.
Depuis le printemps dernier, le parlement de Wallonie s’interroge sur les effets des pesticides sur la santé. Pour y voir plus clair, il a réuni les commissions Santé et Agriculture et auditionné des experts du monde médical, scientifique et associatif. Rien d’anormal. Le 23 septembre, c’était (notamment) Alfred Bernard, professeur émérite de l’UCLouvain en toxicologie et directeur de recherche au FNRS, qui était appelé au pupitre. Mèche aérienne, moustache taillée, Alfred Bernard cultive un style bien à lui, émaillé de piques contre ses collègues, qu’il qualifie de «médecins de village», de «scientifiques autoproclamés»ou d’«ONG en quête de visibilité grâce au marketing de la peur». Il s’en prend pourtant à la Société scientifique de médecine générale (SSMG), à Nature & Progrès ou encore au docteur en sciences agronomiques Bruno Schiffers.
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Outre son style, Alfred Bernard a une analyse bien différente de celle livrée jusque-là au sein de la commission. Alors que les premiers spécialistes, et plus précisément les médecins, faisaient état de conséquences graves (perturbations endocriniennes, cancers, diabète, malformations et développement cérébral notamment), Alfred Bernard maintient que les consommateurs ne sont pas mis en danger par les pesticides. Etonnant, mais pas anormal: le toxicologue était invité à livrer son avis, aussi polémique soit-il.
«Pour quelques centaines d’euros»
Mais Alfred Bernard est bavard. Durant son audition, il a multiplié commentaires et anecdotes, dont celle-ci: «J’ai été sollicité par un des plus gros producteurs de fruits de la Région wallonne –vous mangez certainement ses fruits si vous allez au Colruyt– qui était en procédure à la cour d’appel de Liège où il était attaqué par des riverains pour des nuisances […] sanitaires. Pour quelques centaines d’euros, j’ai accepté d’aider ce gros producteur.»
Bref, un toxicologue rémunéré par un producteur de fruits qui voulait continuer à utiliser des pesticides malgré les plaintes des riverains. C’est (notamment) ce profil qui est venu au parlement pour parler des conséquences des pesticides sur la santé. «Je comprends l’étonnement, mais ce n’était absolument pas connu quand l’invitation au parlement a été faite, justifie la députée Véronique Durenne (MR). Aucun député n’a relevé cet élément après l’audition, d’ailleurs.»
Le gros producteur qu’a aidé Alfred Bernard, c’est Waremme Fruit, spécialisé dans les pommes, les poires et les cerises, et dirigé par Steve Neven. «On parle d’une rémunération dérisoire de quelques centaines d’euros, argumente le toxicologue. J’ai accepté cette expertise parce que personne d’autre ne voulait s’en charger. Et mon discours n’a pas changé: je défends les mêmes idées depuis dix ans.» Et le spécialiste affirme n’avoir jamais reçu un franc d’une entreprise phytosanitaire, même pour ses recherches.
Un argument pour justifier les économies?
En revanche, Alfred Bernard ne nie pas la portée politique de ce travail pour Waremme Fruit. «Si l’entreprise pour laquelle j’ai rédigé ce rapport avait été condamnée, une jurisprudence aurait pu être créée et tous les champs wallons proches d’habitations auraient dû être reculés de 50 mètres.»
Pour les auditions au parlement, chaque parti soumet une liste d’experts qui est approuvée par les autres formations. Alfred Bernard figurait parmi les invités du MR, mais Véronique Durenne assure que l’invitation n’émane pas d’elle, mais de sa hiérarchie. «Il n’a pourtant aucune compétence en agriculture et n’était là que pour allumer un contre-feu politique, accuse un autre expert auditionné, qui prévoit de demander un droit de réponse au parlement après les attaques d’Alfred Bernard contre son association. Alfred est toxicologue, et là où il dérape totalement, c’est qu’il n’y connaît rien en agriculture.»
Du côté des députés, du PS aux Engagés, on s’est étonné de l’audition d’Alfred Bernard. D’autant plus que le professeur émérite de l’UCLouvain était auditionné en commission Santé uniquement, alors que les autres experts l’ont été en commission jointe (Santé–Agriculture). Le toxicologue a donc pu «dérouler sans contradictoire scientifique pour décrédibiliser ses collègues», juge Céline Tellier (Ecolo). Dans l’opposition, on craint que cette audition ne décourage le gouvernement wallon d’élargir les zones sans pesticides. Valérie Dejardin (PS) rappelle que la Région doit indemniser les agriculteurs qui ne peuvent pas pulvériser dans ces zones pour protéger la santé. L’audition d’Alfred Bernard, suspecte-t-elle, pourrait donc aider à ne pas ouvrir une nouvelle ligne budgétaire. Et là encore, rien ne serait anormal.