Zimbabwe  » On n’en peut plus de ce vieillard « 

Malgré le succès électoral de l’opposition, le vieux chef Mugabe ne veut pas céder le pouvoir. Dans ce pays sinistré, la population désespère. Reportage.

Sur la longue route qui mène des chutes Victoria à Bulawayo, la deuxième ville du pays, on ne traverse aucun village, et on ne croise quasi personne sur 450 km. Le pays est ruiné et l’inflation crève tous les plafonds. Le carburant fait défaut, comme tant de produits de base : riz, farine, huile… Un seul barrage de police :  » Nous recherchons des armes « , déclare un policier posé et souriant dans sa tenue brune impeccable. A mi-chemin, le bien nommé relais routier  » Halfway « . Pas un chat : la station-service semble abandonnée. Le restaurant est ouvert, mais pas de client. Un seul plat au menu : du b£uf au sadza, une sorte de porridge de maïs. L’addition est impressionnante : 120 millions de dollars zimbabwéens (ZD), boisson non comprise. Cela n’équivaut pourtant qu’à 3 dollars US au marché noir…

Peu après, rencontre de deux cyclistes âgés qui pédalent seuls en plein soleil. Ils sont vêtus de T-shirts à la gloire de Simba Makoni, l’ancien ministre des finances qui n’a obtenu qu’un succès d’estime aux élections du 29 mars. Le président Mugabe ?  » We are sick and tired of this old man  » ( » On n’en peut plus de ce vieillard « ), lancent-ils. Malgré leur âge, ils n’ont jamais connu que la férule britannique, l’apartheid sous Ian Smith et Mugabe depuis l’indépendance en 1980… Ils s’en vont en faisant le V de la victoire. Mais sans trop d’illusions. Ils savent que Mugabe reste maître de son destin, même dans la défaite. Il ne cédera pas le pouvoir sans combattre, par la fraude et la violence s’il le faut. Ses affiches sont toutefois rares dans cette partie du pays, qui n’a jamais oublié les massacres perpétrés contre l’ethnie Ndebele minoritaire au début des années 1980.

La souveraineté du pays, tel est le leitmotiv de l’octogénaire président. Il n’entend pas la laisser aux mains de son rival Morgan Tsvangirai, un Shona (l’ethnie majoritaire) comme lui, mais qu’il considère comme une marionnette des Britanniques. Le  » camarade  » Mugabe aime se présenter comme un révolutionnaire au service de la cause africaine. Sa réforme agraire, plus inspirée par la démagogie que par l’indispensable justice, a toutefois précipité la déglingue du pays, jusqu’alors grenier à blé de la région. En chassant de leurs terres les fermiers blancs, ainsi que les travailleurs noirs à leur service, il a privé le pays de sa principale ressource en devises. La violence exercée contre l’opposition a fini de chasser investisseurs et touristes. En huit ans, le pays a perdu 40 % de son PNB !

 » Les parias de la communauté internationale « 

A Bulawayo, c’est d’ailleurs Tsvangirai, 56 ans, ex-syndicaliste issu du monde de la mine, qui remporte la majorité des suffrages, dont ceux des Blancs. Bulawayo est connue depuis longtemps comme un fief de l’opposition. Avec un peu moins de deux millions d’habitants, cette ville très aérée est quadrillée de larges avenues rectilignes bordées d’immeubles de style colonial. Des gardes privés surveillent des magasins où l’on ne trouve que des corn flakes, du papier toilette et du ketchup à voler. Les files sont plutôt ailleurs : là où l’on trouve du pain et aux distributeurs automatiques de billets, vu la limitation de chaque retrait à 500 millions de ZD (15 dollars US). A l’ombre de la mairie se tient un petit marché quotidien de fruits et légumes, dont certains importés d’Afrique du Sud. Mais guère de clients : les prix sont trop élevés.

 » Nous avons voté pour que ça change, pour que les investisseurs reviennent, pour que la monnaie se stabilise, pour qu’on ne soit plus les parias de la communauté internationale ! « , raconte un couple sans même qu’on le sollicite. On n’est pas en Corée du Nord : les gens parlent très facilement de politique, et s’interpellent souvent d’un  » Hello, how are you ? » très british. Simplement, on se fait plus discret dès qu’un inconnu arrive dans les parages.  » Si on voit mon nom dans un journal, les gens du Zanu-PF (le parti au pouvoir) viendront me tuer !  » s’exclame une revendeuse de pain, intarissable dès qu’il s’agit d’évoquer tout ce qui ne va pas. A ses pieds, un panier à linge rempli de billets de 250.000 à 10 millions de ZD : plus moyen de faire entrer dans son tiroir-caisse ces kilos de papier dont la valeur décroît avec les heures.

Le week-end des élections, Bulawayo était fantomatique. Le bar du Sun, l’hôtel des observateurs électoraux, était par contre rempli. La chaîne officielle ZBC étant jugée peu crédible, les clients cherchaient à s’informer sur CNN et BBC… interdites de travailler dans le pays, comme beaucoup de médias anglo-américains accusés de diaboliser le régime. Leurs émissions en  » live  » sont encore retransmises depuis Beit Bridge, à la frontière sud-africaine. Reste la presse d’opposition, en vente à tous les coins de rue, et aux informations parfois étonnantes.  » The Zimbabwean « , par exemple, rapporte en Une que Mugabe exigerait comme prime de départ une garantie d’immunité et une retraite confortable, mais aussi un sauna, trois chefs coqs et des funérailles d’Etat. Un opposant ironise :  » Commençons par les funérailles, ainsi on économisera sur le reste « .

Un pays appauvri, mais organisé

A la différence du Congo, le Zimbabwe est un pays organisé. Il n’est pas non plus dans le dénuement total. L’infrastructure existe, mais les moyens manquent cruellement. A la jolie gare de Bulawayo, les trains de nuit (les seuls à circuler) partent à l’heure, même s’il n’y a plus d’ampoules dans les compartiments et si l’heure d’arrivée reste incertaine. Les services publics répondent présent, mais les caisses de la ville sont vides : à court de devises, elle ne peut plus acheter les produits nécessaires pour purifier l’eau, réparer les camions de pompiers, approvisionner les hôpitaux publics…

Dans l’enseignement, c’est l’hémorragie :  » Sur 150.000 professeurs dans le pays, il n’en restait que 70.000, et on en a déjà perdu 8 000 autres cette année « , affirme Takavafira Zhou, un dirigeant d’un syndicat d’enseignants qui fut torturé dans les geôles de Mugabe. Beaucoup sont partis en Afrique du Sud ou au Royaume-Uni, qui regroupent à eux seuls une diaspora de plus de quatre millions de Zimbabwéens, soit le tiers de la population totale. Certains sont restés au pays mais ont changé de métier. Webster, par exemple. Jeune instituteur, il passe le plus clair de son temps dans le microcosme de Victoria Falls, où il guide les touristes :  » Je me suis simplement rendu compte que je pouvais gagner en une heure ce que je n’obtenais pas en un mois de travail. » A Bulawayo, difficile de trouver un supporter de Mugabe qui s’exprime spontanément. Dans le bar Safari Club, on croit en apercevoir un, revêtu d’un T-shirt du Zanu-PF :  » On m’a obligé à le porter, car je suis fonctionnaire « , avoue-t-il.

Faut-il craindre la violence ? Au Kenya, 1 500 personnes ont été tuées dans le sillage d’élections contestées. Thokozile, un étudiant, réfute la comparaison :  » A la différence du Kenya, il n’y a pas de haine ethnique ici. La haine existe uniquement entre Mugabe et sa clique et les autres.  » Mais les dérapages violents ne sont pas à exclure : le chef d’état-major a juré qu’il ne prêterait allégeance à personne d’autre qu’à Mugabe. Quant au parti de Tsvangirai, le MDC, il ne pratique pas toujours la non-violence qu’il prêche. Seul fait rassurant : jusqu’à présent, le niveau de criminalité du Zimbabwe est bien moindre qe celui de l’Afrique du Sud.  » Le Sud-Africain a la nourriture, pas la sécurité, le Zimbabwéen, c’est le contraire « , selon Thokozile. Le pire, ce serait de ne plus avoir ni l’une ni l’autre. l

De notre envoyé spécial; François Janne d’Othée

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