Patrick Dupriez

Parlement de Wallonie: comment lutter contre le management de la terreur dans l’administration

Patrick Dupriez Président d'Etopia, Centre d’animation et de recherche en écologie politique

Abus de pouvoir, harcèlement, humiliation: dans une carte blanche, Patrick Dupriez, ancien co-président d’Ecolo souhaite remettre de l’humain dans le management. Il s’agit, selon lui, d’un enjeu politique à saisir en profondeur.

Les « affaires » du Parlement de Wallonie suscitent des réactions légitimement indignées. On parle de la rémunération des élus et de dépenses publiques inconsidérées mais aussi d’abus de pouvoir, de harcèlement, d’un management fondé sur la terreur, l’hyper-contrôle et l’humiliation qui a généré, des années durant, de la souffrance au travail avec son lot de maladies, burnout et démissions au sein de l’administration.

Les responsables politiques successifs à la tête du Parlement – dont je suis – n’ont pas agit à la hauteur de la nécessité et il faut en tirer des leçons : que faire, comment faire, quand le chef de l’administration a des comportements problématiques dans un espace auxquels les élus n’ont, en fait, pas accès si aucune plainte tangible n’est déposée ?

Cet enjeu dépasse le cas du Parlement de Wallonie, comme en témoignent d’autres situations semblables dans l’actualité : des employé.es des Musées royaux des beaux-arts dénoncent des menaces, intimidations, harcèlements et comportements sexistes ou racistes inappropriés de leur Directeur général qui postule à un quatrième mandat ; des agents de Bruxelles-Environnement protestent contre l’arrivée possible d’une nouvelle directrice épinglée précédemment pour défaut d’intégrité et de déontologie dans l’usage d’argent public et réputée pour des « pratiques managériales largement questionnables, basées notamment sur l’intimidation et l’impulsivité ». Dans ces trois cas, les personnes citées sont compétentes et même brillantes et ont été classées en tête de processus d’assessment réputés indépendants.

Ce constat amène à interroger structurellement les relations entre les politiques et le top management des administrations, leurs modes de désignation et leur évaluation. Et la question du harcèlement mérite un débat et une prise en compte politique déterminée pour mieux prévenir et éliminer un phénomène grave pour la société.

S’agissant du Parlement, la présence d’une délégation syndicale et/ou d’autres formes de représentation et de concertation du personnel doit être organisée. Une meilleure association des responsables de départements pourraient éviter la concentration des pouvoirs entre les mains d’une personne, unique interlocutrice formelle du politique. La durée des mandats doit également être limitée pour éviter l’abus de pouvoir.

Mais dans de nombreuses entreprises et administrations, nous constatons que le harcèlement, la déshumanisation des relations de travail, la « mise en tableau Excel et en KPI’s du monde » font des dégâts profonds et insidieux et finissent par broyer la motivation, l’engagement et parfois les personnes elles-mêmes. Les pratiques, outils et lois actuelles ne permettent pas assez de prévenir ou lutter contre ce phénomène.

Les angles morts de la sélection

Les processus d’assessment sélectionnant les managers sont organisés d’une façon qui permet peu la prise en compte de l’expérience réelle du leadership des candidat.es et encore moins des qualités personnelles nécessaires pour exercer un management respectueux et humain. Des jeux de rôle de quelques minutes évaluent les compétences de négociation et de direction d’un.e candidat.e, indépendamment de décennies de carrière, et des logique de réseaux peuvent intervenir au sein de jury réputés non partisans.

Ainsi, la presse a évoqué à diverses reprises des comportements harcelants du Greffier du Parlement de Wallonie dans le cadre de ses fonctions précédentes, à la Province du Brabant wallon et au cabinet du ministre Séverin. Je n’ai pas d’éléments permettant de confirmer ceux-ci mais ces informations ne l’ont, en tous cas, pas empêché de remporter haut la main le processus de sélection du Parlement.

Pareillement, les « casseroles » et informations relatives à la gestion de Marie-Paule Fauconnier à Sibelga ne semblent pas entrer en ligne de compte pour apprécier sa capacité à diriger Bruxelles-Environnement alors que l’exemplarité des mandataires publiques est un enjeu important. Les jurys supposés objectifs sont-ils dès lors suffisamment outillés ? 

Notons que dans le statut bruxellois de référence, il est bien prévu que le jury classe mais que le gouvernement garde la main sur la décision finale, pourvu qu’il motive un éventuel reclassement. Considérer le politique comme un simple notaire du jury n’a aucun intérêt procédural et le prive précisément de l’opportunité de se saisir de faits connus et de prendre ses responsabilités en conséquences.

Au moins s’agirait-il d’assumer la logique des processus : soit le politique garde légitimement la main sur base des avis qu’il reçoit et pourvu qu’il argumente son choix, soit le processus de désignation est organisé de façon totalement extérieure aux politiques, pour ne pas dire neutre. Le récent processus de désignation du Délégué Général aux Droits de l’Enfant illustre tristement les problèmes générés par une ambivalence entre ces deux logiques.

Les aveuglements de l’évaluation

En 2018, le mandat du Greffier du Parlement wallon fut reconduit sur base d’une évaluation très positive. Pourtant, tout le monde savait qu’il y avait des problèmes de management et de souffrance au sein du personnel et c’était-là LE moment par excellence pour les prendre en compte. Quand à Michel Draguet, il postule à un quatrième mandat comme directeur des Musées royaux des beaux-arts. Qui peut croire que les faits évoqués aujourd’hui sont neufs ?

Les dispositifs de récolte de plaintes en cas de harcèlement sont d’autant moins efficaces que la peur règne dans les services. Et la qualité de la gestion des « ressources humaines » n’est de facto pas prise en compte dans l’évaluation des performances des managers, fut-ce pour les inciter à améliorer leurs pratiques.

La parole doit circuler. La parole des travailleurs et travailleuses doit être écoutée. Alors, d’autres personnes osent à leur tour s’exprimer. Or, c’est le principe même du management par la peur de brider l’expression des plaintes, même lorsque interviennent des enquêtes psychosociales, même s’il y a des « personnes de confiance » désignées pour les accueillir… Il faut donc que les services d’écoute et d’enquête indépendants de la hiérarchie puissent recueillir des signalements et analyser d’éventuels problème de harcèlement le plus tôt possible et que des limites claires soient posées.

Mais ce n’est pas suffisant. Les trois exemples ci-dessus illustrent le fait que des candidats aux fonctions dirigeantes peuvent brillamment passer l’épreuve des tests et jurys, puis être évalués positivement sur base d’indicateurs de résultats totalement aveugles à ce qui se passe au sein de l’Administration.

Refuser le prix du mépris !

Pas simple sans doute, mais il est temps d’innover et d’intégrer des indicateurs qualitatifs et quantitatifs (taux d’absentéisme, de turnover, de burnout, niveau de satisfaction des employés…) dans l’évaluation des managers, au-delà des critères de performance classiques qui sont silencieux sur ce qui se joue en coulisse.

Plus ambitieux et qui contribuerait à réellement changer la culture des administrations, celles-ci pourront intégrer des « évaluations à 360 degrés », menées selon des processus rigoureux et indépendants, qui peuvent intégrer le personnel et des parties prenantes externes à l’organisation. La méthode est éprouvée et peut être un véritable outil d’évolution. C’est la volonté qui fera la différence.

Métaphoriquement dit : le menu servi aux politiques ou administrateurs.rices est important mais ce qui se passe en cuisine doit également compter avant de reconduire les chefs et il faut imaginer les outils pour ce faire.

Lutter contre l’humiliation, le harcèlement et les modes de management toxiques et violents est un enjeu sociétal de plus en plus crucial qui concerne certaines administrations et de trop nombreuses entreprises. La conséquence, c’est, par exemple, l’augmentation de 45 % du nombre de de burn-out et de dépressions en cinq ans dans notre pays. Une situation inquiétante, absolument intolérable.

Aucune entreprise ne peut se déployer durablement sans miser sur le respect de ses travailleurs et le maintien du sens dans leur engagement professionnel. C’est une question de valeur et d’humanité mais aussi une saine façon de préserver la robustesse de l’outil. Il s’agit dès lors de réduire les souffrances au travail, de maintenir les motivations et la créativité des travailleurs en évitant diverses formes de démissions. C’est notre intérêt à toutes et tous et c’est peut-être l’heure d’un #MetooHarcèlement lancé depuis le Grognon à Namur.

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