Benjamin Hermann

Le lieu commun de Benjamin Hermann | La CLA (de m…), La Lune, le doigt

Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’affaire de la carte PMR s’est presque transformée en affaire de la CLA (de m…). En attendant, l’information de base a été éclipsée. Ce n’est pas pour autant que ces polémiques automobiles sont totalement inintéressantes.

«Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt.» On peut attribuer pas mal de sens à l’adage, mais il recouvre toujours cette idée selon laquelle les idiots sont incapables d’accéder au sens profond des choses. L’idiot est superficiel, il s’attarde sur le signe et non sur le message. Le sage, lui, est supérieur, car il désigne la Lune.

Le proverbe peut pourtant se révéler plus riche en enseignements qu’il n’y paraît. La Lune, celui qui la montre, son doigt et celui qui le regarde forment un ensemble à quatre composantes, qui entrent en relation et méritent qu’on s’y attarde, au lieu de subdiviser péremptoirement le monde entre sages et idiots.

L’actualité regorge d’exemples où l’on regarde le doigt, parce qu’il s’y cache une série d’informations dignes d’intérêt. Lorsque le président ukrainien débarque dans le Bureau ovale du président américain, celui-ci lui fait remarquer qu’il porte un costume particulièrement seyant. La conversation ne porte pas sur le costume mais sur le fait qu’une autre tenue avait fait l’objet de questions incongrues lors de son précédent passage –un désastre diplomatique. Quelques mois plus tard, le commentaire vestimentaire peut donner lieu à une série d’interprétations sur l’évolution de leur relation, l’ascendant de l’un sur l’autre, etc.

Dans un tout autre contexte et un tout autre pays, un épisode marquant de l’été aura aussi suscité son lot d’observations lunaires et digitales. Il s’est agi, comme l’avait dévoilé Le Vif, d’un président de parti, d’une voiture, d’un chauffeur qui a fini par être viré, d’une carte PMR périmée et d’une floppée de PV dressés en conséquence.

L’information, reprise par divers médias, a circulé. Le président a téléphoné à une journaliste, s’est emballé, a vraisemblablement proféré des menaces physiques, et l’enregistrement de la conversation a fuité. Parmi les passages qui ont marqué les esprits, une phrase a fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Le véhicule mis à la disposition du président, a-t-il dit, n’est pas «cette p… de CLA de m…, c’est une GLC qui vaut deux fois le prix». Depuis peu, c’est même une GLE, «ça vaut trois fois le prix.  Tu peux le mettre dans l’article, comme ça les gens m’attaqueront sur un truc qui est vrai. J’ai une voiture à plus de 100.000 balles, voilà!»

On a vérifié dans le catalogue d’un célèbre constructeur allemand, parce qu’on aime aussi regarder le doigt.

On a vérifié dans le catalogue d’un célèbre constructeur allemand, parce qu’on aime aussi regarder le doigt. Les proportions sont probablement un peu gonflées, mais le montant tient la route. Voilà!

Bien des internautes ont détourné la conversation, avec talent, juste pour se marrer. C’est bien leur droit. D’autres commentateurs se sont offusqués du train de vie mené par l’auteur de ces mots, voire par la classe politique dans son ensemble. C’est aussi leur droit. D’autres encore se sont offusqués du fait que l’on s’en offusque. Ou regretté qu’on n’aborde pas les problèmes de fond.

Un quotidien a même consacré un article aux voitures des présidents de parti, qu’elles leur appartiennent ou non. Franchement, ce n’est pas dénué d’intérêt.

Le sujet initial aura un peu été éclipsé. C’est la conversation, son enregistrement et son fuitage qui auront un temps occupé l’espace. En révélant leur lot de petits enseignements sur ceux qui aiment les belles voitures, ceux qui les méprisent parce qu’ils sont au-dessus de cela, ceux qui les envient parce qu’ils sont en dessous de cela, ceux qui s’en amusent, s’en inquiètent ou s’en contrefichent.

Chacun se sera senti un peu sage, probablement.

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