Anne Lagerwall

La guerre saisie par la justice

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

La Cour européenne des droits de l’homme a récemment décidé qu’elle pouvait examiner les requêtes introduites par l’Ukraine et les Pays-Bas contre la Russie au sujet de comportements adoptés dès 2014 dans le Donbass. Ces requêtes concernaient notamment la destruction, le 17 juillet 2014, du vol MH17 de la compagnie Malaysia Airlines qui avait fait près de trois cents victimes, majoritairement néerlandaises.

La Cour n’a pas encore établi de responsabilité au sujet des violations alléguées des droits humains dans cette affaire mais elle a décidé qu’elle pouvait les examiner pour vérifier si la Russie s’était bien conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle elle était alors encore partie. Cela n’était pas si évident dès lors que la Cour ne peut juger des entités sécessionnistes comme lesdites Républiques de Louhansk et de Donetsk.

Si la Cour a accepté d’exercer sa compétence à l’égard de la Russie dans cette affaire, c’est parce qu’elle était convaincue que cet Etat exerçait, à partir du 11 mai 2014, un contrôle effectif sur les territoires concernés tant son soutien militaire, politique et économique aux séparatistes fut important. Les prochains mois amèneront la Cour à décider si la Russie peut être tenue responsable des violations des droits humains qui lui sont reprochées…

La situation est inédite, car les actions dirigées par un Etat contre un autre sont rares devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Anne Lagerwall

Cette affaire est l’une des cinq qui opposent l’Ukraine et la Russie à Strasbourg. Cette situation est inédite car les actions dirigées par un Etat contre un autre sont particulièrement rares devant la Cour. Depuis sa création, celle-ci n’a connu qu’une trentaine de requêtes interétatiques alors que les requêtes individuelles dont elle a été saisie se comptent en dizaines, voire en centaines de milliers.

Cette situation est d’autant plus inédite que la dernière requête dirigée contre la Russie, le 28 février 2022 – quelques jours après le lancement de ce que Poutine a convenu d’appeler une «opération militaire spéciale» – a été suivie par des demandes émanant d’un nombre particulièrement élevé d’Etats tiers souhaitant intervenir dans cette affaire. Alors que de telles demandes sont généralement le fait d’un ou deux Etats très directement intéressés, ce sont ici pas moins de 23 Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme qui manifestent leur volonté d’être associés à cette affaire. Un même mouvement s’est produit devant la Cour internationale de justice, l’organe judiciaire principal des Nations unies, qui est également saisie par l’Ukraine d’une requête contre la Russie depuis le 26 février 2022.

Que signale cette mobilisation d’Etats très majoritairement occidentaux? Une attention collective portée à la justice internationale? L’expression d’une solidarité à l’égard d’un allié? Elle est en tout cas sans précédent. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle contraste avec l’accueil que ces Etats ont réservé, il y a quelques semaines, à l’idée de saisir la Cour internationale de justice au sujet de la situation en Palestine. L’Assemblée générale des Nations unies a finalement décidé de demander à la Cour un avis consultatif à ce propos. Mais plus de la moitié des Etats qui s’y sont opposés étaient occidentaux, sans compter ceux qui se sont abstenus de prendre part au vote…

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