Une carte blanche signée Jaques Balthazart et Eric Muraille, deux biologistes, suite à des évènements survenus en marge d’une conférence à l’ULB.
L’Université libre de Bruxelles (ULB) peut s’enorgueillir de son passé de pionnière de libre examen, dès sa création en 1834, elle a incarné les idéaux des Lumières, brillamment défendus par le physicien Henri Poincaré: «La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être.» Le Cercle du Libre Examen (LIBREX), fondé en 1928, a longtemps promu la tenue de débat pluraliste, le respect des opinions divergentes et la primauté de la raison et des faits scientifiques sur les émotions et les croyances.
Ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. En 2024, aux cris de «pas de fachos sur notre campus», plusieurs organisations étudiantes, dont le Librex et le Comité Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) – ULB, ont tenté d’empêcher un débat politique pluraliste sur l’Europe à l’ULB au prétexte qu’il impliquait, entre autres, Georges-Louis Bouchez, désigné comme fasciste. Ils ont récemment récidivé en perturbant une conférence de Jacques Balthazart, biologiste et Pr. émérite de l’Université de Liège, intitulée «Biologie de l’homosexualité» et dont le but est d’aborder des sujets de société pouvant être clivant tout en respectant les principes du libre examen.
Une conférence pseudoscientifique et homophobe?
Le 14 novembre 2025, jour de la conférence, de nombreux stickers proclamant «Vive la lutte armée du peuple palestinien» édités par le groupuscule révolutionnaire marxiste Classe-Contre-Classe ont été collés sur les portes de l’auditoire. Des tracts anonymes critiquant la conférence et diffamant son comité organisateur ont été distribués au public: «Fachos, homophobes, sexistes, transphobes, islamophobes… Hors de nos luttes et de nos universités». Sur un texte associé aux tracts, on pouvait lire: «Il est impératif […] d’établir une limite claire entre des propos qui peuvent contribuer au débat scientifique et ceux qui sont dangereux pour la communauté, étayant ainsi un narratif réactionnaire. Ces derniers se doivent d’être bloqués.» En effet, lors de sa prise de parole, le Pr. Balthazart a été interrompu par trois fois par le déclenchement des alarmes incendies du bâtiment. Plus de cent spectateurs ont été exposés pendant dix minutes aux sirènes.
La conférence s’est ensuite tenue dans le calme. Il y a eu des questions demandant des précisions ou explications complémentaires, mais jamais de contestation du message global ou des données présentées, preuve que le contenu de la conférence n’avait rien de choquant. La vidéo de la conférence permet de le vérifier.
Pourtant, le 19 novembre, le Librex n’a pas hésité à publier un communiqué reprenant et développant l’argumentaire des tracts et a réclamé via une pétition «l’annulation du cycle « Sciences et Société », en raison de son manque de rigueur scientifique et de son but politique réactionnaire et dangereux.» La Faculté de Médecine est accusée de «cautionner, même indirectement, la diffusion de thèses pseudoscientifiques affectant des groupes vulnérables». Ces accusations ont été reprises en ligne par le Cercle queer de Bruxelles ainsi que par plusieurs médias indépendants de gauche, comme Stuut, infoLibertaire et Bruxelles Dévie.
Des accusations mensongères et une déformation de l’exposé
Selon le Librex, la conférence du Pr. Balthazart était «basée sur des travaux datés et pseudoscientifiques véhiculant des idées réactionnaires». Il est accusé d’avoir «tenu des propos homophobes et transphobes». Les droits fondamentaux d’étudiants seraient «menacés par la reproduction de ce genre de discours». L’article de Bruxelles Dévie surenchérit en affirmant que «pendant la conférence, Balthazart a justifié les mutilations génitales d’enfants intersexes à la naissance, arguant qu’il serait trop « compliqué » d’attendre que l’enfant grandisse et décide pour son propre corps. Des mutilations sur des bébés, voilà ce que défend un professeur invité par l’ULB au nom du « débat scientifique »».
Ces accusations, parmi bien d’autres, relèvent de la pure calomnie et prêtent au Pr. Balthazart des propos qu’il n’a jamais tenus ou qui ont été délibérément sortis de leur contexte explicatif. Il n’a à aucun moment défendu les mutilations génitales d’enfants intersexes. Au contraire, il a souligné la complexité de ces situations, rappelé que les pratiques ont évolué avec le temps et qu’aujourd’hui, les décisions se prennent de manière éclairée, dans un dialogue entre le corps médical, les parents et les enfants, lorsque ceux-ci ont atteint un âge permettant une évaluation objective.
De même, il n’a jamais soutenu que les explications de l’homosexualité humaine reposaient sur une extrapolation directe d’expériences menées chez les oiseaux ou les rongeurs. Il a précisé que les expériences causales réalisées sur les animaux servent uniquement à éclairer l’interprétation des données corrélationnelles recueillies chez l’être humain. Il n’a pas davantage affirmé que les cerveaux humains seraient «binaires», mais qu’ils présentent des différences quantitatives autour de moyennes statistiques. Enfin, il lui est reproché d’avoir prétendu que le ratio 2D:4D (index/annulaire) permettrait de déterminer l’orientation sexuelle d’une personne. En réalité, il a exposé de manière détaillée que ce ratio constitue, au mieux, un indicateur indirect de l’exposition prénatale à la testostérone, et qu’il n’est que faiblement corrélé à l’orientation sexuelle chez les femmes.
Certains des étudiants contestataires ont dû assister à la conférence, puisqu’ils ont synchronisé le déclenchement de l’alarme incendie aux premiers mots prononcés par le Pr. Balthazart et qu’ils ont mis anonymement en ligne des photos de la conférence. Ils auraient pu avoir le courage de se manifester et de débattre.
Nous ne développerons pas ici le lynchage en règle des membres du comité organisateur du cycle de conférence, qui sont accusés d’être racistes, islamophobes, et transphobes et d’utiliser des conférences comme «cheval de Troie à une propagande universitaire idéologique d’extrême droite», … rien que ça.
Un rejet viscéral de tout déterminisme biologique
La contestation de la conférence du Pr. Balthazart ne relève pas du hasard. Elle s’inscrit, comme l’explique le psychologue évolutionniste Steven Pinker dans The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature (2002), dans un vaste mouvement de remise en cause des données scientifiques dès lors qu’elles menacent certains récits développés en sciences humaines. Ceux-ci reposent sur une vision dualiste, séparant le corps et l’esprit, et conçoivent ce dernier comme une tabula rasa, entièrement façonnée par l’expérience, qui serait capable d’imposer sa volonté au corps. Dans ce cadre conceptuel, toute référence à un déterminisme biologique est perçue pour les partisans de ces théories comme une atteinte intolérable au libre arbitre et assimilée à un argument justifiant un projet totalitaire.
Bien qu’il défende l’existence d’un déterminisme biologique, le Pr. Balthazart ne soutient nullement que les différences sexuelles seraient exclusivement le produit des gènes ou des hormones. Il affirme plus modestement que ces facteurs biologiques participent à la genèse de ces différences, aux côtés de facteurs culturels et environnementaux. La part respective de la nature et de la culture varie d’ailleurs considérablement d’un trait comportemental à l’autre. S’agissant de l’orientation sexuelle, les données disponibles suggèrent une contribution importante de la biologie. Affirmer que l’on ne choisit pas d’être homo- ou hétérosexuel n’a, en soi, rien d’homophobe — bien au contraire. L’homosexualité constitue une variation biologique autour de mécanismes qui induisent, chez la majorité des individus, une attraction hétérosexuelle, indispensable à la survie de l’espèce à long terme. Il n’y a donc, comme il l’a rappelé lors de sa conférence, aucune raison d’ostraciser les personnes homosexuelles, ni de culpabiliser leurs parents en invoquant une prétendue éducation inappropriée qui les aurait conduites, même involontairement, à l’homosexualité, comme l’ont soutenu certaines théories psychanalytiques et certains psychiatres.
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Partant de là, il est difficile de voir en quoi un déterminisme biologique partiel, voire total, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre «ouvre la voie à des dérives eugénistes», «fournit une caution pseudo-scientifique à tous ceux qui refusent de reconnaitre l’autodétermination des personnes trans» ou justifierait «l’exclusion des personnes trans des espaces publics, des compétitions sportives, des soins de santé adaptés, etc.» comme l’affirme l’article de Bruxelles Dévie. C’est en fait exactement le contraire. Ces caractéristiques humaines étant partiellement ou totalement inamovibles, le Pr. Balthazart prône l’interdiction des thérapies de conversion pour homosexuels et approuve sans restriction les procédures visant à aligner le sexe assigné à la naissance avec le genre des individus trans.
Il existe, bien sûr, des sociologues, des psychologues, des psychanalystes ainsi que certaines militantes féministes qui contestent la validité des données présentées lors de la conférence. Toutefois, l’ensemble de la communauté scientifique — biologistes et médecins compris — s’accorde aujourd’hui très largement sur le rôle conjoint de la nature et de la culture dans le déterminisme du comportement humain. Et comme le dit très élégamment l’écrivaine Nancy Huston en quatrième de couverture de son dernier livre, Les indicibles: «les hommes et les femmes sont dotés d’organes génitaux distincts et ne transmettent pas leur génome de la même manière. Passer sous silence cette réalité biologique, comme le font la plupart des intellectuels contemporains nous empêche d’appréhender des sujets essentiels comme la guerre, la politique, le viol, les abus sexuels, la prostitution et nous conduit à écarter l’apport possiblement spécifique des femmes à la vie du monde.»
Nous conclurons en citant le paléoanthropologue français Pascal Picq qui nous dit dans Et l’évolution créa la femme: «Les sciences humaines n’ont pas leur pareil pour se penser d’autant plus originales qu’elles nient la nature de l’humanité».
Titre original: Des étudiants antifas tentent de faire interdire un cycle de conférences à l’ULB
Jacques Balthazart, Biologiste, Pr. Emérite à l’Ulg
Eric Muraille, Biologiste, Directeur de Recherche au FNRS, attaché à l’ULB