Anne Lagerwall

La fin de l’Empire britannique. Really? (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

Comment est-il possible qu’en 2022, on doive encore répéter que les peuples anciennement colonisés ont le droit de prendre en main leur propre avenir ?

La disparition de la reine Elizabeth II signe-t-elle la fin de l’Empire colonial britannique? On serait tenté de le croire à lire les analyses qui affleurent ces jours-ci tant la reine paraît y incarner le déclin de l’Empire et sa mort en emporter les dernières traces. Au cours des septante ans de son règne, la reine en a vu, d’anciennes colonies accéder à l’indépendance et d’anciens comptoirs se détacher de la Couronne. Peut-on pour autant affirmer que les territoires sous son autorité coloniale en ont tous été libérés aujourd’hui? Rien n’est moins sûr.

A quelque 5 800 miles de Londres, au milieu de l’océan Indien, l’archipel des Chagos attend toujours son heure. Depuis 1814, les sept atolls qui le composent sont sous le contrôle du Royaume-Uni, au même titre que l’île Maurice, située au sud-est de l’archipel, et dont il dépend administrativement. Le plus grand de ces atolls, du nom de Diego Garcia, a suscité toute l’attention des Etats-Unis qui émettent le vœu, à partir des années 1960, d’y installer une base militaire.

Depuis près de soixante ans, les Chagossiens se battent pour pouvoir retourner sur leurs terres. © belga image

Une entente sera passée avec le Royaume-Uni pour que l’armée américaine puisse la bâtir, à charge pour Londres d’en expulser les Chagossiens. A cette fin, le Royaume-Uni propose, en 1965, aux autorités mauriciennes, toujours soumises au régime colonial, que l’archipel des Chagos en soit détaché. Après avoir tenté d’en négocier la substance, les Mauriciens, dont la marge de manœuvre est alors limitée, acceptent la proposition qui prévoit que l’archipel leur reviendra si le Royaume-Uni cessait d’en avoir besoin.

A quelque 5 800 miles de Londres, l’archipel des Chagos attend toujours son heure.

Dans les années qui suivent la proclamation de l’indépendance de Maurice, le 12 mars 1968, les Chagossiens sont expulsés de leurs îles et il leur est interdit d’y revenir. Ils tentent depuis d’obtenir réparation pour les violences qu’ils ont subies et de faire valoir leur droit à s’établir dans leur archipel. Saisie d’une demande d’avis consultatif à ce sujet de la part de l’Assemblée générale des Nations unies, la Cour internationale de justice souligne, en 2019, que le Royaume-Uni est tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos. Le Royaume-Uni avait bien admis devant la Cour que «la façon dont les Chagossiens furent déplacés hors de l’archipel des Chagos et la manière dont ils furent par la suite traités étaient honteuses et injustes, et que cette conduite était fort regrettable». Mais rien n’indique qu’il sera prochainement mis fin à cette situation.

Alors que les funérailles de la reine Elizabeth II se déroulaient à Londres, d’autres étaient organisées au même moment en Belgique pour un illustre professeur belge de droit international, de cinq ans son cadet. Il s’appelait Jean Salmon. Sa vie a notamment été consacrée à rappeler le droit à l’indépendance de la Palestine, également sous administration britannique par le passé, et à expliquer combien les intérêts des Etats les plus puissants permettent de comprendre qu’on ne reconnaisse pas dans un cas ce qu’on reconnaît pourtant dans un autre. S’il existe un endroit où se retrouvent ceux et celles qui disparaissent, il est probable que Jean Salmon est déjà en train d’y exposer à Elizabeth II toutes les inégalités que son Empire a forgées aux quatre coins du monde et qu’il lui demande comment il est possible qu’en 2022, on doive encore répéter que les peuples anciennement colonisés ont le droit de prendre en main leur propre avenir.

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