Pas trop d’eau pendant le repas, ni de verres trop frais, ni de grandes quantités en une fois… Internet regorge de conseils pour bien boire de l’eau. Sont-ils pertinents? Le point avec deux experts.
Une pincée de sel dans son verre d’eau matinal? Maximum trois gorgées pendant le repas pour favoriser la digestion? Eviter les verres remplis de glaçons, surtout en cas de forte chaleur? Les réseaux sociaux distillent de nombreux conseils sur les meilleures manières de boire de l’eau, afin de ménager la digestion, de faire le plein d’énergie et de prendre soin de ses reins. Ils ont certes le mérite de la mettre au-devant de la scène. «L’eau joue un rôle particulièrement important dans la thermorégulation et l’hydratation, résume Sciensano, l’Institut national de santé publique. Boire de l’eau « nature » permet de bénéficier d’un apport hydrique essentiel sans calories. En fonction de sa teneur en minéraux, l’eau peut également contribuer aux apports en calcium, magnésium et sodium.»
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Quelle quantité d’eau par jour?
Or, la plupart des Belges n’en boivent pas assez, comme le montrent les résultats de la dernière enquête nationale de consommation alimentaire (2022-2023). Bien que les indicateurs soient en progression depuis la précédente, 56% des répondants de 18 à 64 ans disent boire moins d’un litre d’eau par jour. Les Flamands boiraient un peu moins d’eau que les Wallons. La consommation semble aussi aller de pair avec le niveau d’éducation: plus on est instruit, plus on boit de l’eau, révèle l’enquête.
«L’apport total en eau (c’est-à-dire l’eau provenant des aliments et des boissons) doit être de deux litres par jour pour les femmes adultes et de 2,5 litres par jour pour les hommes adultes, poursuit Sciensano. Etant donné que les adultes absorbent environ 1 à 1,5 litre par jour à partir des aliments, ils devraient boire 1 à 1,5 litre d’eau par jour.» Les cafés, thés, soupes, voire les jus, peuvent en faire partie, mais il est toujours recommandé de privilégier l’eau en tant que telle, du fait des consommations de sel, de sucre ou de caféine associées aux autres boissons. Pour être plus précis, la consommation journalière idéale est liée à la quantité de calories dépensées. «Environ 65% des calories sont dépensées pour le fonctionnement de notre organisme, expose Nathalie Delzenne, professeure de métabolisme et de nutrition à l’UCLouvain et membre du Conseil supérieur de la santé. Le reste des dépenses dépend des mouvements volontaires. Un sportif dépense plus de calories. C’est la raison pour laquelle il faut tenter d’avoir un apport en eau d’un litre pour 1.000 kilocalories (kcal) dépensées.»
Ne pas trop boire en une fois?
Faut-il éviter de boire trop d’eau en une fois ? C’est ce que préconisent certaines publications, alertant sur les conséquences pour la digestion et les reins, qui encaisseraient de ce fait un trop gros volume de travail. Il est toujours préférable de boire régulièrement tout au long de la journée. «On étanche mieux sa soif de la sorte, reconnaît Nathalie Delzenne. Mais pour un individu en bonne santé, il n’y a pas de contre-indication particulière.» Directeur des services de néphrologie de l’Hôpital Erasme et du CHU Saint Pierre, par ailleurs professeur à l’ULB, Alain Le Moine confirme: «Ce n’est que quand on est malade que c’est un problème. L’organisme d’une personne en bonne santé peut s’adapter à des variations extrêmement fortes dans les deux sens. En revanche, vous allez davantage uriner et moins garder cette eau. Le fait de boire subitement beaucoup d’eau peut aussi être source d’inconfort.»
Pour les personnes atteintes d’une maladie rénale, les conseils bénéfiques pour certaines peuvent s’avérer néfastes pour d’autres. «Les gens vont sur Internet, lisent des avis de pseudo-experts, alors qu’il n’est jamais bon de prendre des informations générales dans des cas particuliers, souligne Alain Le Moine. Il faut en discuter avec son néphrologue et son médecin traitant.»
«En encombrant les gens avec trop de principes, le cerveau ne s’en sort plus, ce qui peut précisément perturber la digestion.»
Boire à petite dose pendant le repas?
C’est un fait: manger donne soif. Mais selon une croyance répandue, il faut éviter de boire beaucoup d’eau pendant le repas; quelques gorgées tout au plus, pour éviter de diluer les sucs gastriques et de pénaliser la digestion. Il n’existe pourtant pas de preuves scientifiques solides en ce sens. L’estomac est capable de s’adapter. Certains préconisent de boire 30 minutes avant le repas, puis une heure après. Autant de règles inutilement contraignantes, estime Nathalie Delzenne. «D’un individu à l’autre, les choses peuvent de toute façon être complètement différentes. En encombrant les gens avec de tels principes, le cerveau ne s’en sort plus, ce qui peut précisément perturber la digestion. L’important, c’est de penser à s’hydrater régulièrement et de privilégier l’eau, qui reste le meilleur véhicule.»
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Eviter de boire trop froid?
Est-il déconseillé de boire de l’eau très fraîche, en particulier lors de fortes chaleurs? Là encore, tout est dans la mesure. Il n’y a rien de problématique à apprécier un verre avec des glaçons, à condition de laisser le temps à l’organisme de s’adapter. «Comme les températures extérieure et corporelle sont beaucoup plus élevées, cela crée un stress thermique, acquiesce la professeure de l’UCLouvain. Le premier organe qui le ressentira, c’est effectivement le tractus gastro-intestinal. Un rafraîchissement trop brutal peut aussi provoquer une contraction des vaisseaux sanguins. L’organisme doit amener l’eau consommée à la température corporelle pour permettre tous les processus physiologiques d’absorption.»
«Ajouter des minéraux dans l’eau, c’est surtout un argument commercial.»
Ajouter des sels minéraux?
Enfin, certaines publications préconisent d’ajouter des sels minéraux à l’eau consommée, comme le magnésium et le sodium, à défaut de quoi l’eau chasserait ces derniers de l’organisme. Or, pour Alain Le Moine, une alimentation correcte suffit amplement. «Rajouter des sels minéraux dans l’eau, c’est essentiellement un argument commercial. On voit aujourd’hui que certaines eaux qui se prétendaient meilleures que les autres pour les os, vendues à 200 fois le prix de l’eau du robinet, sont en fait bourrées de PFAS.» Récemment, l’Office français de la biodiversité (OFB) a découvert des taux «exorbitants» de microplastiques dangereux pour la santé dans les eaux des marques Contrex et Hépar. Une accusation démentie par Nestlé Waters, dont le procès débutera en novembre prochain.
Pour Nathalie Delzenne, l’eau reste en général une source très intéressante de minéraux, sans devoir nécessairement y ajouter des compléments. «Les boissons très minéralisées s’adressent surtout aux personnes pratiquant une activité sportive intense.» Quelle que soit l’eau contenue dans un verre d’alcool, et n’en déplaise aux amateurs, cela n’a en revanche pas de sens d’intégrer un tel apport dans sa consommation journalière. «L’organisme a besoin d’eau pour la métabolisation de l’éthanol, considéré comme toxique. Donc, cela déshydrate.» De même, les sodas ne constituent logiquement pas une alternative saine, l’absorption de glucose créant des déséquilibres hydriques. Pour les personnes qui jugent l’eau trop fade, l’ajout de pastilles aromatisées reste une solution de repli, à condition d’en connaître la composition. Ou mieux encore, comme le préconise Alain Le Moine: agrémenter une cruche d’eau de citrons bio et de menthe. «Aucun soda ne sera aussi bon et rafraîchissant.»