Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux : Zuhal Demir, une ministre menacée. Pourquoi tant de haine ? (chronique)

Pierre Havaux Journaliste au Vif

La ministre flamande de l’Environnement est sous haute protection policière depuis que son effigie a été accrochée à une potence dressée sur un tracteur. Zuhal Demir fait face à la grosse colère paysanne. En femme forte. A la carrure de future ministre-présidente de Flandre ?

C’est le gibet de trop. Celui qui oblige une ministre à se mettre sous protection policière. Qui la contraint à resserrer l’accès à son cabinet, à placer son domicile sous surveillance, à renoncer à sa voiture de fonction avec chauffeur au profit d’un véhicule blindé avec deux agents fédéraux commis à sa garde. Zuhal Demir (N-VA), classée niveau 3 sur l’échelle de la menace par le Centre de crise national, expérimente douloureusement la détention, à haut risque dans un état d’urgence climatique, du portefeuille de l’Environnement.

A Merksplas, en région anversoise, la ministre n’avait pas craint d’aller une fois encore au contact. A la rencontre d’agriculteurs à la merci d’un stikstofakkoord qui prétend les condamner, à moyen terme, à travailler dans un environnement nettement moins tolérant aux émissions nocives d’azote que leurs exploitations ont pour habitude de dégager. Le comité d’accueil avait fait le déplacement, porteur de messages qui étaient tout sauf de bienvenue. A la sortie de la réunion, le piège s’est refermé sur Zuhal Demir, en butte à une colonne de tracteurs décidée à contrarier son départ. A l’avant d’un des engins agricoles, une poupée accrochée à une potence avec ce placard: «La corde pour Demir.» Plus intimidant que ça, tu meurs. Même dictées par la colère, ce ne sont pas là des manières de recevoir. Pareille menace valait bien le dépôt d’une plainte.

Le monde paysan flamand est d’une humeur de gilet jaune. La malédiction a pris le visage de Zuhal Demir.

Parfum de jacquerie. Le monde paysan flamand est d’une humeur de gilet jaune, convaincu qu’on n’en finit pas de vouloir lui pourrir la vie alors qu’il estime avoir déjà beaucoup sacrifié pour réconcilier agriculture et nature. La malédiction qui le poursuit a pris le visage de Zuhal Demir, source de tous leurs maux et tracas. Raccourci aussi grossier que fallacieux: le défi climatique, le respect des normes européennes, la paralysie qui guette en Flandre la politique des permis d’exploiter en raison de décisions juridiques, tout condamne le gouvernement à prendre le taureau par les cornes.

Mais alors, pourquoi ce permis accordé à l’entreprise chimique Ineos pour donner une nouvelle vie à de la matière plastique, dans une nouvelle installation à ériger dans le port d’ Anvers? Parce que ce feu vert est scientifiquement fondé et répond aux normes en vigueur, riposte benoîtement la ministre, elle que l’on soupçonne de céder aux intérêts de la puissante industrie anversoise chère au bourgmestre Bart De Wever (N-VA), quand on ne l’accuse pas d’être à la solde du lobby environnemental. Car il se dit dans les campagnes aux penchants complotistes que certains milieux amis de la nature projetteraient de faire main basse sur des terres agricoles bientôt sans valeur.

Zuhal Demir sur la corde raide? Pas sûr. «Il n’est pas mauvais qu’elle puisse se présenter en Don Quichotte face aux agriculteurs», éditorialisait Het Belang van Limburg. En femme forte, qui sait tenir tête là où, par cruel contraste, son coreligionnaire Ben Weyts s’empêtre dans le naufrage de l’enseignement. De quoi épaissir l’étoffe d’une future ministre-présidente, ce destin qu’entrevoit pour elle, en 2024, un certain Bart De Wever. «Vous dormez encore bien, madame Demir?», lui a lancé une paysanne en colère. Du sommeil du juste.

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