Anne Lagerwall

Hommage à la détermination des dames suisses face au dérèglement du climat (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

La plainte de l’association des aînées suisses pour obliger le gouvernement de Berne à prendre des mesures plus ambitieuses pour le climat a abouti à sa condamnation.

C’est en 2016 que se crée en Suisse l’association Aînées pour le climat et que débute une saga judiciaire qui s’est clôturée le 9 avril à Strasbourg. Elles étaient 40 à l’origine, et plus de 2.000 à la fin, généralement âgées de 70 ans au moins et bien décidées à obliger la Suisse à prendre des mesures plus ambitieuses pour lutter contre le dérèglement climatique. Elles s’inquiétaient d’une réduction insuffisante des émissions de gaz à effet de serre dans leur pays et de leur impact sur le climat, leur santé, leur vie, ainsi que sur celles des générations futures.

Il ne fait guère de doute que les femmes âgées subissent plus durement les effets des vagues de chaleur que connaissent aujourd’hui nos contrées d’Europe occidentale sous la forme de maladies cardiovasculaires ou de problèmes respiratoires. ONU Femmes note en particulier dans son «Gros plan sur l’égalité des sexes 2023» que le nombre de décès liés à la chaleur enregistrés à l’été 2022 dans 35 pays européens était plus important chez les femmes que chez les hommes. Lorsque les tribunaux suisses avaient été saisis d’une demande visant à faire condamner l’Etat à agir plus et plus vite dans ce domaine, ils n’avaient toutefois pas été convaincus que les dames concernées étaient individuellement affectées dans leurs droits et avaient rejeté leur action.

Elles ont alors saisi, en 2020, la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête arguant que la Suisse, en omettant de prendre les mesures qui s’imposent et en ne reconnaissant pas leurs griefs, se rendait responsable d’une violation de leur droit à la vie, de leur droit d’accès à la justice et de leur droit au respect de leur vie privée. La Cour s’est appesantie sur l’obligation de protéger ces dames contre les effets négatifs graves qu’ont les conséquences du changement climatique. Cette obligation impose à la Suisse d’adopter et d’appliquer, de manière effective et concrète, des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs de ce changement climatique. Or, dans le cas d’espèce et d’après la Cour, la Suisse «faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente pour la conception, le développement et la mise en œuvre du cadre législatif et réglementaire pertinent» a manqué à ses obligations en vertu de l’article 8 de la Convention qui garantit le respect de la vie privée. Une analyse dont l’application dans le contexte du changement climatique est inédite.

Huit Etats européens sont intervenus dans la procédure pour y exprimer leur vue. Une série de centres de recherche, d’académiques et d’associations ont mis à la disposition de la Cour leur expertise sur les délicates questions soulevées dans l’affaire. A travers son arrêt de 286 pages, la Cour a soigneusement construit et exprimé pour la première fois sa position à ce sujet et si sa décision ne concerne formellement que la Suisse, elle recèle des interprétations qui ne manqueront pas de s’appliquer à tous les autres Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme, y compris la Belgique. Quelle détermination et quelle ténacité ont animé ces femmes d’un âge vénérable pour voir la violation de leurs droits finalement reconnue après tant d’années!

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