Le Vif

Le néocolonialisme de la Cour pénale internationale, une critique dépassée?

La critique adressée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger pour quitter la Cour pénale internationale est moins robuste qu’il y a dix ans.

Le 22 septembre, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé, par un communiqué conjoint, se retirer du Traité de Rome ayant institué la Cour pénale internationale (CPI) en 1998. A ce jour, aucun d’entre eux n’a encore envoyé, comme l’exige le Statut de la Cour, une notification écrite au Secrétaire général des Nations unies et l’avenir dira si leurs déclarations seront suivies d’effet. Les trois Etats étaient parties à la CPI depuis le début des années 2000 et ont coopéré régulièrement avec la Cour dans le cadre d’affaires diverses. Mais, comme le souligne leur communiqué, «il leur a été donné de constater que cette juridiction s’est transformée en instrument de répression néocolonial aux mains de l’impérialisme, devenant ainsi l’exemple mondial d’une justice sélective».

Dans les années 2010, l’Union africaine avait déjà exprimé sa préoccupation «en ce qui concerne la politisation et l’utilisation abusive des inculpations des dirigeants africains par la Cour pénale internationale». Il faut dire qu’à l’époque, toutes les personnes qui y étaient accusées étaient des nationaux d’Etats africains. Cette sélectivité pouvait s’expliquer en partie par le fait que plusieurs de ces Etats –y compris le Mali– avaient eux-mêmes déféré à la Cour des affaires concernant des actes commis sur leurs territoires. Si la critique adressée à la Cour quant à sa sélectivité ne manque pas de fondement, elle est moins robuste aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ans. En 2022, des mandats d’arrêt étaient émis à l’encontre de trois hommes russes et/ou géorgiens pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis durant la guerre de 2008 en Géorgie. La Cour a aussi visé six responsables russes, y compris le président Poutine, pour des crimes commis dans le contexte du conflit en Ukraine. Des mandats d’arrêt ont encore concerné des responsables du Hamas (aujourd’hui décédés) ainsi que deux responsables israéliens, le Premier ministre Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Gallant, pour des crimes commis dans le contexte du conflit à Gaza. Et la Cour reste à ce jour saisie de faits perpétrés en Afghanistan par les talibans, par les forces de sécurité nationales afghanes mais aussi par des membres de forces armées états-uniennes et des agents de la CIA en 2003 et en 2004, même si les mandats d’arrêt pris dans cette situation ne visent à ce jour que des responsables talibans.

Si le Burkina Faso, le Mali et le Niger devaient se retirer de la Cour, ils seraient loin d’être les premiers. Une telle décision a déjà été prise par le Burundi en 2017, les Philippines en 2018 et la Hongrie en 2025. Ces retraits éloignent sans doute la Cour de son but de s’établir comme une cour universelle. Mais ils signalent peut-être aussi une forme de succès de l’institution dont le travail est jugé suffisamment menaçant pour que les Etats souhaitent s’y soustraire. Souvenons-nous enfin que de telles annonces ne sont pas toujours suivies d’effet et que lorsqu’elles le sont, elles n’ont rien d’inéluctable. L’Afrique du Sud avait annoncé publiquement se retirer de la Cour en 2016 avant de renoncer à son projet en 2017. Quant à la Gambie, elle avait bien notifié sa décision de retrait en 2016, mais avait ensuite souhaité demeurer partie à la Cour à la suite d’un réexamen de cette question par le nouveau gouvernement.

Anne Lagerwall est professeur de droit international à l’ULB.

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