«Tout le monde, ou presque, connaît dans son entourage une femme qui a avorté», selon un sondage mené par Amnesty International. Toutefois, les fausses croyances et la stigmatisation restent très présentes.
Une sœur, une fille, une amie, une mère, une épouse: et si l’une d’elles était un jour confrontée au choix d’avorter? Le regard de leurs proches changerait-il sur ce sujet tabou? L’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’est pas un acte rare, il a concerné près de 20.000 femmes en Belgique en 2023, selon les derniers chiffres livrés par la Commission nationale d’évaluation des IVG. Un chiffre relativement stable, à l’exception des années Covid où il avait chuté à 16.500.
Au-delà des données purement factuelles, Amnesty International Belgique s’est penchée sur la perception qu’ont les Belges de l’avortement, de l’accès à celui-ci, de son intégration dans les programmes de soins de santé et de la législation qui l’encadre. Sont-ils favorables à un allongement du délai pour le pratiquer alors que le sujet a été mis de côté par la Vivaldi et que l’Arizona (qui se fissure sur d’autres dossiers brûlants) ne semble guère pressée de le reprendre, faute de consensus (le CD&V y étant très peu favorable)? Sur les bancs de l’opposition, PS, Ecolo-Groen, PTB et Open VLD souhaitaient pourtant que le sujet soit remis à l’agenda fédéral. Mais il n’est clairement pas prioritaire.
Le sondage a été mené auprès de 2.000 personnes de plus de 16 ans (58% de Flamands, 52% de femmes). Il livre quelques surprises sur les idées reçues et les convictions partagées par la population. Est-elle prête à progresser sur ces questions? Manifestement, la réponse est «oui».
Premier constat d’Amnesty: une femme sur dix s’est fait avorter et un sondé sur quatre déclare connaître dans son entourage une personne qui a eu recours à l’avortement. Parmi celles qui ont vécu une ou plusieurs interruptions de grossesse, 14,7% ont des enfants et 16,1% se disent croyantes.
«L’avortement est donc beaucoup plus répandu qu’on ne le pense, indique Carine Thibaut, directrice générale de la section belge de l’Amnesty International. Compte tenu du tabou qui l’entoure et limite certainement le partage de cette information personnelle, nous pouvons affirmer sans prendre de risque que tout le monde, ou presque, connaît une personne qui a avorté».
10,7% des avortements en Belgique le sont de manière illégale.
Soutien massif
Huit Belges sur dix estiment que le droit à disposer de son corps est un droit essentiel. Et une majorité écrasante (92,5%) se positionne personnellement en faveur du droit à l’avortement, accessible de manière sûre, légale, sans entrave et discriminations. Un peu plus de 80% des sondés pensent également que l’accès à l’avortement devrait être identique et abordable pour toute personne en Belgique, quel que soit son statut, et se disent inquiets de voir ce droit remis en question dans certains pays.
L’enquête révèle en outre que 28,8% des personnes sondées ayant eu recours à l’avortement déclarent que celui-ci a été pratiqué illégalement en Belgique, ou légalement ou illégalement à l’étranger. Près d’un avortement sur deux (41,9%) a eu lieu illégalement en Belgique, ou légalement ou illégalement à l’étranger. Les avortements illégaux en Belgique représentent 10,7% des cas. Les causes ayant mené à ces actes illégaux ne sont toutefois pas précisées dans l’enquête.
«Il est très inquiétant de constater que tant de personnes ont été ou sont contraintes de se placer dans l’illégalité ou de sortir des frontières pour avorter. Interdire l’avortement ne l’empêchera jamais. Les personnes concernées chercheront toujours des moyens de mettre fin à leur grossesse si elles en ressentent le besoin. Il est fondamental qu’elles puissent le faire de manière sûre, légale et sans entrave dans le pays où elles vivent.»
L’autre constat marquant est le décalage entre une opinion publique largement acquise au droit à l’avortement et la crainte, pour celles qui le vivent, d’être jugées par la société (45%) ou par leur communauté culturelle ou religieuse (38,6%). Quant à l’opposition du partenaire, elle reste un obstacle important (26,7%) pour un sondé sur quatre. «Nos autorités devraient se remettre en question quant à l’accomplissement de leur devoir d’informer la population de manière efficace. A fortiori sur un sujet aussi fondamental qui touche au droit à la santé», plaide l’ONG.
Plus éclairant encore, 23% considèrent le délai légal de douze semaines après conception pour avorter comme trop court, principalement en raison de la pénurie de médecins qui pratiquent; 47% pensent qu’il faudrait l’allonger. On note une sensible différence selon le profil du répondant. De manière assez surprenante, les hommes y sont plus favorables (52,5%) que les femmes (41,8%).
Informer plutôt que stigmatiser
Allonger le délai, mais de combien? Pour un tiers des personnes interrogées , entre quatorze et 18 semaines serait une bonne décision. Une faible proportion va jusqu’à 20, voire 24 semaines.
Seulement 15,6% des sondés pensent que l’avortement est encore passible de sanctions pénales en Belgique, avec des peines de prison et des amendes, et 49,8% croient, à tort, que ce n’est plus le cas.
«Nos autorités devraient se remettre en question sur l’accomplissement de leur devoir d’informer la population de façon efficace, a fortiori sur un sujet aussi fondamental qui touche au droit à la santé. Ce manquement de leur part a pour conséquence que de fausses informations circulent, de même que des idées reçues très négatives, ce qui peut générer une pression sociale. Le tabou qu’un nombre important de répondants ressent ne permet pas aux gens de faire des choix éclairés en ce qui concerne leur vie et leur santé», pointe Amnesty.
Depuis les dernières élections législatives, «aucun progrès n’a été enregistré en ce qui concerne le droit à l’avortement en Belgique», déplore Amnesty. Un projet de loi serait en préparation, mais la réforme se limiterait à une prolongation du délai légal de douze à quatorze semaines.