The E-sport arena, 3d scene rendering

Comment les marques font vivre l’eSport en Belgique ?

Stagiaire Le Vif

L’eSport, la pratique sportive du jeu vidéo, est une industrie qui se développe à grande vitesse dans le monde. En Belgique, le manque de structure et l’absence de cadre juridique retardent sa progression. Cela n’empêche pas les marques d’investir dans ce secteur pour gagner en visibilité, quitte à prendre un rôle qui dépasse le simple financement.  

Des millions de spectateurs, des joueurs millionnaires, des compétitions nerveuses dans des stades pleins, la compétition sportive autour du jeu vidéo est devenue une industrie renommée et lucrative. En 2022, elle aurait généré 1,3 milliard de dollar de revenus au niveau mondial (selon Statista). Un chiffre qui pourrait aller jusqu’à 1,8 milliard en 2025. Pas de doute, le secteur connait une forte croissance. L’eSport belge, s’il accuse toujours un train de retard par rapport à ses voisins, ne fait pas exception à la règle. Ses tournois made in Belgium sont là pour en témoigner : Elite Séries, ESL Benelux Championship, RTBF iXPé Online Sessions, parmi des dizaines d’autres, plus ou moins grands, qui remplissent un calendrier bien chargé.

Cet accroissement de popularité fait forcément de l’œil au monde du marketing. Aujourd’hui, les marques sont devenues omniprésentes dans le secteur. Une étude publiée dans la revue Communication & Organisation, analyse le rôle central qu’elles ont fini par prendre dans l’écosystème de l’eSport en Belgique. Un rôle qui dépasse largement le simple sponsoring : diffusion ou organisation de compétitions, création d’équipes de joueurs, mise en place de plateformes de contenus spécialisés. Proximus, pour ne citer que cet exemple, disposait jusqu’en 2022 de sa chaîne eSportsOne, dont tous ses clients pouvaient bénéficier, et de deux chaînes Twitch où étaient diffusées des compétitions (dont ils sont parfois les organisateurs).

Le sponsoring, toutefois, demeure la pratique la plus courante. Les marques, en échange de leur visibilité, soutiennent financièrement et matériellement les évènements eSportifs. Ainsi les voit-on apparaître dans les décors, sur les retransmissions, sur les maillots de joueurs, sur l’affiche des évènements, voir même dans les noms de ces derniers (Red Bull Solo Q, BetFIRST Elite Series : Counter Strike…).

Un secteur fragile

Par la force des choses, les marques sont devenues ce qui fait vivre un secteur toujours fragile, qui manque encore de structure et de cadre légal pour ses compétiteurs. « Le marché belge est très en retard par rapport à d’autres pays comme la France. Il n’y a toujours pas de reconnaissance juridique de la pratique. De plus le marché est sclérosé entre la Flandre et la Wallonie, qui a tendance à être aspiré par le marché français », explique Sara Dethise Martinez, chercheuse en information et communication à l’UNamur et co-autrice de l’étude mentionnée plus haut. « Il n’y a toujours pas de structure qui puisse permettre aux joueurs de subvenir à leurs besoins. Il s’agit de la prochaine étape pour que l’eSport belge puisse avancer », ajoute Ismaïl Al Mokhlis, coordinateur de la Gamingcorp, une asbl qui organise des événements autour du jeu vidéo.

Si les premières marques qui se sont penchées sur l’eSport concernaient des produits purement « gaming », elles proviennent aujourd’hui de domaines aussi éclectiques que l’automobile, l’alimentation ou les assurances. En 2017, 42% des marques impliquées dans des partenariats e-sportifs étaient non endémiques (selon la même étude). Si on peut se questionner sur le sens de ces partenariats, il faut toutefois tempérer. « La situation demeure encore loin de celle observée dans d’autres sports comme le foot. Surtout que dans l’eSport, le marché n’est pas encore saturé », expliquent les auteurs de l’étude.

Cela n’empêche pas certains acteurs de chercher plus de cohérence dans les partenariats « Nous avons eu un partenariat avec VisitBrussels et avec des chaînes d’hôtel. Pour le coup, il y avait un lien car nous devions héberger les joueurs pour la compétition et en même temps on stimulait le tourisme dans la ville. C’était une vraie collaboration », raconte Ismaël Al Mokhlis.

Fuite de talents

Si les marques permettent à l’eSport belge d’être actif, le statut précaire de ses joueurs continue de les pousser vers l’extérieur, contraints de piocher par-ci par-là des compétitions à travers le monde pour s’assurer des rentrées d’argent. « Souvent, il s’agit de contrats de quelques mois avec des sponsors », précise Isamël Al Mokhlis. En guise d’exemple, il raconte qu’un des meilleurs joueurs belges, un top 5 mondial officiant sur Street Fighter, s’est déplacé en Arabie Saoudite pour une compétition dont le Cash prize s’élèverait à 1 million d’euros (réparti entre la dizaine de joueurs au sommet du classement). On est très loin des sommes proposées par les compétitions belges, dont le montant varie de plusieurs centaines d’euros à quelques dizaines de milliers pour les plus importantes.

Les joueurs occupent pourtant un rôle indispensable dans l’écosystème. Sans eux, pas de compétitions, et sans compétions, peu de chance de voir des marques investir. L’écosystème se constitue de parties reliées entre elles, et qui doivent donc progresser de concert.

Quel avenir pour l’eSport en Belgique ?

Peut-on raisonnablement espérer qu’ils resteront au pays dans un futur proche ? Si l’eSport tend à croître, un ralentissement est toutefois observé. « L’eSport a connu une bulle spéculative du fait de son attrait plus marqué pendant la crise sanitaire. Après le déconfinement, les marques sont devenues plus réticentes à investir », raconte Louis Wiart, professeur à l’ULB et co-auteur de l’étude. Le marché du jeux vidéo a d’ailleurs connu une baisse de 3% entre 2021 et 2022, mais qui s’explique surtout par l’année exceptionnelle connue en 2021. En Belgique, ce ralentissement s’est notamment illustré par la fermeture de la structure sportive Sector One, à cause de problèmes financiers. Cet épisode révélait surtout que la difficulté de la pratique de l’eSport en Belgique était toujours bien présente.

Le jour où le pays en deviendra une terre incontournable n’est peut-être pas pour demain, mais cela n’empêche pas la scène d’être très active. A côté des marques, plusieurs entreprises de presse se sont emparées du phénomène et diffusent du contenu. La RTBF dispose par exemple de son propre média gaming, RTBF iXPé, ainsi que d’une chaîne Twitch, produisant et diffusant une activité vidéoludique soutenue.

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Pour progresser plus rapidement, peut-être faudrait-il que le monde politique prenne le sujet plus au sérieux. « Ça avance quand même, il y a de plus en plus de considérations », confie Ismaël Al Mokhlis. Il y a plus d’un an, Gamingcorp a même reçu un financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Ils ne considèrent plus le jeux-vidéo comme une simple occupation de chambre, surtout que l’on intègre dans le secteur des combats sociétaux, comme par exemple l’intégration trans », se réjouit-il. Reste à voir si cette considération prendra de l’ampleur, et si des règles seront mises en place pour garantir une structure à la branche sportive d’un marché qui, en 2022, brassait quelque 582 millions d’euros.

Gauthier Guilmot

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