Franklin Dehousse

Christine Lagarde et Ursula von der Leyen, le choc des contraires

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Des discours récents de la présidente de la Banque centrale européenne et de la présidente de la Commission européenne révèlent des visions différentes des défis de l’Europe.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont prononcé au même moment un discours sur les défis de l’Europe, l’une à Berlin, l’autre à Aix-la-Chapelle. La comparaison révèle l’énorme différence entre les deux dirigeantes.

Avec Ursula von der Leyen, les poncifs se déversent en cataractes sur le thème d’une Europe indépendante. Celle-ci postule plusieurs objectifs, parfois disconnectés. Premièrement, un redressement militaire, présenté à tort comme en cours. Selon elle, «nous fournissons jusqu’à 800 milliards d’euros pour la défense». Mais cet argent n’a pas encore été récolté, et encore moins affecté. En outre, même après plus de trois ans de guerre en Ukraine, on n’a toujours pas des emprunts communs et une gestion commune des armements. Deuxièmement, une Europe compétitive. De nouveau, une marée d’objectifs généraux et de jargon bureaucratique. Du plan Draghi pour réparer une Europe en panne, bien plus réaliste, on ne dit rien de précis. On retient la «simplification», comme si les dizaines d’autres recommandations n’existaient pas.

Troisièmement, une Europe élargie. Là, le pathos tient lieu de seule stratégie. L’élargissement est une  «nécessité morale», une «précondition d’une Europe forte». L’anti-Delors par essence. Jacques Delors a toujours lutté pour que l’Union se réforme avant de s’élargir, faute de quoi elle risquait de se disloquer. Quatrièmement, un renouvellement de la démocratie. Ursula von der Leyen se dit inquiète par la montée des partis extrémistes. Or, elle y contribue beaucoup par ses nominations contestées et ses refus de transparence. Elle a d’ailleurs été sèchement condamnée par les juges européens pour ne pas avoir fourni ses SMS relatifs à des contrats de 35 milliards d’euros de vaccins.

Le discours de Christine Lagarde relève d’un autre univers, plus réaliste, et plus honnête. Le passé ne sert qu’à éclairer les contraintes du présent. La démarche se base sur des chiffres précis, et non des poncifs. D’abord, la connexion entre la géopolitique et l’économie. En clair, l’Europe doit développer sa capacité militaire (et commerciale) si elle veut développer sa capacité financière. Ensuite, la relance de l’économie. Lagarde revient au cœur du débat: depuis 25 ans, la productivité du travail a augmenté deux fois plus aux Etats-Unis qu’en Europe. Un redressement exige des réformes: l’union bancaire, l’union des capitaux, et la création de titres en qualité et nombre suffisants. A deux reprises, Christine Lagarde critique implicitement von der Leyen. Toutes les réformes doivent être mises en œuvre, et pas seulement les plus faciles. Par ailleurs, dans plusieurs domaines, l’intégration doit être renforcée si on veut des résultats. Enfin, elle attire l’attention sur l’importance d’une réforme institutionnelle générale, «en renforçant la majorité qualifiée là où un seul veto a souvent paralysé l’Union.» No pain, no gain.

La force du message de Christine Lagarde éclaire avec cruauté la vacuité de celui d’Ursula von der Leyen. L’une fait son job, l’autre du vent.

Franklin Dehousse est ancien représentant spécial de la Belgique, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.


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