Georges-Louis Bouchez accuse l’opposition d’avoir rompu le cordon sanitaire. C’est absurde et faux. Et cela pourrait se retourner contre lui-même.
La base de la logique formelle repose sur le principe de non-contradiction. Celui-ci postule fort simplement qu’on ne peut pas affirmer simultanément tout et le contraire de tout. Si A est vrai, le contraire de A est nécessairement faux.
Mais dans les interstices mous de la logique pure se glissent les pièges de la raison politique et, parfois, le contraire de A n’est pas vraiment son contraire, et alors on ne sait plus ce qui est faux et ce qui est vrai. Prenons l’exemple de l’accusation de rupture du cordon sanitaire professée par Georges-Louis Bouchez à l’adresse du PS, d’Ecolo-Groen, du PTB-PVDA et de DéFI, qui l’autre semaine ont reçu, à la Chambre, le soutien des 20 députés Vlaams Belang pour renvoyer au Conseil d’Etat des amendements proposés par l’opposition, donc pour reporter la limitation dans le temps des allocations de chômage.
C’est vrai que sans ces 20 voix d’extrême droite, la réforme n’aurait pas été reportée. Il faut en effet que 50 députés fédéraux sur 150 valident une demande de renvoi à la section de législation du Conseil d’Etat pour que celle-ci soit saisie. Dire le contraire serait faux.
Georges-Louis Bouchez ne dit donc rien de faux quand il affirme que l’opposition, donc surtout la gauche, a dû s’associer à l’extrême droite pour reporter la mise en œuvre de la réforme. Mais s’il pense que c’est vrai que le cordon sanitaire a été rompu parce que plus de 50 députés ont demandé qu’une institution légale examine un texte de loi, alors il doit penser que le cordon sanitaire aurait été également rompu si plus de 101 députés avaient refusé que cette même institution légale examine le même texte de loi. Parce que pour que la demande de renvoi ne passe pas, il aurait fallu que les 20 voix de l’extrême droite s’associent à celles des députés de la majorité pour ne pas la demander.
Dans ce cas, alors, la majorité, pour éviter la rupture du cordon sanitaire que dénonce Georges-Louis Bouchez lorsque les voix de l’opposition d’extrême droite s’associent à celles de l’opposition de gauche, aurait dû voter avec l’opposition de gauche pour le renvoi des amendements devant le conseil d’Etat, donc pour le report de la réforme, donc contre ce qu’elle voulait mettre en œuvre.
Souvent, à la Chambre, l’extrême droite vote avec la droite, dont elle est moins éloignée que de la gauche, et personne ne dit jamais que la droite rompt le cordon sanitaire, parce que les voix du Belang ne sont pas susceptibles de faire basculer une décision, dans un camp ou dans un autre. Ici, la position du Vlaams Belang était décisive. Dire le contraire serait faux.
Mais dire qu’on aurait fait le contraire, à savoir voter contre soi pour ne pas donner un poids décisif à la position de l’extrême droite est encore plus faux. Heureusement pour Georges-Louis Bouchez, personne n’a osé déranger ses paralogismes avec cette question de bon sens, et il n’a pas dû dire le contraire du vrai.
Mais la réalité pourra peut-être le forcer à le faire. Les tentatives dilatoires de renvoi au Conseil d’Etat ne sont pas rares, à la Chambre, et il n’est pas impossible que le Vlaams Belang soutienne alors la majorité contre l’opposition. Cette prochaine fois, Georges-Louis Bouchez pourra dire qu’il n’est pas le premier à faire ça, et cela sera vrai. Mais il ne pourra plus dire qu’il n’a pas rompu le cordon sanitaire, parce que cela serait le contraire de ce qu’il disait vrai la semaine dernière.
Dans les interstices mous de la logique pure se glissent les pièges de la raison politique, et parfois on ne sait plus ce qui est faux et ce qui est vrai.