Le démon de midi pour lui, l’horloge biologique qui tourne pour elle. Les clichés sur la quarantaine et sa crise existentielle ont la peau dure. Mythe ou réalité? Un peu des deux.
«A la quarantaine, on se débarrasse des emmerdeurs» (Purepeople, mai 2013). Comme une envie de tout envoyer valser, d’échapper aux contraintes, de tester les limites, de s’affranchir des rôles et des convenances, de profiter de la vie. De ce qu’il en reste. Agée aujourd’hui de 53 ans, Alexandra Lamy revendiquait le bonheur de ne plus avoir à «faire les gratins dauphinois, les aubergines, les pédiatres» et de penser enfin à elle, en profitant joyeusement d’un célibat choisi. Ce vent de liberté que décrit la «Chouchou» d’Un gars, une fille est celui qui souffle dans bien des chevelures poivre et sel.
Béatrice, 48 ans, est inquiète pour son mari qui présente tous les signes de la crise de la quarantaine: «Plutôt casanier de nature, il me dit avoir à nouveau envie de sortir, de rencontrer de nouvelles personnes […]. Le plus inquiétant, c’est qu’il se refait une garde-robe, lui qui ne prenait jamais soin de lui.»
«Mon mari et moi sommes en plein dedans, partage Françoise, 37 ans. Nous nous sommes rencontrés à l’adolescence, nous avons tout fait trop vite, hormis les enfants. Cet été, j’ai perdu mon papa, et après presque 19 ans d’amour fusionnel, j’ai commencé à sentir le désintérêt de mon mari. Jusqu’au jour où c’était trop, je lui ai demandé s’il y avait quelqu’un d’autre. Il m’a répondu qu’il était tombé amoureux d’une intérimaire et que c’était réciproque, mais qu’il ne se passerait rien tant que moi et la copine de cette fille ne serions pas au courant. L’occasion faite, il m’a annoncé être fou d’elle et qu’il me quittait.»
«Je suis clairement en pleine crise de la quarantaine, admet Charles, 41 ans. Après 21 ans de vie commune, je ne me sentais plus désirable depuis plusieurs années et le sexe était très occasionnel. J’aimais ma femme et nous avons eu plusieurs discussions, initiées par moi, à propos de nos problèmes affectifs et sexuels. Mais après plusieurs années de discussions sans aucun résultat, j’ai décidé de la quitter. J’ai beaucoup réfléchi sur ma vie et sur ce que je veux pour ce qu’il en reste». (1)
50%
environ des adultes de plus de 50 ans affirment avoir vécu une crise de la quarantaine, selon plusieurs études.
Les implants capillaires au vent
La crise de la quarantaine, dans l’imaginaire collectif, c’est ce père de famille qui part avec la jeune assistante ou qui décide soudainement de se mettre à la batterie, cette top manageuse qui plaque tout pour ouvrir une boulangerie, ce couple qui décide de partir faire le tour du monde à la voile, cette femme qui entame une thérapie alors qu’«elle a tout pour être heureuse»…
Dans la réalité, les situations vécues sont plus complexes et nuancées, et il est malaisé de distinguer qui «fait» sa crise de la quarantaine ou qui traverse simplement une période de réflexion profonde. Encore faut-il s’accorder sur ce qu’est la crise de la quarantaine et ce à quoi elle fait exactement référence. «Remise en question de l’identité et de l’existence», «processus de transition psychologique», «sentiments d’insatisfaction ou de lassitude», «doute de soi»… Les définitions décrivent globalement les mêmes symptômes, similaires ou proches de ceux de la dépression ou du burnout, à la différence près qu’ils surviendraient à un moment charnière de la vie. Le concept n’a d’ailleurs qu’une validité scientifique limitée et ne fait pas l’unanimité parmi les psychologues et les thérapeutes. Aux Etats-Unis, le programme Midus (Midlife in the United States), qui porte sur plus de 100.000 personnes, a montré que moins de 10% de la population dit vivre une baisse de satisfaction majeure à cette période de la vie.
«A 40 ans, on entre dans une phase de maturité. C’est l’âge auquel on porte un regard sur ce qui a été accompli, et ce à quoi on a dû renoncer.»
Alors, mythe ou réalité, ces crises de milieu de vie? «L’idée qu’une sombre nuit s’abat sur l’âme des adultes qui atteignent 40 ans –ou que ceux-ci cherchent désespérément à lui échapper, leurs implants capillaires flottant au vent de leur cabriolet– est profondément ancrée dans les esprits. Les études montrent que la grande majorité des gens croient en la réalité de ce que l’on appelle la « crise de la quarantaine », et que près de la moitié des adultes de plus de 50 ans affirment en avoir vécu une. Mais la crise de la quarantaine existe-t-elle vraiment?», questionne Nick Haslam, professeur de psychologie à l’université de Melbourne, dans un article publié sur le site The Conversation en 2019.
Lire aussi | Génération X: la grande sacrifiée entre boomers et millennials
«Des preuves solides accréditent l’idée que le degré de satisfaction à l’égard de la vie décline vers la quarantaine. Les enquêtes de population révèlent généralement que les femmes et les hommes d’âge moyen sont les moins satisfaits de leur vie.» Toutefois, pondère le chercheur, si l’âge mûr «peut être perturbant pour certains, il n’existe pas suffisamment de preuves pour en conclure qu’il s’agit d’une période de crise et de découragement généralisée. Psychologiquement parlant, les choses ont au contraire tendance à s’améliorer.» Ce décalage entre la façon dont les gens évaluent leur sort –quand bien même ce dernier n’est, objectivement, pas pire qu’avant– serait lié au fait que l’attention se déplace du temps écoulé à celui qui reste, ce qui requiert un processus d’ajustement.
«Dans les repères sociologiques, il existe une constante sur ce qui peut arriver aux individus à partir d’un certain âge, analyse Benoît Verdon, psychologue, psychanalyste et professeur de psychologie clinique à l’université Paris Cité. Pour la plupart des personnes, cela touchera la vie privée ou professionnelle. Certaines affirmeront spontanément qu’elles traversent une crise liée à l’âge, d’autres ressentent un mal-être qui se greffe à un état de crise qu’ils pensent reconnaître. A 40 ans, on entre dans une phase de maturité. C’est l’âge auquel on porte un regard sur ce qui a été accompli, et ce à quoi on a dû renoncer. On se situe théoriquement à la moitié de sa vie et on se dit que si on souhaite changer de métier ou avoir des enfants, cela devient urgent. Il s’agit d’une crise liée aux décennies et aux repères que nous nous sommes construits.»
Des crises à toutes les sauces
«A la quarantaine, comme le formule le réalisateur Claude Lelouch dans Télérama en 1981, on a l’impression qu’on n’a pas fait ce que l’on devait faire et qu’on n’a plus le temps de faire ce qu’on a à faire.» Le temps file alors qu’il reste tant de choses à accomplir, de rêves à vivre, que les enfants grandissent, que les carrières stagnent, que chaque jour ressemble au précédent. Alors que le sablier se vide, les choix de vie (reconversion, divorce, etc.), eux, restent nombreux, avant qu’il ne soit trop tard. Vertigineux.
Alexia Soyeux, autrice de La crise de la quarantaine: entre mythes et réalités (Hors d’atteinte, 2025), n’hésite pas à parler de «prophétie autoréalisatrice». Dans un monde en mutation, le mot «crise» est mis à toutes les sauces: politique, économique, budgétaire, internationale… A force, ce vocabulaire a fini par infuser dans la société, jusqu’à la sphère de l’intime. «C’est devenu une manière de raconter nos vies, écrit-elle. Cela reflète également une injonction à être soi, à se réinventer sans cesse, à choisir qui on veut être dans un monde extrêmement violent et précaire.»
Qu’aux crises de la quarantaine et de la cinquantaine s’ajoute celle de la vingtaine ou «du quart de siècle», nouvelle déclinaison qui fait son chemin, illustre bien ce besoin d’étiqueter ces périodes de remise en question. «Cela étant, nuance l’autrice, les jeunes qui débarquent aujourd’hui dans l’âge adulte ont de bonnes raisons de se poser des questions. L’image qu’ils se font du futur se confronte à la réalité. Ils vivent de nombreux bouleversements et leur existence est moins prévisible que celle des générations précédentes. Etre face à tant de choix peut être fatiguant.»
«Avoir 20 ans peut être difficile à vivre, complète Benoît Verdon. A peine sortis de la puberté, les jeunes doivent endosser de grandes responsabilités et sont confrontés à de nombreuses incertitudes, que ce soit à propos de leur avenir ou de leurs moyens financiers. La situation économique, politique, géopolitique et les nombreux questionnements sur le genre, l’amour, le rôle de la société font qu’il est difficile de devenir adulte.»
L’arbre qui cache la forêt
Travailleuse sociale, autrice de Bien vivre la crise de la quarantaine (La Semaine, 2021) et chargée de cours à l’université de Laval, à Québec, Judith Petitpas rencontre des personnes d’âge moyen en situation de mal-être aux profils très différents. Elle constate souvent que le problème précis pour lequel elles sont venues la trouver n’est en réalité que l’arbre qui cache la forêt. «Ces gens vivent un changement de situation dans leur vie professionnelle ou conjugale, relate-t-elle. Elles réalisent ensuite que cet événement prend une énorme ampleur, au point de mener à une crise identitaire, et s’en étonnent. Cela va les amener à entamer une introspection très inconfortable qui les laisse, dans un premier temps, démunis mais qui débouche par la suite sur une réflexion plus globale. La question centrale devient alors: ma vie ressemble-t-elle à ce que je suis?»
Les crises de l’âge mûr ne seraient pas forcément inhérentes aux épreuves traversées. Les recherches menées n’ont pas établi de lien clair entre ces crises et les divers coups du sort qui ont pu survenir, met également en évidence Nick Haslam. Une étude américaine a en effet révélé que le fait de déclarer avoir vécu une crise de la quarantaine n’était pas lié au fait d’avoir récemment subi un divorce, une perte d’emploi ou le décès d’un être cher, mais était plutôt principalement associé à celui d’avoir des antécédents de dépression. Par ailleurs, d’autres recherches ont démontré que la plupart des changements qui se produisent à l’âge mûr sont positifs.
«Avoir 20 ans peut aussi être difficile à vivre.»
Reset, restart
Judith Petitpas affirme avoir elle-même vécu une crise de la quarantaine et se dit heureuse d’être passée par là. «Ça m’a permis de faire un « reset », de regarder à la loupe ce qu’était ma vie. A 40 ou 50 ans, on a encore suffisamment d’énergie pour changer les choses.»
Un mal pour un bien, c’est aussi ce que décrit Benoît Verdon: «Les dizaines ne sont que des repères temporels construits mais on ne s’y réfère pas sans raison: à 60 ans, on ne vit pas comme à 20. Ces crises sont des bouleversements qui mettent vraiment ceux qui les traversent en difficulté. Elles sont difficiles à régler, mais elles ont aussi un aspect positif: elles mettent l’individu au travail et lui donnent l’occasion de régler certains conflits, de surmonter certaines épreuves.»
Qu’est-ce qui vient troubler la personne dans l’apparente tranquillité de sa vie? Pour le psychologue, les changements physiologiques que vit l’individu à la quarantaine et à la cinquantaine jouent un rôle important dans le déclenchement de la crise. Le corps change et, avec lui, le regard que porte la société sur la personne. Les femmes étant plus durement frappées que les hommes. «Elles le vivent de manière plus brutale puisque leur corps ne produit plus d’œstrogènes et qu’elles perdent toute capacité de produire des ovules, décrypte-t-il. On parle d’ailleurs de « crise ménopausique ». Sur le plan physique, des changements importants sont observables et ne cessent de leur rappeler que leur corps est en train de s’abîmer: vieillissement de la peau et apparition de tâches, chute de cheveux, prise de poids, baisse du désir sexuel, perte de densité osseuse et musculaire, troubles cardiovasculaires, relâchement des seins, aplatissement des fesses… La ménopause se lit sur le corps des femmes. En revanche, «si les hommes voient également leurs hormones chuter à l’andropause, ils ne vivent pas cette période de transition de manière aussi brutale et définitive que les femmes, ajoute l’expert. Chez certains, ces changements physiologiques passent même inaperçus.»
Chez les hommes, la crise de l’âge mûr «peut servir à légitimer certains comportements qu’ils font subir à leur entourage».
Chez les hommes, la crise de l’âge mûr «peut servir à légitimer certains comportements qu’ils font subir à leur entourage, surtout aux femmes, évalue pour sa part Alexia Soyeux. La question du vieillissement se pose aussi pour eux, ils sont en prise avec leurs émotions et cela se traduit parfois par des comportements spectaculaires. Tandis que les femmes traversent souvent cette crise de manière plus silencieuse, plus intérieure et moins extravagante. Comme elles sont les garantes de la stabilité familiale et les piliers de l’éducation, qu’elles doivent assumer plusieurs rôles à la fois, il est plus difficile pour elles de tout envoyer valdinguer.»
Les contraintes de la génération «sandwich», celle qui doit à la fois éduquer ses enfants et prendre soin de parents vieillissants, sont principalement assumées par les femmes, qui représentent 70% des aidants.
Les hommes n’échappent pas à la pression sociale, mais elle s’exprime davantage sur le plan professionnel et relationnel. Dans un monde qui valorise fortement la réussite (la fameuse Rolex à 50 ans), ils se questionnent sur leur place dans le monde du travail, leur utilité au sein de leur société alors que la pension n’est plus très loin. D’autant que se pose aujourd’hui la question de l’accès à la retraite. Alors que leurs enfants ont de moins en moins besoin d’eux, ils réalisent que les rôles s’inverseront progressivement. Qu’ils seront à leur tour dépendants des autres. Ils s’inquiètent également de la perte d’autonomie et du déclin cognitif qui accompagne la vieillesse, avec, au bout du chemin, la mort. Pour l’homme comme pour la femme, résume le psychologue, «tous les petits bobos, les douleurs qui surviennent, le fait de se sentir plus limité, nous ramènent sans cesse à notre finitude».
Jamais trop tard
Etre sur tous les fronts, y compris celui du couple. A 40 ans, la vie à deux fait également l’objet de grands questionnements. Les divorces gris, phénomène en pleine expansion, sont plus souvent assumés par les femmes, souligne Alexia Soyeux. «Elles se demandent avec qui elles ont envie de passer le reste de leur vie, si elles ne restent pas en couple pour de mauvaises raisons, précise-t-elle. Et se disent qu’il n’est pas trop tard pour se réinventer. Certaines trouvent alors le courage de se séparer de leur conjoint pour se sentir plus alignées avec elles-mêmes.»
Etre vieux sera-t-il un jour plus acceptable, moins stigmatisant? Le regard de la société sur les rides, la bedaine de bière, les repousses de cheveux gris et le menton qui se relâche peut-il changer? Un mouvement prônant l’acceptation des corps moins toniques semble amorcé, mais principalement sous l’impulsion des people qui, il faut bien l’admettre, ont davantage les moyens de contrer les effets du temps et de rester à leur avantage plus longtemps. «Ne cachons plus les corps vieux», prêche Benoît Verdon, qui rappelle à cette jeunesse qui sait parfois se montrer jugeante et arrogante que les vieux ont un jour été jeunes et beaux comme eux.
(1) Témoignages issus du site www.crisequarantaine.com
Des crises de privilégiés?
La crise de la quarantaine (ou «crise du milieu de vie») est une conception solidement ancrée dans la société occidentale. Formulée par le psychologue canadien Elliott Jaques (Death and Mid-life Crisis, International Journal of Psychoanalysis, 1963), elle fait référence à un processus de transition qui se déroule sur quelques années et dont la période exacte peut varier selon les individus, généralement entre 35 et 45 ans. Car déjà se profile une autre crise, celle de la cinquantaine. Pour les plus précoces, les tourments de la vie peuvent aussi surgir à peine entrés dans l’âge adulte, entre 18 et 25 ans approximativement. Cette crise «du quart de siècle» ou «du quart de vie» s’est récemment fait une place parmi les grandes turbulences de l’existence.
Les travaux menés par Elliott Jaques portaient essentiellement sur les états d’âme de la classe moyenne blanche plutôt aisée, des élites créatives et surtout des hommes, dans un contexte de changement démographique, d’une montée en puissance de la société de consommation et des loisirs et d’une vie plus standardisée, entre travail de bureau et vie de famille dans une banlieue pavillonnaire, rappelle Alexia Soyeux, autrice de La crise de la quarantaine: entre mythes et réalités. De cette existence ronflante serait né un ennui, une forme de frustration qui aurait amené ces privilégiés à s’interroger sur le sens de leur vie.
Leur existence ronflante les aurait amenés à s’interroger sur le sens de leur existence.D’autres psychologues de l’époque ont tenu le même discours que Jaques, estimant que la crise de la quarantaine représentait une étape naturelle dans l’existence des hommes. Les femmes, elles, ne traversaient pas de crise majeure ou alors uniquement liées à leurs hormones. «Ces stigmates persistent encore dans la société actuelle», évalue l’autrice. Ce n’est qu’en 1976, sous la plume de l’écrivaine et journaliste Gail Sheehy, dans son ouvrage Passages: les crises prévisibles de l’âge adulte (Belfond, 1977), que la crise de la quarantaine a pu être envisagée sous le prisme féminin. Une prise de position féministe que les psychiatres de l’époque se sont empressés de discréditer et ainsi réaffirmer les stéréotypes machistes. Il aura fallu attendre plusieurs décennies pour admettre que les femmes vivent également cette période de transition, de transformation, bien que l’idée selon laquelle les hommes sont davantage concernés que les femmes reste dominante.
A ce jour, et bien que le sujet ait fait l’objet de nombreuses études, il n’existe pas de statistique précise indiquant le pourcentage de la population touché par la crise de la quarantaine. Le concept lui-même ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs. Certaines études avancent que seuls 10% de la population environ vit ce bouleversement, tandis que d’autres suggèrent que ce taux pourrait être plus élevé, aux alentours de 80% des 40-55 ans, selon une interprétation plus large de la notion.