Anne-Sophie Bailly

Pourquoi avoir la possibilité de retirer cent euros au Bancontact est loin d’être anodin

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

La Belgique accueillera bientôt 4000 distributeurs automatiques de billets. C’est peu, mais important pour ne pas se diriger tout droit vers une société sans cash.

D’ici à 2027, quatre mille distributeurs automatiques de billets (DAB) seront harmonieusement répartis sur l’ensemble de la Belgique. C’est avec un chiffre rond, la satisfaction d’avoir arraché un accord et une voix unie que le gouvernement fédéral, Febelfin (la fédération belge du secteur financier) et Batopin (consortium réunissant Belfius, BNP Paribas Fortis, ING et KBC) ont annoncé que le problème d’accès au cash était en passe d’être résolu. Que l’hémorragie de guichets automatiques allait enfin être stoppée. Que, bientôt, chaque citoyen (re)trouverait un DAB près de chez lui.

Cette annonce visait surtout à faire mentir l’impression que la Belgique avançait à marche forcée vers un monde sans cash. Sentiment avivé par l’importante diminution du nombre d’agences bancaires, la réduction massive du nombre de distributeurs en activité, le développement des applications de paiement, l’explosion des transactions sans contact, l’imposition d’une limite pour les règlements en espèces, l’obligation faite aux commerçants de proposer au moins un moyen de paiement digital. Le tout renforcé par une foule d’arguments prompts à vouer aux gémonies pièces et billets. Citons pêle-mêle les plus classiques: le coût de manipulation et de stockage particulièrement onéreux pour les banques et les commerçants, les risques de fraude, de blanchiment d’argent, de corruption, de travail au noir, de vol.

Autant d’arguments auxquels leur contraire peut facilement être opposé. L’argent virtuel n’est pas gratuit, serveurs, applications, maintenance se paient aussi. Quant au risque de fraude, il ne concerne essentiellement que les petits joueurs, la fraude massive se concevant davantage à l’aide de montages offshore, de paradis fiscaux et de cryptomonnaies. Quant à la sécurité, rappelons qu’en 2021, une cyberattaque sur deux fut couronnée de succès dans la zone euro et que la Banque centrale européenne (BCE) ne cesse de pointer la vulnérabilité du secteur financier aux hackers.

Priver les clients d’un accès au cash, c’est les garder captifs.

C’est donc que l’enjeu pour alimenter ce désamour du cash se trouve ailleurs.

Dans cet ailleurs, on trouve, entre autres, la récolte de données. Car chaque paire de chaussettes achetée par carte, chaque sachet d’œufs de Pâques payé par smartphone, chaque billet d’avion réglé en ligne laisse une trace numérique au travers du Merchant Category Code (MCC). Traces que, malgré l’instauration du règlement général de protection des données, le RGPD, des data brokers peu regardants tentent de croiser et de monétiser. Et qui constituent une mine d’or potentielle pour leur propriétaire.

Dans cet ailleurs, on trouve aussi un filet de sécurité pour les banques. Pas de cash, pas de possibilité de bank run. Les exemples de la Silicon Valley Bank qui a vu ses clients retirer massivement leur argent et précipiter sa faillite ou de ces Libanais en colère qui «braquent» des banques pour récupérer leur propre épargne n’en sont que les plus récents. Priver les clients d’un accès au cash, c’est les garder captifs.

Garder un maillage suffisant de distributeurs, avoir la possibilité de retirer cent euros au Bancontact est loin d’être anodin. C’est garder le droit d’utiliser une ressource. En toute liberté.

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