Benjamin Hermann

Le lieu commun de Benjamin Hermann | Avec l’asile, quand on veut, on ne peut pas toujours

Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Appelez cela l’exercice du pouvoir, le principe de réalité, éventuellement de la lucidité. En politique, être «pragmatique» revient souvent à renoncer à quelques-uns de ses fondamentaux. La secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (CD&V), n’est pas la première et ne sera pas la dernière à accepter quelques entorses aux grands principes.

Ce n’est pas à elle, qui a une solide formation de juriste, qu’il faut expliquer à quel point outrepasser explicitement un arrêt du Conseil d’Etat constitue le franchissement d’une ligne rouge. Elle le répète: elle est en phase avec l’arrêt du 13 septembre, qui suspend sa décision de ne plus faire bénéficier des mesures d’accueil les hommes seuls ayant demandé l’asile en Belgique.

C’est illégal et fort peu reluisant, mais ce n’est jamais qu’une entorse supplémentaire à l’Etat de droit, pour un Etat belge qui a déjà fait l’objet de condamnations par centaines à propos de sa gestion de l’asile.

La posture de la secrétaire d’Etat n’a rien d’une surprise. L’opposition peut s’en offusquer, les plus éminents professeurs d’université dénoncer ce refus d’obtempérer, Nicole de Moor ne transige pas. Il lui est matériellement impossible d’assurer un accueil pour tous, assène-t-elle. Alors, plutôt que de laisser des familles, donc des enfants, à la rue à l’approche de l’hiver, elle doit se résoudre à discriminer une part des demandeurs d’asile.

Il ne suffit pas de dire que quand on veut, on peut. Nicole de Moor le veut, mais ne le peut, faute de places. C’est du moins le discours qu’elle tient, au grand dam des acteurs de terrain, qui réclament le déploiement de moyens supplémentaires pour octroyer un minimum de dignité à des êtres humains venus chercher l’asile.

Le portefeuille de l’Asile et de la Migration est décidément une arme à double tranchant. Les tenants d’une approche «ferme mais humaine», expression qui ne signifie rien en soi, ont par le passé alimenté leur popularité sur la question. Mais la coalition suédoise a aussi implosé sur la thématique du pacte de Marrakech.

En dépit de la dimension matérielle de l’accueil, du respect de l’Etat de droit et, surtout, de la dignité humaine, la thématique migratoire ressurgit encore dans la sphère politique belgo-belge, même si le débat est régulièrement renvoyé à l’échelon européen. Le pape, lors de sa récente visite en France, a eu beau émettre un appel à davantage d’humanité en la matière, cela aura valu, chez nos voisins aussi, quelques expressions tout aussi vides de sens. On «fait sa part», chacun doit «prendre ses responsabilités» et, en reprenant la malheureuse antienne de Michel Rocard, «on ne peut pas accueillir toute la misère du monde».

Après avoir enfoncé quelques portes ouvertes, on n’aura rien fait à l’affaire, en Belgique pas plus qu’ailleurs. A l’approche d’une année électorale de tous les dangers, on veillera à rassurer son électorat, à bander les muscles et sortir les crocs. On épinglera une secrétaire d’Etat qui s’est mise «hors la loi», comme l’a déclaré le coprésident d’Ecolo. On évitera néanmoins d’en faire une affaire de gouvernement ou de réclamer une tête. On sait qui se délecterait d’une crise aiguë sur la thématique migratoire. On aura beaucoup parlé, mais rien résolu.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire