Wellens, champion fragile

Derrière ses airs de sale gamin, Bart Wellens dissimule un talent inouï. S’il gagne le championnat du monde, ce 29 janvier, ce sera une revanche éclatante sur ses (nombreux) détracteurs. Rencontre avec le plus fantasque des cyclo-crossmen

En Flandre, il est une vedette de premier plan, une star absolue. Mais il suffit qu’il se déplace quelques dizaines de kilomètres plus au nord, ou plus au sud, pour qu’il redevienne un parfait inconnu. La raison de ce contraste ? Simple : Bart Wellens fut sacré champion du monde de cyclo-cross à deux reprises, en 2003 et 2004. Assez pour vous empêcher à tout jamais de circuler incognito dans les rues de Coxyde, Herentals, Genk ou Diegem ! Mais largement insuffisant pour acquérir un début de notoriété hors du territoire flamand. Sport d’un autre temps, à l’ancrage résolument local, le cyclo-cross est une discipline étrange. Bart Wellens en incarne à merveille l’esprit boueux et pittoresque, tout en faisant figure de vilain petit canard. C’est que le milieu, très conservateur, tolère peu les frasques des individus hors-cadre. Et Wellens n’a pas toujours filé droit…

Coureur à la classe absolue, il s’est rapidement imposé comme un des meilleurs cyclo-crossmen de sa génération. D’innombrables succès dans les catégories d’âge lui ont valu de susciter les espoirs les plus fous lors de son passage chez les pros, en 2000. Certains observateurs ont cru voir en lui l’égal de Roger De Vlaeminck et de Roland Liboton – les deux monstres sacrés du cross. Six ans plus tard, le bilan est mitigé. Le palmarès de Wellens suffit à rendre envieux n’importe quel cycliste débutant. Mais, à 27 ans, il est loin d’avoir réussi la carrière qu’on attendait de lui. La saison dernière, surtout, fut catastrophique. Il semble aujourd’hui être revenu à un niveau plus conforme à l’étendue de son talent. Depuis la reprise, fin septembre, il a décroché neuf victoires – dont une en Coupe du monde et deux en Superprestige.

Dilettante

 » L’an prochain, je ne veux plus rouler dans les couleurs de l’équipe Fidea. Il me faut un maillot distinctif, noir-jaune-rouge ou arc-en-ciel « , déclarait-t-il au début du mois de janvier dans Het Laatste Nieuws. Pour le championnat de Belgique, c’est d’ores et déjà loupé. Sur le difficile circuit de Tervuren, Wellens a dû se contenter d’une troisième place, derrière Sven Nys et Erwin Vervecken. S’il veut accomplir sa promesse, il ne lui reste donc plus qu’une seule opportunité : le Mondial, qui se dispute ce 29 janvier à Zeddam (Pays-Bas).  » Je reste convaincu que je peux battre Nys « , assure-t-il à tout qui veut bien l’entendre.

Natif de Vorselaar, un patelin situé entre Herentals et Turnhout, le jeune Bart a effectué ses premiers tours de roue sur le sol sablonneux de la Campine anversoise. Aujourd’hui, il donne ses interviews non loin de là, dans l’hôtel-restaurant De Residentie. Cette luxueuse demeure, entourée de sapins, est aussi le centre d’entraînement de l’équipe Fidea.  » Ici, au moins, c’est calme, explique Wellens. Chez moi, quelqu’un frappe à la porte toutes les dix minutes. Le téléphone sonne sans cesse, et il suffit que tu ne répondes pas pour que les pires rumeurs circulent sur ton compte.  »

Bart Wellens revient de loin. Au bord de la dépression il y a douze mois, il a tout connu : le décès de son coéquipier Tim Pauwels, en pleine course ; les altercations continuelles entre ses parents et son manager ; les critiques perverses d’Eric De Vlaeminck, l’accusant de ne pas être assez professionnel… Le succès de Wellens en Wee n’a pas non plus arrangé les choses. Mélange de documentaire sportif et de télé-réalité, cette émission diffusée par la chaîne VT4 est un docusoap, comme disent les Flamands. Le hic, c’est que Wellens y apparaît moins souvent à l’entraînement qu’en train de raconter des conneries. Résultat : aux yeux du public, il est un éternel lolbroek, un rigolo dilettante.  » La presse a souvent été impitoyable avec Wellens, mais cela tient aussi à son caractère. Il est très colérique et les journalistes adorent ça. Si vous écrivez un article en disant du mal de Wellens, vous pouvez être sûr qu’il va réagir. Du coup, le lendemain, vous avez quelque chose de nouveau à raconter « , indique Marc Uyterhoeven, présentateur du Laatste show, sur la VRT, et fin connaisseur du cyclisme flamand.

Ces derniers mois, Bart Wellens semble s’être assagi. Serait-ce parce qu’il entretient depuis peu une relation stable avec Veerle Ingels, ex-championne de Belgique de cyclo-cross ? Au nord du pays, les gazettes populaires n’ont pas manqué de l’insinuer… A l’occasion, Bart reste pourtant capable d’un coup d’éclat. Le 18 novembre dernier, lors du cross d’Overijse, il a réagi de façon cinglante à l’hostilité du public, qui ne cessait de l’injurier et de l’asperger de bière. Exaspéré, Wellens a décoché un coup de pied bien senti envers un spectateur trop agressif. Ce qui lui a valu d’être déclassé…

Pur-sang

Wellens est un coureur de tempérament, combatif et obstiné. Souvent, son intuition le pousse à attaquer dès le premier tour. Quitte, au final, à s’incliner devant Sven Nys. De toute façon, dans quelques mois, il en sera débarrassé. Son rival de toujours devrait en effet abandonner le cross pour se concentrer sur le VTT, une discipline dans laquelle il brigue une médaille d’or aux Jeux olympiques de 2008. Voilà qui ne viendrait jamais à l’idée de Bart Wellens. Le mountain bike, il ne l’utilise que pour aller chercher son pain. Malgré une victoire d’étape dans le difficile Tour de Liège, en 2005, il avoue que la route ne l’intéresse pas non plus. Et n’allez pas lui parler de Paris-Roubaix : les pavés lui donnent de l’urticaire. Bart est un pur crossman. Il aime les terrains lourds, les tracés sinueux.

Reste l’essentiel : sans ce blondinet au corps frêle, nul ne sait ce qu’il serait advenu du cyclo-cross. Les duels épiques qui l’ont opposé à Sven Nys ont réveillé une discipline dont le déclin semblait irrémédiable.  » Désormais, on nous considère avec respect. Pour les routiers, nous ne sommes plus les petits crosserskes « , se réjouit Wellens. Tout comme Iljo Keisse sur la piste ou Tom Boonen sur la route (avec qui il lui arrive d’ailleurs de s’entraîner), le coureur de Vorselaar représente le cyclisme moderne. Grâce à son côté rock’n’roll et à son caractère imprévisible, un vent frais souffle désormais sur les labourés.

François Brabant

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