C’est un phénomène rare, mais survenant un peu partout dans le monde, y compris en Belgique. Face à des grossesses non désirées, il arrive que de (très) jeunes femmes accouchent seules et jettent ensuite le bébé dans une poubelle. Alors qu’elles subissent la honte sociale et les conséquences judiciaires, les géniteurs, eux, continuent leur vie loin de opprobre.
Elle semble irréelle, si minuscule, emmitouflée dans sa couverture blanche à fleurs roses. Samuel da Silva dos Santos a d’ailleurs d’abord cru que la petite boîte, déposée à côté d’une benne à ordures dans une rue de Rio de Janeiro, ne contenait qu’une poupée. Jusqu’à ce que le bébé ouvre les yeux. «C’est une guerrière!», s’émeut l’éboueur dans une vidéo qui, depuis avril dernier, fait le tour de la Toile. Il y a 18 ans, il avait découvert un autre poupon dans une poubelle. Décédé.
Pourquoi choisissent-elles toujours des poubelles? De Rio à Madrid, en passant par Berlin. A Rennes, à Beaumont-sur-Sarthe, à Mably, à Soissons, à Briançon, à Clermont-Ferrand… Mais aussi, en 2023, à Bruges, et dix ans plus tôt à Charleroi. Toujours une poubelle. Ou un sac-poubelle.
Toujours des jeunes femmes, aussi, lorsqu’elles sont identifiées. Très jeunes. A Bruges, Claudia avait 23 ans. Elle ne savait même pas qu’elle était enceinte, avait-elle juré aux enquêteurs. A Charleroi, la mère n’avait que 14 ans. Elle avait accouché seule, dans son lit. Et retourné le matelas pour camoufler les taches de sang.
Faut-il poursuivre ces gamines? Si oui, pour quel motif? Non-assistance à personne en danger? Délaissement ou abandon de mineur? Meurtre, parfois? Mais peut-on réellement tuer un enfant qu’on ignorait porter? Sont-elles réellement responsables? Si oui, de quoi?
Parfois, certaines évacuent ce problème trop lourd pour elles. Où d’autre, si ce n’est dans une poubelle?
D’ignorance, très certainement, alors que des organisations continuent de s’opposer, jusqu’à devant la Cour constitutionnelle, à l’instauration de cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle dans les écoles. Alors que tant de parents continuent de laisser leurs gosses plonger dans la sexualité sans jamais rien leur en expliquer. Alors oui, parfois, certaines se saisissent d’un sac, et évacuent ce problème trop lourd pour elles, comme si rien ne s’était passé. Où d’autre, si ce n’est dans une poubelle?
Pendant que ces jeunes filles voient leur vie s’effondrer, pendant que la justice se débat avec le sort qu’il faudrait leur réserver, les géniteurs, eux, poursuivent tranquillement leur vie. Comme s’ils n’avaient jamais eu de relations sexuelles avec ces gamines sans se tracasser du sort de leur sperme. Coupables d’ignorance, eux aussi? Peut-être. Ou de lâche insouciance.
En mars dernier, le journal Le Monde publiait une enquête sur ces «bébés poubelles». La journaliste, Lorraine de Foucher, avait retrouvé l’un de ces géniteurs, Karim. Lorsqu’il couche avec Thelma, elle a 17 ans, lui 24 –et lui fait croire qu’il n’en a que 18 et est célibataire, alors qu’il est marié et père d’un enfant. Jamais il ne se protège. Les préservatifs, il n’«aime pas». Lorsqu’il est auditionné par la police, après que Thelma a jeté son nouveau-né dans une poubelle à Rennes, en 2023, après avoir accouché seule dans sa chambre, Karim s’inquiète de l’état de santé du poupon et l’assure: s’il avait su qu’il était le père, «jamais [il] ne lui aurai[t] laissé faire ce qu’elle a fait, [il] aurai[t] assumé jusqu’au bout».
Il voulait reconnaître l’enfant mais, pas de chance, il a perdu le portable où se trouvaient les informations pour réaliser la démarche. Dix-huit mois après ce jour d’octobre 2023, Karim n’a pris aucune nouvelle du petit. Mais bon, il a «honte» et il est «triste». En plus, sa femme l’a quitté. Chienne de vie.