Les modes de consommation de la télévision ont évolué, le nombre de clients s’érode, mais le décodeur fait de la résistance. © Getty Images/iStockphoto

La télévision décline, mais ne meurt pas: 3 chiffres qui montrent la ténacité de l’abonnement traditionnel… jusqu’ici (infographies)

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Choisir de zapper son abonnement à la télévision est un geste devenu plus courant, à mesure que les habitudes de consommation évoluent. L’érosion des clients est là, mais la télévision linéaire est-elle pour autant enterrée en Belgique? Le décodeur fait de la résistance, la preuve en chiffres.

En 2024, le nombre de raccordements à la télévision auprès des opérateurs de télécommunications a encore diminué. Une baisse de 3,5%, soit la perte la plus marquée depuis 2019. Il en reste désormais un peu moins de quatre millions en Belgique.

Ce phénomène porte le nom de cord-cutting. Il s’agit de mettre fin à l’abonnement à la télévision en «coupant le câble», délaissant l’offre historique des câblo-opérateurs. La télévision traditionnelle est-elle pour autant déjà morte? Pas si vite. Les audiences qui s’érodent, à l’exception des grands rendez-vous, sportifs notamment, et la perte de clients dévoilent peut-être davantage le désamour envers la consommation linéaire que la fin de la télévision tout court.

«La consommation télévisuelle a fortement changé en quelques années. Auparavant, elle était assez passive, on s’installait devant l’écran, on consommait ce qui était diffusé. Aujourd’hui, les usagers regardent quand ils le souhaitent, sur des écrans divers, de manière plus flexible et mobile. Le zapping a été remplacé par la navigation dans les applications des opérateurs ou via celles des chaînes de télé directement», détaille Jimmy Smedts, porte-parole de l’IBPT, le régulateur du secteur.

L’offre s’est donc adaptée pour suivre les attentes du public, notamment via les services en ligne des chaînes historiques, comme RTL Play ou Auvio (RTBF), mais elle s’est également fortement étendue, avec de nouveaux acteurs (YouTube, Netflix, Amazon Prime, Disney+, etc.). Une situation qui a rebattu les cartes sans tuer la télévision, bon nombre de clients belges restant encore scotchés à leur décodeur traditionnel. Pour le moment du moins. Quelques chiffres en trois graphiques permettent de s’en rendre compte.

3,5 millions de foyers abonnés

Les derniers chiffres des abonnements dévoilés le mois dernier par l’IBPT offrent un panorama éclairant sur la situation de la télévision. En 2024, un million de ménages possédaient un pack quadruple-play, combinant l’ensemble des services des opérateurs, soit la télévision, Internet, le téléphone fixe et l’abonnement mobile. En y ajoutant les packs triple-play contenant la télévision et deux autres services, ce sont 1,5 million de clients supplémentaires qui s’y ajoutent. Les packs double-play avec TV font encore grimper le total de 432.000 utilisateurs. Au total, les packs des fournisseurs comptent donc pour près de trois millions de clients TV, ou plus précisément de foyers, l’abonnement se partageant au sein des ménages.

En revanche, l’abonnement à la télévision seule perd effectivement du terrain: en 2010, cela concernait encore 2,2 millions de clients, contre seulement 600.000 en 2024. L’offre autour des packs combinant plusieurs services a donc gagné en popularité à mesure que l’abonnement à la télévision, vu comme un service à part du temps de la télédistribution, a perdu des plumes.

Au total, il y a donc plus de 3,5 millions de clients résidentiels qui paient un abonnement comprenant la TV, seule ou dans un pack. Pas encore la fin du marché, même si l’avènement du pack est pour beaucoup dans le ralentissement de l’érosion.

La logique commerciale derrière le regroupement de produits est imparable, puisqu’elle permet de garder le client captif plus facilement. L’an dernier, 22,5% des clients avec un seul service chez un opérateur sont allés voir ailleurs, alors qu’ils n’étaient que 10,3% à se désabonner avec un pack triple-play et 5,5% à faire de même avec un quadruple-play.

Entre érosion et progression: les chiffres par opérateur

En regardant les chiffres des clients TV chez chaque opérateur, des situations très contrastées apparaissent. La plus forte baisse concerne Telenet. Historiquement plus fortement implanté en Flandre, le fournisseur a perdu pratiquement 500.000 clients, abonnés à la télévision, en dix ans. Cela représente près d’un quart de son portefeuille de l’époque. «Le tarif des offres de Telenet a longtemps été plus élevé par rapport aux autres opérateurs, ce qui l’a exposé plus fortement à la baisse des abonnés à mesure que le prix est devenu un critère essentiel et que les usages ont changé», analyse Jimmy Smedts de l’IBPT.

La télévision n’a pourtant pas dit son dernier mot chez l’opérateur. La marque Base, rachetée par Telenet, s’est lancée l’an dernier dans la bataille de la télévision. Il s’agit d’une offre de consommation par Internet, sous forme d’app mobile dans la version la moins onéreuse. La baisse de la télévision par câble ne signifie donc pas son abandon complet chez les opérateurs, mais plutôt une adaptation aux nouveaux modes de consommation, plus mobile notamment.

Du côté de Proximus, la diminution pointe mais plus doucement. L’ancien Belgacom est parvenu à augmenter son portefeuille clients jusqu’en 2021, avant un repli ces dernières années. Les derniers chiffres montrent un retour au niveau de 2018. La télévision reste présente sur la facture de plus de 1,6 million de clients.

La situation d’Orange est plus particulière, la société ayant procédé au rachat de VOO pour s’implanter véritablement en Belgique, une opération validée en 2023. L’entreprise communique depuis uniquement sur ses clients «câblés», que ce soit pour Internet ou la télévision. Sans pouvoir distinguer ce qui appartient à la seconde catégorie, difficile de dire ce qu’il en est pour la télévision, mais le fournisseur affiche malgré tout des chiffres en croissance sur le marché belge.

L’opérateur se félicite de ces chiffres et se garde bien d’enterrer trop vite le poste traditionnel. «La télévision en direct garde toute sa pertinence, notamment pour les grands événements et les contenus en temps réel. L’enjeu est de proposer une expérience complémentaire entre le linéaire et l’offre à la demande», explique Romain Bertrand, porte-parole d’Orange.

Télévision sans décodeur: à peine 118.000 raccordements

Les offres sans décodeur ont permis de suivre les nouveaux besoins des consommateurs, tout en cassant les prix. Des solutions qui permettent de profiter de la télévision en streaming, sans passer par le câble traditionnel et un boîtier dédié. Mais ce segment connaît une croissance encore très limitée. En 2024, le nombre de ces solutions a augmenté de 13.000 unités pour atteindre 118.000 accès à la télévision par ce biais. Il y en avait 92.000 en 2022.

L’immense majorité (97%) des près de quatre millions de raccordements à la télévision auprès des entreprises «telcos» restent donc basées sur la télévision classique, principalement via un décodeur. L’augmentation des nouvelles offres ne permet pas de compenser la baisse globale des raccordements jusqu’ici.

Malgré cette diminution globale et la popularité croissante des services de streaming, le chiffre d’affaires lié à la télévision augmente chez les opérateurs de télécommunications. L’an dernier, 670.000 euros supplémentaires ont été enregistrés par rapport à 2023, ce qui porte le total du marché à 1,24 milliard d’euros. «Une légère croissance due à l’augmentation des prix des abonnements sur le marché de détail, qui compense la perte de clients. Un abonné paie aujourd’hui en moyenne 20,7 euros pour les services de base de son raccordement à la télévision (abonnement, décodeur, etc.). C’est 1,2 euro de plus que l’année précédente», précise l’IBPT.

Des prix à la hausse, qui doivent aussi composer avec la concurrence de l’IPTV illégale, autre facteur expliquant le repli du nombre de clients, selon les observateurs. «L’IPTV illégale représente une menace majeure pour l’ensemble du secteur, car elle met en danger le modèle économique des éditeurs, des titulaires de droits d’auteur et des opérateurs comme Orange. C’est donc une préoccupation prioritaire», affirme l’opérateur.

Où sont les jeunes?

Si ces quelques chiffres assurent aux opérateurs que la télévision respire encore, c’est probablement dû en partie à la structure de la population. Le poste traditionnel reste fortement ancré parmi les habitudes des personnes plus âgées, confirme une étude de Kantar menée l’an dernier. Dans la partie francophone du pays, les 55-64 ans passent en moyenne cinq heures et 28 minutes par jour devant un écran, dont l’immense majorité devant la télévision (271 minutes, soit 4h31). Le smartphone ne compte que pour douze minutes quotidiennes dans le temps d’écran. L’inverse se produit chez les 18-24 ans, pour qui le téléphone est le premier écran (143 minutes/jour), devant l’ordinateur (88 minutes) puis seulement la télévision (86 minutes).

Le direct reste le premier usage pour le poste de télévision, alors que le smartphone est privilégié pour la consommation de vidéos sur les réseaux sociaux, signe d’une jeune génération qui a fait basculer son temps d’écran sur d’autres plateformes et appareils.

Les jeunes reviendront-ils un jour vers la télévision traditionnelle? Personne n’y croit. Aucun opérateur n’a souhaité communiquer sur les abonnements à la télévision pris par les jeunes ménages qui s’installent, mais la lame de fond se devine à travers les chiffres et les études sur les nouveaux modes de consommation.

Du côté de la RTBF, «la baisse de consommation de la télévision linéaire est évidente, et plus forte chez les 15-24 ans, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne consomment plus de programmes, mais qu’ils le font moins sur l’écran télévisé, constate Axelle Pollet, porte-parole. Le moment toujours fort en linéaire, pour le direct, reste les grands événements, qu’ils soient sportifs ou liés à l’information». Auvio, la plateforme de streaming de la RTBF, continue également d’afficher une croissance, se réjouit l’entreprise.

Même son de cloche chez RTL, qui reconnaît l’érosion du linéaire mais annonce encore une croissance à deux chiffres pour RTL Play. Le service en ligne «permet de compenser les pertes sur le linéaire et d’atteindre également une cible plus jeune que la télévision classique», précise l’entreprise. Motif de satisfaction, la consommation du service de streaming progresse sur le poste de télévision traditionnel, comptant pour 44% du total. Un appareil sur lequel la consommation est plus longue, donc plus intéressante.

La télévision, en tant qu’appareil ou mode de consommation, continue de se réinventer. Une obligation pour l’ensemble des acteurs du secteur, qu’ils fournissent le contenant ou le contenu. Les nouveaux usages n’ont donc pas fait disparaître l’écran, mais l’ont définitivement transformé.

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