Anne-Sophie Bailly

Taxer les colis Shein ou Temu de 2 euros et se priver d’un plaisir immédiat? Pas sûr que ça suffise

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

L’idée de taxer les colis de Shein ou Temu de 2 euros fait son chemin. Est-ce que cela suffira à brider l’arrivée massive de colis? Pas sûr…

«Au fait, ça se prononce châ-ine, chine, cheine?» La question risque de revenir dans les conversations alors que Shein a annoncé l’ouverture prochaine de magasins en France. Pour la plateforme chinoise, peu importe que chacun y aille de sa propre prononciation, le principal est de s’être imposée en quelques années seulement comme un géant de l’e-commerce, dont les cinq lettres sont connues de tous. Pour ne citer qu’un chiffre, plus d’un consommateur belge sur deux a acheté au moins un produit sur une boutique en ligne asiatique, comme Shein ou son concurrent Temu, au cours des douze derniers mois. Avec, pour conséquence, des bulles à vêtements qui débordent de textiles bas de gamme, des douanes qui croulent sous les colis, des centres-villes qui se vident et des faillites d’enseignes commerciales à répétition.

Face à ce constat, la Commission européenne a proposé, en mai dernier, d’instaurer une taxe de deux euros sur les petits colis de moins de 150 euros provenant de l’extérieur de l’Union, avec pour objectif de financer les contrôles douaniers et de soutenir les entreprises européennes face à la concurrence d’acteurs qui ne respectent pas les normes environnementales ni sociales ni de sécurité. Idée reprise à l’échelon belge par Les Engagés et le MR, qui y voient une piste de recettes potentielles en cette heure de conclave budgétaire.

«Temu ou Shein ne vendent pas tant des produits qu’une célébration de la consommation.»

L’intention est louable, mais l’initiative nie deux réalités.

La première, c’est le business model de ces plateformes. Partir du postulat que seul le prix plancher des produits proposés suscite l’acte d’achat, que celui-ci ne répond qu’à un comportement rationnel, c’est négliger la dimension émotionnelle sur laquelle ces acteurs de l’e-commerce fondent leur structure. Promotion temporaire, offre spéciale et quantité limitée suscitent une fausse impression de rareté et un sentiment d’urgence qui précipitent le clic sur l’icône «acheter». En bonus, un shoot de dopamine, une gratification immédiate procurée par un panier validé.

La seconde, c’est la dimension sociétale incluse dans ces commandes pour certains acheteurs. En proposant un large éventail de produits à des prix planchers, ces plateformes ont attiré une catégorie de consommateurs qui n’avaient peut-être pas accès à une telle quantité de biens et pour lesquels cette possibilité accrue de posséder procure un sentiment d’ascension sociale. Les avis prescripteurs et les évaluations positives renforcent tant l’illusion d’appartenance à une communauté que le sentiment de poser le bon choix, celui partagé et recommandé.

Temu ou Shein ne vendent pas tant des produits qu’une célébration de la consommation. Deux euros ajoutés au panier n’y changeront rien.

(Au fait, on prononce chi-ine, le nom est issu de She Inside (she–in). Comme ça vous savez.)

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