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Entre 1983 et aujourd’hui, comment a évolué l’alimentation des Belges ?

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Le goût et les habitudes alimentaires des Belges ont bien changé. Aujourd’hui, les influences internationales et la santé sont au menu. Autre évolution majeure : l’arrivée du micro-ondes, qui a réduit le temps passé en cuisine.  

Que trouvait-on, voici quarante ans, au menu des Belges? Pour se souvenir, un détour par les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) n’est pas vain. Ce conservatoire de l’image, pourtant très franco-français, offre la matière pour mieux appréhender ce qui se jouait dans le «manger national» à l’aube des années 1980 – époque où les dépenses consacrées à l’alimentation représentent 17,6% du budget des ménages. Cette décennie de transition fut celle d’une innocence et d’une inconscience en sursis dont La Cuisine des mousquetaires, l’emblématique émission de la truculente Maïté (de retour sur France 3 depuis le début de l’année avec un nouveau duo), témoignait intensément. La cuisinière du Sud-Ouest y déployait un arsenal de recettes qui paraissent aujourd’hui surréalistes: ragondin grillé, foies de volaille arrosés à l’armagnac, chou farci avec… 1,5 kg de viande! Sans parler des gestes montrés à l’écran, impensables en 2023, entre anguille assommée au gourdin et ortolan «sucé par le derrière», pour citer une réplique restée célèbre.

Le souci de la planète

Si les préparations régionalistes abordées ne laissent rien deviner du contenu des repas familiaux de chez nous, leur esprit chante une ultime tentative de se raccrocher à la ruralité et au fantasme de nature qui l’accompagne. Elles contiennent également, malgré elles, cet adieu au désir, déjà anachronique, d’un rapport irréfléchi et sans mesure à la viande, au gras, au sel et au sucre. Les années 1980, qui devront s’attaquer à la question de l’obésité, amorcent une rupture. Soit du concentré de malheur en tube pour les nostalgiques des Trente Glorieuses qui regrettent le «temps béni» où il ne fallait pas se soucier des conséquences de son alimentation quotidienne sur les individus et la planète – un déni devenu impossible à l’heure où les conséquences sanitaires et le poids économique mondial de l’alimentation (environ 8 000 milliards de dollars) sont clamés à longueur de podcasts.

Le début des eighties annonce la lame de fond agro-industrielle qui fera que, quarante ans plus tard (on notera qu’avant la crise sanitaire, manger monopolisait 12,6% du budget des familles belges), les plages temporelles consacrées à la préparation et à l’absorption de nourriture n’en finiront pas de fondre, que les repas à table en famille se feront plus rares et que les échelles de Nutri-Score guideront les consommateurs dans leurs achats.

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L’arrivée du micro-ondes

On rappellera ici que les années 1980, comme le suggère l’historien et professeur émérite de la VUB Peter Scholliers, ont vu s’installer une nouvelle technologie au cœur des cuisines équipées: le micro-ondes. Ce four, voué aux gémonies par les défenseurs du «bien manger», sacre l’avènement des plats préparés et de l’individualisation des portions. Est-ce à dire qu’il faut se désespérer de la voie alimentaire empruntée? Non. Il serait d’ailleurs caricatural de parler d’un irrésistible avènement de la malbouffe pour décrire le chemin parcouru.

Il serait caricatural de parler d’un avènement de la malbouffe pour décrire le chemin parcouru.

Pour le comprendre, il convient d’évoquer, par exemple, le statut du pain. «Dans les années 1980, le pain industriel dominait l’offre, un pain blanc ultratransformé, de type platine. On ne trouvait pas, à moins de l’importer d’Angleterre à un prix prohibitif, de machine à faire le pain. Contre toute attente, elle s’est répandue et même démocratisée. Le confinement a rendu très visible le fait que le pain au levain avec des temps de pousse longs a effectué son grand retour. Tout le monde s’y est mis et les boulangeries artisanales ont ouvert les unes après les autres. Cela va à l’encontre des stratégies commerciales marquées par le profit», remarque Peter Scholliers.

Et la viande? Le steak, dont le caractère saignant évoque de manière trop éloquente l’animal dont il provient, est en net recul. Désormais, ce sont des formes plus transformées qui séduisent les consommateurs, comme le haché, par exemple. Un autre phénomène scande cette période de quarante ans, celui d’une perte du caractère identitaire de notre alimentation. Cette tendance s’amorce au début des années 1980. Progressivement, la cuisine belgo-française, jusque-là ADN de nos repas, s’ouvre au monde. Au départ, ce sont des tentatives timides, comme l’arrivée de la coriandre dans les rayons des supermarchés ou la présence d’un coin dédié aux produits italiens. En 2023, les produits indiens, mexicains, étasuniens ou même roumains et polonais ont conquis leurs linéaires de plein droit, reflétant l’appétit des consommateurs pour le dépaysement gustatif.

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