Les lombalgies, occasionnelles ou récurrentes, touchent huit adultes sur dix. Pourtant, le mal de dos n’est pas une fatalité. En adaptant son mode de vie, il est possible de s’en débarrasser.
Une douleur vive ou diffuse, une raideur, une sensation de brûlure ou une irradiation qui se fait sentir jusque dans les fesses, les cuisses ou les jambes: le mal de dos est l’une des affections les plus courantes dans la population. Quelques chiffres. Environ 80% des adultes en ont souffert, en souffrent ou en souffriront au moins une fois dans leur vie, et 42% des adultes y font face au moins une fois par an. Chaque année, de nouveaux cas sont recensés chez 5% des adultes. En 2020, 619 millions de personnes dans le monde souffraient de lombalgie. L’OMS estime qu’elles seront 843 millions d’ici à 2050, en grande partie sous l’effet de la croissance démographique et du vieillissement. Selon Sciensano, les lombalgies (douleurs au bas du dos) figurent en tête de liste des douleurs chroniques les plus fréquentes chez les plus de 15 ans. L’arthrose étant le deuxième trouble musculosquelettique le plus courant.
Le mal de dos fait donc partie des troubles musculosquelettiques au même titre que la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrose, la tendinite ou la goutte et touche les tissus mous tels que les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs périphériques et les vaisseaux sanguins. Outre la douleur qu’il provoque, il peut altérer la mobilité de celui qui en souffre. Selon l’Aviq, la lombalgie est la première cause d’arrêt de travail avant 45 ans et a de fortes répercussions sur la vie sociale et professionnelle. C’est pour cette raison qu’en plus du «mal du siècle», le mal de dos est parfois qualifié de «fléau socioéconomique». C’est aussi un problème de santé au travail qui peut conduire à une désinsertion professionnelle.
La mal de dos est d’autant plus difficile à soigner que ses causes précises sont rarement identifiables. La majorité des douleurs dorsales sont en effet multifactorielles et nécessitent donc l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire. Ce qui est en revanche avéré, c’est qu’elles sont généralement associées à différents facteurs de risque comme l’âge, l’obésité, le tabagisme, la comorbidité, la sédentarité, un travail lourd, un mal-être psychosocial et, parfois, la génétique.
Pas une fatalité
Les douleurs dorsales sont courantes, parfois handicapantes, mais elles sont rarement «graves». Surtout, avoir mal au dos n’est pas une fatalité. Dans 90% des cas, l’état du patient s’améliore dans le mois. Pour les lombalgies spécifiques (10% des cas), la douleur peut résulter d’une affection métabolique, inflammatoire, infectieuse ou tumorale.
Le corps médical distingue trois catégories de lombalgies: les aiguës, lorsque la douleur n’excède pas les six semaines, les subaiguës (d’une durée comprise entre six et douze semaines) et les chroniques (qui persistent plus de trois mois). La lombalgie aiguë apparaît généralement de manière inattendue, souvent à la suite d’un traumatisme, d’une chute, d’un effort physique intense ou d’une mauvaise posture. La lombalgie subaiguë peut survenir entre une phase aiguë et une chronique. Lorsqu’elle est chronique, la douleur ressentie peut être moins intense mais est constante, ce qui peut affecter la qualité de vie.
«Certains patients présentent plusieurs épisodes aigus, survenant de façon plus ou moins régulière, espacés par des périodes non invalidantes voire non douloureuses. On parle alors de lombalgie récidivante ou récurrente», précise un rapport d’une équipe pluridisciplinaire de la clinique du dos du CHU de Liège, dont fait partie le Pr. Christophe Demoulin, président de la société scientifique francophone de kinésithérapie (SSFK).
La perception de la douleur liée à un mal de dos peut être très variable d’un individu à l’autre. Le cerveau peut aussi décider de ne pas faire ressentir la douleur dans certaines situations: en cas de stress intense ou de danger imminent, par exemple. A l’inverse, il a la capacité de déclencher un mécanisme de vigilance consistant à amplifier ou à prolonger la sensation de douleur. «Comme le cerveau décide si une douleur est nécessaire et que cette décision est influencée par de nombreux facteurs, une douleur ne signifie pas la présence d’une lésion. La mémoire de la douleur, certaines croyances, le catastrophisme ou encore le visuel peuvent convaincre le cerveau qu’il y a un danger et qu’une douleur est nécessaire», rétablit l’équipe du CHU de Liège.
Forcément douloureux?
Les fausses croyances sont non seulement nombreuses mais également très répandues parmi la population. Il y a une dizaine d’années, une prise de conscience s’est opérée dans la manière d’envisager la gestion du mal de dos. Auparavant, lorsqu’un patient se plaignait de douleurs dorsales, on l’envoyait faire toute une batterie d’examens (échographie, scanner, IRM) pour déceler une potentielle anomalie et orienter la prise en charge en fonction des résultats révélés.
En 2015, une étude publiée dans American Journal of Neuroradiology a livré d’étonnants enseignements. Les chercheurs ont analysé les résultats d’examens d’imagerie médicale de plus de 3.000 patients qui ne se plaignaient pas de douleurs dorsales pour évaluer la prévalence, par âges, des affections dégénératives courantes de la colonne vertébrale. Il est apparu que la prévalence de la dégénérescence discale chez les individus asymptomatiques passait de 37% des individus de 20 ans à 96% de ceux de 80 ans; la prévalence du bombement discal de 30% chez les personnes de 20 ans à 84% chez celles de 80 ans; la prévalence de la protrusion discale de 29% chez les sujets de 20 ans à 43% chez ceux de 80 ans; et la prévalence de la fissure annulaire de 19% chez les jeunes de 20 ans à 29% chez les aînés de 80 ans.
L’étude a surtout démontré qu’une dégénérescence de la colonne vertébrale était présente chez une proportion élevée d’individus asymptomatiques: 24% des sujets de 20 à 30 ans présentent au moins un disque pincé et 33% des 40 à 50 ans une hernie discale.
Ce qui, jusque-là, était décrit comme une «lésion» ou une «anomalie» à traiter apparaît donc régulièrement chez des gens qui ne se plaignent en réalité d’aucune douleur. «Ces anomalies étaient considérées comme pathologiques alors qu’elles ne l’étaient pas. A partir de 2015, on a commencé à envisager le mal de dos autrement et à émettre des recommandations mais plus uniquement sur le plan médical. En tenant également compte de l’aspect social et psychologique et du mode de vie», retrace Corentin Brunet, kinésithérapeute à l’école du dos et coordinateur à la Clinique du sport du CHU Brugmann.
Aujourd’hui, le médecin chez qui un patient se plaignant d’un mal de dos se présente, commencera par écarter d’éventuels «drapeaux rouges» qui le feraient suspecter une maladie grave sous-jacente. Il peut s’agir d’une infection, d’une maladie inflammatoire, d’un cancer ou encore d’une fracture. En l’absence de ces drapeaux rouges, la lombalgie est qualifiée de «commune», ce qui ne signifie pas qu’elle ne doive pas être traitée, ni que la douleur est inexistante. Pour évaluer quelle sera la prise en charge la plus adaptée, le médecin devra encore évaluer la structure anatomique à l’origine de cette douleur: nerf, disque, articulation, muscle…
La prise en charge des lombalgies se joue à plusieurs niveaux. Le premier réflexe d’un individu dont le dos fait souffrir est de prendre un cachet de paracétamol ou un anti-inflammatoire. Dans certains cas, lorsque la douleur est très vive, le médecin pourra prescrire des corticostéroïdes, mais qui présentent des effets secondaires, des antidouleurs plus puissants tels que le Tramadol, des décontractants musculaires ou encore des antidépresseurs, pour moduler la douleur. Dans le cas d’une hernie discale, des infiltrations peuvent également être envisagées.
Tabac et alcool, facteurs de risque
Si les médicaments font disparaître ou atténuent la douleur, ils ne l’empêchent pas de revenir. En réalité, le moyen le plus efficace d’en finir avec la lombalgie se résume en un mot: bouger. L’une des fausses croyances les plus tenaces sur la lombalgie est qu’il est préférable de mettre son dos au repos. Or, il faut faire exactement l’inverse. «Le meilleur moyen de relâcher un muscle contracté est de le contracter à nouveau en faisant de l’exercice», préconise Corentin Brunet. Et pas uniquement de la natation ou du yoga. Bien que ces pratiques soient à juste titre réputées excellentes pour le dos, elles sont loin d’être les seules à pouvoir dénouer les tensions musculaires. «L’erreur que font beaucoup de personnes est d’attendre d’aller mieux avant de reprendre une activité physique ou même de bouger. A l’école du dos, nous travaillons sur la capacité de celui-ci à absorber les chocs et sur l’endurance des muscles. Les patients pratiquent divers sports. Ils font du sprint, des sauts et s’exercent à porter des charges lourdes et ce, même en cas de lombalgie aiguë. Ils apprennent à doser l’effort pour ne pas en faire trop, ni trop peu.»
L’une des fausses croyances les plus tenaces sur la lombalgie est qu’il est préférable de mettre son dos au repos.
Au CHU Brugmann, les patients traités pour des douleurs dorsales sont encadrés par une équipe multidisciplinaire qui travaille avec eux sur tous les aspects du quotidien: kinésithérapeutes, médecins, ergologues, diététiciens, psychologues. En effet, le mode de vie est un facteur déterminant dans le déclenchement de la lombalgie: ainsi l’alcool produit-il une déshydratation de l’organisme, ce qui peut mener à une fatigue ou à des blessures musculaires. Il aurait également pour effet de rendre les personnes plus sensibles à la douleur.
Des études ont également démontré que fumer multiplie par trois le risque de souffrir de maux de dos. La nicotine restreint le flux sanguin vers la colonne vertébrale, ce qui a pour effet de limiter l’apport d’oxygène et de nutriments aux disques intervertébraux. Cela peut entraîner une dégénérescence des disques, une discopathie, et augmenter le risque de lombalgie. Le surpoids et l’obésité, qui augmentent la pression sur la colonne vertébrale, sont d’autres causes sur lesquelles le patient à la faculté d’agir.
Les séances de kinésithérapie ou d’ostéopathie font généralement partie des recommandations pour soulager les douleurs dorsales. Les manipulations opérées au cours de ces séances et les exercices à domicile proposés aux patients (encore faut-il qu’ils les fassent) permettront de soulager le patient mais, comme pour les médicaments, ils est préférable de s’attaquer aux causes plutôt que de se limiter à atténuer les symptômes, considère Corentin Brunet. «Ce ne sont pas cinq minutes d’exercices quotidiens qui soigneront le mal de dos. Ils sont certes importants mais l’évolution dépendra surtout de ce que le patient mettra en place dans son quotidien. Dans ma pratique, je passe beaucoup plus de temps à éduquer qu’à manipuler.»
«Si le patient est presque systématiquement envoyé chez le kiné, c’est surtout pour réapprendre à exécuter les mouvements, complète le Dr. Laura Leahu, qui dirige le service de médecine physique et réadaptation de l’Ecole du dos du CHU Brugmann. Les séances visent à améliorer la posture, en apprenant à garder une position assise sans rétroverser le bassin et à éviter les postures dites «vicieuses», comme garder le dos voûté et les épaules enroulées lorsqu’on travaille face à un ordinateur». Chaises ergonomiques, tapis de marche et ceintures lombaires peuvent être d’une certaine utilité mais ne feront pas de miracles, évalue le Dr. Leahu. «Ce qui donne de réels résultats, c’est de ne pas rester assis toute la journée. Dans la mesure du possible, l’idéal est d’alterner la position assise avec des moments durant lesquels on travaille debout, sur une table haute, par exemple.»
Rester debout toute la journée n’est pas plus recommandé. Les personnes qui exercent des travaux manuels ne sont pas plus épargnées par le mal de dos. Un ouvrier de chantier, par exemple, aura probablement les muscles du dos plus endurants mais encore faut-il qu’il les sollicite au bon moment. «Le lien doit s’établir entre le cerveau et le groupe musculaire qui doit se contracter au bon moment lorsqu’il s’agit de soulever une charge lourde. Les techniques d’épargne vertébrale servent à adopter ces réflexes.»
Dans une note sur les croyances délétères des patients lombalgiques, le Pr. Christophe Demoulin rappelle que la confiance du patient dans le corps médical, notamment les kinés et les ostéopathes, ou, au contraire, la méfiance (kinésiophobie) envers ces praticiens, est susceptible d’influencer son évolution. De même que la manière dont il envisage le rôle qu’il peut jouer dans sa propre guérison.
«La représentation qu’il se fait de son affection et son sentiment d’efficacité personnelle conditionnera son comportement […] Certains patients sont convaincus de la non-efficacité des techniques préconisées par le soignant, comme les exercices, d’autres sont persuadés qu’ils nécessitent une prise en charge spécifique, telle qu’une intervention chirurgicale, ou un repos au lit. Ces croyances peuvent avoir un effet sur l’adhérence thérapeutique et l’efficacité des traitements. Par ailleurs, complète le Pr. Demoulin, des attentes irréalistes relatives au bénéfice des traitements existent parfois. Il est donc important de définir des objectifs concrets, réalistes et quantifiables dès le départ.» Et, on ne le dira jamais assez, de se fier à la règle d’or: toujours rester en mouvement, pour en finir avec le mal de dos.
Travailleurs agricoles, aides-soignants, infirmiers… les jobs les plus à risque
Selon une enquête européenne sur les conditions de travail, 60% des travailleurs sondés estiment que leur travail a une influence sur leur état de santé. Citée par 33%, la lombalgie occupe la tête de liste des troubles liés au travail, relaie le SPF Emploi.
Si la prévalence est particulièrement élevée au sein de professions ou types d’entreprises particuliers, elle est plus élevée parmi les travailleurs agricoles, les travailleurs de la construction, les charpentiers, les conducteurs d’engins, les infirmiers, les agents de nettoyage, les aides-soignants ou encore les aides familiales. En l’absence de chiffres précis, l’estimation des coûts économiques des problèmes de santé liés au travail varie de 2,6% à 3,8% du PIB dans les Etats membres.
En Belgique, le Centre belge d’expertise en soins de santé (KCE) estime qu’au cours des dix dernières années, un quart des patients âgés de 18 à 75 ans ont consulté leur médecin généraliste pour un problème de lombalgie. Le coût global de la lombalgie est compris entre 270 millions et 1,6 milliard d’euros par an. Selon ce rapport, 6,6% des accidents du travail entraînent une lésion du dos. 72% de ces lésions engendrent un arrêt de travail et 9,5% une incapacité partielle permanente.