Les tailles de vêtements sont des notions abstraites et non immuables. Depuis des décennies, le vanity sizing fait fluctuer les mesures pour qu’elles s’adaptent aux morphologies contemporaines. Un 40 d’antan correspond désormais à un 38, voire un 36. Un phénomène qui peut impacter la santé physique et mentale.
Il y a quelques années, pour boutonner ce jeans taille 38, c’était en rentrant le ventre, allongé sur le lit, respiration bloquée. A présent, les étiquettes des pantalons dans la garde-robe indiquent «S/36». Pourtant, les chiffres affichés sur la balance n’ont pas bougé. Merci le vanity sizing!
Comprendre: l’inflation du prêt-à-porter. A taille nominale égale, les mesures ont augmenté au fil des années. Phénomène américain, il est par la suite devenu mondial. Le magazine Time prend l’exemple d’une taille américaine 8 (correspondant à un 38-40 européen). En 1958, les mesures étaient les suivantes: un buste de 79 centimètres, une taille de 60 centimètres et des hanches de 83 centimètres. En 1970, celles-ci sont respectivement passées à 82, 59 et 87 centimètres; en 1995, à 89, 69 et 88; et enfin, en 2012, sont introduits deux standards de morphologies: «curvy» (90-71-100) et «droit» (ou en «H») (90-74-98). De la même manière, un 40 européen d’il y a dix ou 20 ans est devenu un 38, voire un 36 pour les vêtements les plus oversize.
Flatter pour vendre plus
Pourquoi de telles différences? Pour flatter les consommateurs. «Apparemment, cette pratique aide à vendre des vêtements», énoncent Nilüfer Aydinoğlu et Aradhna Krishna, auteures d’une étude sur le vanity sizing. «Rentrer dans un pantalon étiqueté plus petit que sa taille réelle peut augmenter l’image de soi des consommateurs.» Un client bien dans sa peau, c’est un client plus enclin à acheter. Surtout si à côté, une marque propose un vêtement en tous points similaire, mais de taille supérieure.
L’e-commerce a aussi joué un rôle certain dans cette inflation des mesures. Puisqu’il n’existe pas de standard universel pour les tailles de vêtements (chaque marque applique ses propres règles, parfois en s’appuyant sur des moyennes nationales), il est difficile de se baser sur des références communes lors de l’achat en ligne. Le risque de choisir une taille qui ne correspond pas est donc grand. De nombreuses pièces sont dès lors renvoyées, entraînant des coûts supplémentaires pour les e-commerçants qui, non seulement, promettent un retour gratuit aux clients, mais doivent également vérifier chaque vêtement retourné et le remettre en état si nécessaire. L’Echo évoque un coût moyen de 7 euros pour le vendeur. Pour éviter ces frais supplémentaires, les marques tendent donc vers une sorte de standardisation informelle des tailles pour satisfaire au plus grand nombre, et ainsi pousser les plus hésitants à valider leur panier et à passer à la caisse.
Un vanity sizing flatteur, mais pas sans conséquence
Aussi flatteuse soit-elle, la technique du vanity sizing a ses revers. Elle tendrait à normaliser le surpoids, voire l’obésité, chez des personnes qui pourraient ne plus mettre en question leur poids et leur santé sous prétexte qu’elles ont perdu une ou deux tailles de pantalon. Or, selon la dernière Enquête de Santé de Sciensano (2023-2024), 49,7% de la population adulte belge est en surpoids (contre 49,3% en 2018), et 17% est atteinte d’obésité (15,9% en 2018). «Au niveau mondial, le nombre d’adultes obèses a plus que doublé depuis 1990, et le nombre d’adolescentes et adolescents obèses a été multiplié par quatre», observe aussi l’Organisation mondiale de la Santé. Ainsi, en 2022, 2,5 milliards d’adultes, 35 millions d’enfants de moins de cinq ans, et 390 millions d’enfants et d’adolescents (de 5 à 19 ans) étaient en surpoids, selon l’OMS. Parmi eux, ils étaient au moins un milliard à pouvoir être considérés comme obèses.
Le vanity sizing n’impacte pas seulement les personnes rondes, il évince aussi une partie de la population du prêt-à-porter pour adultes. Les personnes de petite taille, ou très fines, sont parfois contraintes de faire leur shopping dans les rayons pour enfant. Lorsqu’il s’agit d’acheter une paire de chaussures, il peut être difficile de trouver talon ou richelieu à son pied. La tâche devient plus ardue encore dans l’habillement. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, ont été créées les tailles 0 et 00, qui correspondraient à du XS et du XXS en taille européenne.
Une réponse commerciale qui n’est pas vraiment une solution pour ces personnes qui peuvent souffrir de dysmorphie. Ne pas trouver de vêtements adéquats peut leur donner l’impression de ne pas rentrer dans le cadre, d’être trop «pas assez». De la même façon que la société a poussé les personnes portant du XL ou du XXL à penser qu’elles étaient top grosses.