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«Ecran à part» ou soirées télé en famille? Comment le streaming a changé les habitudes des Belges

En Belgique, la télévision linéaire reste prédominante, mais perd peu à peu de la vitesse. Les plus jeunes générations basculent doucement vers un mode de consommation plus individualisé via les plateformes de streaming et les vidéos à la demande. Les soirées télé en famille ont cependant toujours de beaux jours devant elles.

«Video Killed the Radio Star», chantait le groupe britannique The Buggles en 1979. Qui avait finalement tout faux: si la télévision a pris sa place dans une très large majorité de foyers, la radio n’a pas disparu, affichant en Belgique une audience quotidienne de 548.794 auditeurs, pour une durée d’écoute moyenne de 170 minutes.

Plus tard, les pronostics ont voulu qu’Internet mette un terme au règne de la télévision. Ce n’est toujours pas le cas… du moins, pas encore tout à fait. Selon la dernière enquête de santé de Sciensano (2023-2024), les Belges de plus de 15 ans consacrent 339 minutes (plus de cinq heures) par jour aux écrans, essentiellement via la télévision et les vidéos à la demande (70%). Les jeunes de 15 à 24 ans sont ceux qui en consomment le plus: 462 minutes (près de huit heures) quotidiennes en moyenne, contre 298 minutes (près de cinq heures) pour plus de 75 ans.

«35 ans est l’âge de bascule. Les personnes plus âgées regardent davantage la télévision que les plateformes, tandis que c’est l’inverse pour les plus jeunes.»

Streaming killed the TV star?

A ces chiffres, deux explications, selon Louis Wiart, professeur d’économie des industries culturelles et médiatiques à l’Université libre de Bruxelles. La première: une amélioration considérable des capacités de connexion qui permet aujourd’hui de regarder des vidéos de meilleure qualité. De cette première raison découle une seconde: la multiplication des offres de streaming et de vidéos à la demande (VOD), qui côtoient désormais l’offre linéaire des chaînes de télévision.

«Avec 75% des Belges qui la consomment, la télévision en direct reste prédominante, selon les chiffres du Centre d’information sur les médias (NDLR: le CIM, qui mesure les audiences), précise le Pr Wiart. Ce taux est toutefois en recul. D’autres enquêtes réalisées par les chaînes elles-mêmes montrent aussi cette tendance à la baisse. La part d’audience en direct de RTL-TVI est passée de 155 minutes en 2018 à 135 minutes en 2023, par exemple.»

Le spécialiste des médias évoque un fossé générationnel, avec des jeunes de 12 à 24 ans qui ont basculé majoritairement, sinon exclusivement, de la télévision linéaire aux plateformes en ligne. C’est le cas chez Christophe. Tandis que lui et sa compagne continuent de regarder la télévision traditionnelle en complément de séries et de films sur les plateformes de vidéo à la demande, leurs deux enfants, eux, ne consomment que du streaming. «35 ans est l’âge de bascule, commente Louis Wiart. Les personnes plus âgées regardent davantage la TV que les plateformes, tandis que c’est l’inverse pour les plus jeunes.»

«Dans les foyers, la deuxième motivation au fait de regarder des contenus sur une plateforme, c’est d’ailleurs de passer un moment en famille ou entre amis.»

Le rendez-vous familial

D’après lui, il est très peu probable que les plus jeunes générations se mettent à regarder les chaînes télévisées en direct plus tard, la tendance étant plutôt à une consommation de contenus de plus en plus individualisée. Mais pas complètement. «Certes, le rendez-vous régulier en famille ou en couple devant un programme télévisé s’est un peu perdu, mais il n’est pas près de disparaître, commente l’historienne du cinéma à l’Université de Namur et spécialiste des médias, Marion Hallet. La télévision possède toujours son pouvoir rassembleur, surtout autour de grands événements tels qu’un match de foot national, les Jeux olympiques ou les grandes finales de shows télévisés comme la Star Academy.» Cette pratique n’est pas propre à la télévision linéaire. Certains programmes forts proposés sur des plateformes de streaming tels que Game of Thrones (puis House of the Dragon) ont également cette force rassembleuse, précise-t-elle.

C’est le cas chez Christophe. «Occasionnellement, on se retrouve devant la télé pour regarder un long-métrage avec les enfants, explique le père de famille. On regarde aussi des programmes rien qu’à deux avec ma compagne.» Foyer différent, mais habitudes identiques: si Sarah et son compagnon font parfois «écran à part», ils se retrouvent très régulièrement devant la TV pour regarder une émission en direct sur les plateformes à la demande (TF1+, Auvio…), des vidéos YouTube, ou des séries et des films en streaming. «La vidéo à la demande n’est pas forcément antinomique de l’usage familial, commente Louis Wiart. Dans les foyers, la deuxième motivation au fait de regarder des contenus sur une plateforme, c’est d’ailleurs de passer un moment en famille ou entre amis.»

«Le streaming est plus rassembleur qu’on ne le pense.»

«Finalement, il y a un effet de renversement que je trouve un peu paradoxal, expose le professeur de l’ULB. On en vient à regretter le temps de la consommation familiale de la télévision. Alors qu’il y a encore 20 ans, les familles qui regardaient la TV ensemble étaient stigmatisées, pointées du doigt, parce qu’elle empêchait soi-disant de communiquer, de partager.» Cette pensée est erronée, insiste Marion Hallet. «Les gens échangent sur ce qu’ils ont vu à la télévision ou en streaming. D’autres vont plus loin et dissèquent leurs séries préférées avec d’autres fans. Finalement, le streaming est plus rassembleur qu’on ne le pense», conclut l’historienne du cinéma.

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