Contrairement aux astrologues, la majorité des numérologues refusent d’étiqueter leur pratique comme un «art divinatoire». © Getty Images

2026, une année «propice au changement», selon la numérologie: pourquoi cette pseudo-science fascine autant

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La numérologie, pratique ésotérique millénaire, connaît un nouvel élan de popularité sur les réseaux sociaux. Cette pseudo-science, qui attribue une signification symbolique aux nombres, est prônée comme outil de développement personnel par des influenceurs en vogue. Mais gare aux dérives.

«L’année 2026 marquera le début d’un nouveau cycle. C’est le nouveau départ que tout le monde attend.» Ce n’est pas Madame Irma qui le dit. Mais AstrologyJoy, une influenceuse londonienne réunissant plus de 300.000 abonnés sur TikTok. Pour étayer ses prédictions, la Britannique s’appuie sur la numérologie, une pratique ésotérique basée sur l’histoire des nombres et leur symbolique.

Petite leçon express. En numérologie, chaque chiffre unique (de un à neuf) porte une vibration, qui influence les dynamiques personnelles autant que les mouvements collectifs d’une époque. En se livrant à une simple addition, les adeptes de la pratique attribuent l’année 2026 au chiffre 1 (2+0+2+6=10, 1+0=1), marquant ainsi le début d’un nouveau cycle de neuf ans, après la clôture du précédent en 2025 (2+0+2+5=9). Bref, 2026 serait ainsi une période charnière, propice à la renaissance et au changement d’énergie. Pas encore convaincu? Les afficionados poussent l’addition un cran plus loin, en y ajoutant leur date et année de naissance pour obtenir des prédictions personnalisées.

@astrologyjoy Get your personal 2026 prediction readings from the link in my bio! A new cycle begins in 2026! Follow for part 2 on the astrology predictions for the new year🎇🪐 #astrologytiktok #numerology #astrology #witchtok #2026 ♬ Mysterious and Sad – Beats by Lucky
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Des théories qui semblent percoler, à en croire les millions de vues que cumulent les vidéos d’AstrologyJoy et la viralité du hashtag #numerology sur les réseaux sociaux. En dépit de ce succès récent, les «numero-fluencers» sont loin d’avoir inventé la poudre. La numérologie existe en réalité depuis des millénaires. Inspirée de civilisations anciennes (Egyptiens, Babyloniens), elle aurait été popularisée en Occident par le philosophe grec Pythagore (580 avant J-C), avant d’évoluer sous des formes plus modernes au cours des siècles derniers.

Spiritualités alternatives

Mais si elle resurgit aujourd’hui, c’est avant tout pour répondre à une quête de sens au sein des jeunes générations. «Les jeunes sont confrontés à un état de crise sans précédent, à la fois sur le plan économique, écologique et politique, recadre Lucie Pouclet, docteure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Lumière Lyon 2 et spécialiste des subcultures numériques. Face à une planète en surchauffe et des événements assez cataclysmiques qui se profilent, il est très humain de se tourner vers la spiritualité pour donner du sens à des choses qui n’en ont pas.» Or, peu de jeunes (femmes, surtout) se retrouvent dans les religions monothéistes, souvent teintées de patriarcat et entachées de scandales, observe Lucie Pouclet. «Elles se réfugient donc dans ses spiritualités plus alternatives, qui répondent à des codes différents et résonnent davantage en elles.»

Comme l’astrologie ou le tarot, le succès de la numérologie repose notamment sur l’Effet Barnum, analyse la docteure. Théorisé par le psychologue américain Bertram Forer, puis popularisé par son confrère Paul E. Meehl en 1956, ce concept désigne un biais cognitif conduisant un individu à considérer une description générale et vague de traits de personnalité comme s’appliquant précisément à lui-même. «L’humain aime bien faire du sens avec du flou, résume Lucie Pouclet. Un tas de gens vont pouvoir se rattacher au discours des numérologues prévoyant un changement de paradigme en 2026, car la prédiction est suffisamment large pour réussir à faire un parallèle avec sa propre existence. Elle agit comme une sorte de validation subjective

Développement personnel

Néanmoins, contrairement aux astrologues et aux tarologues, la majorité des numérologues refusent d’étiqueter leur pratique comme un «art divinatoire». «La numérologie, ce n’est pas de la voyance, rappelle Juliette Numérologie sur son compte Instagram. Il n’y a rien de prédictif, on ne peut pas savoir ce qui va se passer, ni comment.» L’experte bretonne la présente plutôt comme une méthode de développement personnel. «Les chiffres sont des outils puissants de connaissance de soi, qui peuvent nous aider à comprendre notre mode de fonctionnement (pourquoi on réagit de telle ou telle manière), et à prendre conscience de nos forces, de nos dons, de nos talents (…).»

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Une approche qui a donné lieu à l’émergence de nouveaux concepts, comme la numérologie stratégique, développée par l’ancienne cheffe d’entreprise Lydie Castells. Depuis une dizaine d’années, la Française accompagne ainsi un public varié (entrepreneurs, comptables, thérapeutes) dans leur prise de décision, grâce à une approche plus «cartésienne» et «structurée» de la numérologie. En Belgique, des tas de formations à la numérologie sont également dispensées, sous différentes formes (en ligne, en présentiel…) et à différents prix (de 60 à 140 euros la journée). Avec, souvent, un diplôme à la clé.

«Un tas de gens vont pouvoir se rattacher au discours des numérologues prévoyant un changement de paradigme en 2026, car la prédiction est suffisamment large pour réussir à faire un parallèle avec sa propre existence. Elle agit comme une sorte de validation subjective.»

Quelle que soit sa forme, la numérologie reste considérée comme une «pseudo-science», souvent critiquée pour son absence de validité statistique. Un discrédit dont font fi les adeptes. «L’important n’est pas de savoir si la numérologie fonctionne ou pas, mais plutôt de voir ce qu’elle provoque, rappelle Lucie Pouclet. Et en réalité, elle fait du bien à un tas de gens, car c’est une pratique porteuse de sens à laquelle ils peuvent se raccrocher.» La spécialiste en subcultures numériques regrette d’ailleurs cette stigmatisation. «Dans le cas des religions monothéistes, la moquerie est moins bien perçue, contrairement aux croyances plus alternatives, qui sont souvent tournées en ridicule. Pourtant, la spiritualité répond à des logiques très intimes et personnelles.»

Dérives sectaires

Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, ces formes de spiritualité ont acquis une dimension collective. «Avant, pour faire communauté avec des gens partageant des croyances communes, il fallait fréquenter des lieux de culte, rappelle Lucie Pouclet. Aujourd’hui, les adeptes se retrouvent en ligne, notamment sur Discord qui est le réseau privilégié pour constituer des communautés spirituelles et religieuses.»

Les influenceurs ont également adapté la numérologie aux codes esthétiques des réseaux sociaux, en rendant la pratique presque «instagrammable». Elle séduit donc dès le plus jeune âge, prêtant parfois le flanc à des dérives sectaires. Aux Etats-Unis, des gourous très influents surfent ainsi sur la vague de la numérologie pour diffuser des théories complotistes, sexistes ou extrémistes. Le quotidien suisse 24 heures rapportait récemment le succès de «Gary the Numbers Guy» (un million d’abonnés sur TikTok), qui aurait arnaqué des milliers de jeunes en fournissant des «codes» numérologiques censés garantir des gains rapides en Bourse.

Des dérives «minoritaires», mais qui ne doivent pas être sous-estimées, insiste Lucie Pouclet. «Dès que la spiritualité est incarnée par des « prescripteurs », on sort de la pratique personnelle, avec des logiques de domination, de manipulation et de pouvoir qui entrent en jeu, met en garde la doctorante. Le danger, c’est quand ces théories percolent auprès d’adolescents ou de populations peu alertes, susceptibles de gober tout ce contenu sans faire le tri

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