Thierry Fiorilli

C’est beau comme les bottes d’Aboubakar Soumahoro (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ni gilet jaune ni mèche de cheveux. Mais des bottes. En caoutchouc, vertes, qu’on enfile quand on doit se farcir la fange. Les siennes étaient d’ailleurs toutes sales quand il est arrivé pour l’installation du nouveau Parlement italien, le 13 octobre, issu du scrutin du 25 septembre remporté par la droite très radicale. Pour lui, c’était la première fois. Lui: Aboubakar Soumahoro, 42 ans, né en Côte d’Ivoire et arrivé dans la Botte – décidément – quand il en avait 19. Il y a longtemps trimé comme saisonnier, à cueillir fruits et légumes.

C’est là qu’il a fait connaissance avec celles qui allaient lui servir tant de compagnes que de signes distinctifs de sa condition: les bottes en caoutchouc. Indispensables pour son labeur. Son exploitation, a-t-il toujours corrigé. Alors, pour son entrée au Parlement, dominé par une coalition qui, entre un salut fasciste et un signe de croix, ne fait pas mystère de sa détermination à «rendre l’Italie aux Italiens», Aboubakar Soumahoro, l’unique député noir, a surgi sanglé dans l’uniforme actuel des hommes politiques occidentaux: costume bleu étroit, cravate fine et chemise blanche. Mais le bas du pantalon enfoncé dans ses bottes en caoutchouc. «Les mêmes qui ont pataugé dans la boue de la misère», a-t-il précisé.

Il fallait les porter parce qu’elles «représentent la lutte, les souffrances, les désirs et les espoirs». Il fallait les porter «pour qui est exploité et pour qui a faim». Il fallait les porter pour garder «les pieds bien ancrés dans la réalité».

Noir, ex-sans papier, ex-sans-abri, ex-mandaï, élu de Verts et Gauche: Aboubakar Soumahoro coche toutes les cases que vomit la majorité du Parlement dans lequel il siège désormais. Celui d’un pays aux comportements racistes, depuis des lustres, dans ses stades et ses rues, sur ses réseaux sociaux, ses canaux et ses plages. Il sait donc que la bourbe ne s’arrête pas aux marches des palais, fût-ce celui où les sociétaires prétendent encore se faire appeler «honorables». Ses bottes vont donc encore servir.

Son parcours aussi. Parce qu’il a créé des comités et un syndicat pour les immigrés esclavagisés dans les champs agricoles. Parce que, malgré les discriminations, malgré la loi Bossi-Fini (déjà la droite très radicale), adoptée il y a vingt ans et qui criminalise le migrant clandestin et tout qui lui vient en aide, il s’est désenglué de «la boue de l’exploitation». En luttant, en manifestant – «Papa, il va faire la liberté», s’ exclamait, petit, son fils –, en décrochant un diplôme de sociologue (à l’université de Naples) et en devenant «le» porte-voix et porte-drapeau des «Invisibles»: migrants, pauvres (toujours plus nombreux en Italie), LGBTQ+…

Le «i» majuscule qu’Aboubakar Soumahoro leur accole et les bottes qu’il arbore en leur honneur les sortent déjà de l’ombre. En attendant que ce soit aussi du cloaque. Ils prouvent en plus que «les bas-fonds de l’humanité», comme il dit de sa vie d’avant, ne viennent pas toujours à bout de l’immensité contenue dans les personnes qu’on y jette.

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