Thierry Fiorilli
C’est beau comme parler à une rose posée sur l’oreiller, comme on le faisait avec son conjoint
Anne-Marie et Jean devaient fêter leurs 66 ans de mariage ce 18 avril. Mais Jean est mort le 1er de ce mois, la nuit, dans son lit. Crise cardiaque. Anne-Marie a alors cherché dans le carnet d’adresses de son mari, pour avertir celles et ceux dont elle n’avait pas le numéro. Par téléphone, parce que «je ne me suis jamais mise à l’ordinateur. J’ai juste une tablette.» Elle a donc prévenu. Elle a expliqué tout ce qui s’est passé depuis le décès et ses préoccupations pour tout ce qui va changer.
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Parce que «Jeannot s’occupait de tout. Il recevait les factures par courriel. Il éteignait tous les soirs la box pour la télé. Il coupait le gaz du chauffe-eau –il était très soucieux de la sécurité– et le rallumait le matin. Il m’aidait pour monter l’escalier, en rentrant à la maison, un bel étage, puisque depuis mon opération au cerveau, je perds facilement l’équilibre. Il conduisait pour les courses, il m’emmenait à l’hôpital, chez notre nièce –notre seule famille, avec son époux, puisqu’on n’a pas eu d’enfant–, au restaurant.» Et donc, là, elle s’inquiète:
– «Comment signaler aux organismes qui envoient les factures qu’il ne faut plus le faire sur le mail de Jean? Me les enverra-t-on par la poste?»
– «Comment rallumer l’installation télé tous les jours? Avec mes mains qui tremblent et trois télécommandes… C’est devenu si compliqué ces appareils.»
– «Le chauffe-eau est placé haut et je n’arrive pas à voir la flamme quand je dois le rallumer.»
– «Je n’ai pas le mot de passe de l’ordinateur et Jean ne l’a laissé nulle part. On a essayé avec ma nièce, après avoir trouvé des codes dans des cahiers, mais aucun ne fonctionnait et un technicien m’a dit qu’on l’avait bloqué puisqu’on a fait plus de trois tentatives.»
– «On était allé visiter une résidence, qui nous plaisait bien, mais il y avait une liste d’attente. Et, deux semaines avant le décès, Jean m’avait demandé: « Qu’est-ce que tu dirais si la résidence m’avait rappelé pour signaler que la place s’est libérée? » J’avais répondu: « Non, en fait, non, on est si bien ici, chez nous. » Mais maintenant que je suis toute seule, dois-je y rester?»
«Il était beau! Avec ses cheveux blancs bien peignés et sa belle chemise, il était comme quand on allait au restaurant!»
Toutes ces choses-là. Sur lesquelles elle a déjà reçu des apaisements: de la banque, du neveu, des voisins «qui sont très gentils». Et donc:
– «Les différents organismes seront informés du décès et, oui, ils vous enverront les factures papier, sur simple demande.»
– «N’éteins pas la box chaque soir, juste la télé.»
– «Ne coupez plus le gaz du chauffe-eau, vous ne risquez rien, il est en parfait état et ça ne consomme pas de façon scandaleuse.»
– «On trouvera une solution, ne t’inquiète pas.»
– «Ne prenez pas de décision maintenant. Voyez comment se déroulent les prochains mois, si vous vous sentez toujours bien chez vous, ou plus du tout, si vous vous en sortez, si vous êtes véhiculée par des proches…»
Elle dit aussi, avec ravissement, qu’elle a donné aux «pompes funèbres de jolis vêtements, pour préparer Jeannot. Et quand je l’ai vu! Il était beau! Avec ses cheveux blancs bien peignés et sa belle chemise, il était comme quand on allait au restaurant! Et puis, ces personnes m’avaient demandé de quitter quelques instants la chambre, avant d’emmener le corps. Quand j’y suis entrée, elles avaient posé sur son oreiller une rose blanche, avec une longue tige. Je l’y ai laissée et je lui parle, quand je me couche et quand je me réveille. Comme je parlais à Jean. Et quand elle sera fanée, j’irai en acheter une autre. Pour toujours lui parler!»
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