Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | «TAIS-TOI, t’es PAS DRÔLE»: réflexions sur le postulat «on ne peut plus rien dire»

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

«On ne peut plus rien dire»: cette phrase est devenue très à la mode. A une époque, précisément, où il n’a jamais été aussi possible de tout dire. Ce qui a vraiment changé, par contre, c’est que la réponse à ceux qui disent tout n’est désormais plus le silence.

Faut pas lui en vouloir, au gars: en tant que Français, sans doute Kallagan n’avait-il pas réalisé que les blagues sur Charleroi, à Bruxelles, se révèlent aussi originales qu’en France celles sur les Marseillais. Mais bon, ça fait toujours marrer, une vanne anti-carolo (surtout en tant que Liégeoise, sans doute en raison d’un certain soulagement éprouvé à ne plus être la cible des moqueries sur les ploucs wallons), et jusque-là, sa première partie au Cirque Royal, le 14 mai dernier, se passait plutôt bien. Puis l’humoriste a commencé à tacler les femmes, les trans, les gays et bien que la salle riait assez sonorement, tout est devenu malaisant. Une femme, dans le fond, s’est mise à lui hurler dessus, et bien que tout n’était guère compréhensible, les bribes «tais-toi, t’es PAS DRÔLE, mais TAIS-TOI!» étaient parfaitement audibles.

Kallagan a débité la fin de son sketch à toute vitesse puis s’est éclipsé de la scène, ostentatoirement mal à l’aise, lâchant tout de même un doigt d’honneur à destination de la spectatrice en colère. Sans doute, en coulisses, a-t-il dû maudire les féministes, haïr les wokes, et s’indigner de ce que «vraiment, on ne peut plus rien dire».

Ah, combien de fois ne l’entend-on pas cette phrase? Encore prononcée récemment par un gars qui s’émouvait que sa blague, qu’il reconnaissait volontiers homophobe, n’ait reçu qu’un accueil glacial lors d’un séminaire professionnel, auquel participait d’ailleurs un collègue homosexuel.

Bon. A ce stade, une décortication de cette phrase s’impose. Le «on», d’abord. Force est de constater que ce pronom impersonnel se révèle ici, en réalité, très fréquemment et majoritairement masculin. Bien sûr, certaines Chantal et Gisèle s’en emparent, en particulier sur les commentaires Facebook, sans doute inconsciemment pour plaire aux Jean-Pierre et aux Etienne qui ont toujours régi –et gâché– leur vie.

On peut toujours tout dire. Mais le silence n’est aujourd’hui plus la (seule) réponse.

Bref. «Dire», ensuite. Un euphémisme: insulter, moquer, rabaisser, railler, ridiculiser seraient, tout bien réfléchi, des verbes souvent plus adéquats, au regard des contextes lors desquels ils sont employés.

Suivant. «Rien». Curieusement, ce mot est utilisé juste après s’être justement permis de tout dire.

Enfin: «ne plus». Duo de mots sous-entendant qu’il fut, un jour, autorisé de lâcher n’importe quelle énormité en toute impunité. Primo, c’est un peu rapidement oublier que les lois encadrant la liberté d’expression ne datent pas d’hier. Deuxio, les réseaux sociaux n’ont jamais autant permis de tout dire. N’importe quel quidam peut poster n’importe quelle opinion à propos de n’importe quel sujet et adresser sa haine à n’importe qui sans écoper de n’importe quelle sanction (ces fameuses lois qui ne datent pas d’hier sont très peu adaptées au monde d’aujourd’hui). Pendant qu’un président d’un Etat plus très uni raconte quotidiennement n’importe quoi et que son acolyte, l’homme le plus riche du monde, fait pour sa part n’importe quoi (comme un salut nazi).

Mais quelque chose a bien changé, sans quoi une femme très énervée lors d’un spectacle d’humour ne beuglerait pas sur un gars qui a osé faire une blague sur l’égalité des genres. Cette transformation, c’est la réponse. Le retour, la réaction, le fait qu’il existe désormais quelqu’un, quelque part, qui vocifère en retour. Quelqu’une (le plus souvent) qui signale «mec, désolée, mais ce que tu dis, c’est de la merde». On peut toujours tout dire. Mais le silence n’est aujourd’hui plus la (seule) réponse. Après, bon, quand on paie un ticket pour assister à un spectacle d’humour, mieux vaut soi-même en avoir un peu.  

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