Thierry Fiorilli

C’est beau comme la chevalière qui pesait des tonnes d’amour

Thierry Fiorilli Journaliste

Parfois, le ciel annonce un cataclysme mais le vent souffle déjà le chemin à prendre pour en réchapper.

Comme l’autre jour. Vendredi 13. Autant dire qu’ici, on n’en menait pas large. Avec en plus une météo et des infos à précipiter dans la dépression toute La Compagnie créole. Or voilà qu’on tombe, par hasard, sur Un jour dans l’histoire, sur La Première. On y rend hommage à Henri Verneuil, mort il y a 21 ans. Entre évocation, témoignages et interviews d’archives, on y rappelle que c’était un gros bras du cinéma: Le Clan des Siciliens, Un singe en hiver, Week-end à Zuydcoote, Mélodie en sous-sol, I comme Icare, La Vache et le prisonnier, Le Mouton à cinq pattesArrivé d’Arménie à Marseille, à 4 ans, avec «apatride» tamponné sur ses papiers, de son vrai nom Achod Malakian, il a dirigé Claudia Cardinale, Fernandel, Jean Gabin, Lino Ventura, Yves Montand, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Louis de Funès, Bernard Blier, Philippe Noiret, Henry Fonda, Anthony Quinn, Yul Brynner, Michel Bouquet, Omar Sharif… Du très lourd.

Elle avait cette discrétion qui consiste à ne pas appuyer sur la valeur du cadeau mais sur ce qu’on souhaite qu’il apporte.

A la fin de l’émission, il raconte: «Pendant seize ans, mes parents travaillent dur pour m’envoyer dans les écoles, comme on disait dans le Midi. En 1943, je présente le concours d’entrée à l’Ecole des ingénieurs Arts et Métiers d’ Aix. Le résultat sera affiché à 17 heures. Je leur dis que je serai de retour à 20 heures, avec le tram Aix-Marseille de 18 heures (un par heure). A 17 heures, je vois que je suis reçu. Un camarade m’emmène fêter ça. Je ne prends que le tram de 19 heures. A cent mètres de l’arrêt, à Marseille, je vois mon père, qui agitait les bras, d’une façon désespérée, criant: « Ça ne fait rien, tu réussiras l’année prochaine! ». En arrivant à la maison, c’est ma mère: « Tu sais, on ne réussit pas toujours du premier coup. Ne t’inquiète pas. » Je vous passe le dîner qu’on a fait. Ma mère me remet alors une petite boîte en carton. Elle avait cette discrétion qui consiste à ne pas appuyer sur la valeur du cadeau mais sur ce qu’on souhaite qu’il vous apporte: « Que ça te porte bonheur, toujours, etc., etc. » C’était une chevalière, en or véritable comme on dit dans les petites bijouteries. Et hors des moyens de mes parents. J’embrasse ma mère et je m’aperçois qu’elle n’a plus sa grosse alliance, orientale. Coup d’œil sur les doigts de mon père: plus d’alliance non plus. J’ai compris le prix de cette chevalière. Toute petite, dérisoire, mais qui doit peser quelques milliards de tonnes d’amour.»

On les imagine avoir discuté, avant le concours. Avoir décidé, pour le cadeau. Puis avoir cru que le fiston avait raté. On comprend pourquoi cette chevalière ne l’a plus jamais quitté, lui. On pense à tous ces parents, dont les nôtres, qui ont tout fait et font encore tout, pour leurs enfants. A ce qu’on leur doit. A tous ceux qui savent ce qu’ils leur doivent. Qui ne l’oublient pas, jamais. Sans culpabilité. Juste plus forts de quelques milliards de tonnes d’amour.

Et l’allée lumineuse balaie les ombres cataclysmiques. Même si on se demande ce qu’est devenu ce petit bijou, dans tous les sens du terme.

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