Welcome to Mali

A Paris, le Grand Palais accueille la première rétrospective d’ampleur du photographe malien Seydou Keïta. Un événement, et l’occasion d’un gros plan sur un pays bousculé qui consolide une longue tradition photographique, des anciens aux modernes.

Seydou Keïta (Bamako, 1921 – Paris, 2001) reçoit son premier appareil photo en 1935. Un Kodak Brownie.  » J’avais 14 ans, c’étaient mes premières photos et c’était le moment le plus important de ma vie. Depuis lors, c’est un métier que j’ai essayé de faire le mieux possible.  » (1) Largement autodidacte, il parvient rapidement, et avec succès, à faire rimer vocation et passion. Dès 1939, le jeune photographe gagne sa vie. En 1948, il ouvre son studio. Les clients défilent devant son objectif. Seydou Keïta préfère de loin réaliser des clichés à la lumière naturelle. Il privilégie aussi les poses de trois-quarts et la diagonale pour magnifier ses modèles.  » Le visage à peine tourné, le regard vraiment important, l’emplacement, la position des mains… J’étais capable d’embellir quelqu’un.  »

La modernité et l’inventivité de ses mises en scène conduisent à sa notoriété.  » Il y avait beaucoup d’animation autour de mon studio, il y avait tout le temps du monde, c’était un lieu de rendez-vous et de palabre ; je travaillais tout le temps.  » Le 22 septembre 1960, la République soudanaise proclame son indépendance. Modibo Keïta devient le premier président de la République du Mali. En 1962, à la demande des autorités, Seydou Keïta ferme son studio et devient photographe officiel du gouvernement – son travail libre et personnel porte par conséquent sur une période relativement réduite.

Trésors nationaux

Impossible, évoquant Keïta, de ne pas parler dans le même temps de Malick Sidibé (Soloba, 1936). Caissier dans le studio de Gérard Guillat-Guignard (dit  » Gégé la pellicule « ), le jeune Malick profite de ses premiers salaires pour acheter un appareil photo et réaliser des portraits d’identité ainsi que des reportages dans les soirées. Il ouvre sa propre enseigne – Studio Malick – dans un quartier populaire de Bamako en 1962. Son fonds de commerce ? Les reportages dans les surprises-parties et les portraits d’une jeunesse aimant se faire  » flasher  » avant d’aller danser. Cette activité ciblée s’étend de 1957 au début des années 1970. La majeure partie de sa production se concentre ensuite sur des portraits pleins de malice réalisés dans sa boutique.

Les studios de Keïta et Sidibé, rapidement devenus mythiques, ont drainé des foules d’anonymes et de personnalités. Le Tout-Bamako venait s’y faire photographier : playboys du quartier, familles endimanchées, jeunes mariés, jolies filles apprêtées… Seul ou en groupe, on s’y faisait tirer le portrait au moindre événement (une tradition toujours largement répandue au Mali). Les espaces se changeaient alors en un formidable théâtre d’invention dans le jeu des poses, le choix des fonds et des accessoires : costumes européens, chapeaux, montres, bijoux, stylo, vespa ou encore téléphone étaient mis à la disposition des clients. Autant d' » attributs  » de la réussite ou symboles d’émancipation.

Ouvrant les yeux de l’Occident sur la photographie africaine, Keïta et Sidibé incarnent les  » pères fondateurs « . Une double aberration. D’abord, parce que les origines de la photographie remontent aussi loin que l’invention du médium lui-même, et que sa pratique était déjà bien établie à Bamako (et ailleurs en Afrique) quand Keïta et Sidibé percent sur le marché. Ensuite, parce que d’autres personnalités moins médiatisées exercent à l’ombre de ces figures tutélaires – il suffit de penser à Adama Kouyaté et Abdourahmane Sakaly. Le premier, né en 1928, rejoint Bamako en 1944 à la recherche d’un emploi. L’anecdote rapporte qu’en décembre 1946, il reçoit la révélation de sa vocation après s’être fait photographier avec sa femme par un professionnel. Il fait alors son apprentissage chez deux pionniers : Bakary Doumbia et Pierre Garnier. Il gagne et crée plusieurs studios : à Kati, à Ouagadougou (Burkina Faso) puis à Ségou. Au final, il tirera plus de… 200 000 portraits (tous les négatifs sont soigneusement classés et annotés). Des images d’une très belle qualité technique, plus sobres dans les postures et les arrière-plans que ceux de Keïta et Sidibé.

Mais Abdourahmane Sakaly (1926-1988) jouit aussi en Afrique d’une grande notoriété. Né au Sénégal, il arrive à Bamako en 1948. Sa carrière débute en même temps que celle de Malick Sidibé, alors qu’il capture l’image des Bamakois qu’il allait photographier dans la brousse (villageois qui commencèrent par fuir dès qu’ils le voyaient mettre la tête sous le voile de la chambre photographique…). De 1960 à 1970, son studio compte parmi les plus prisés de la capitale. Reconnu pour ses images très vivantes, faisant ressortir les yeux de ses sujets, il a laissé 400 000 clichés conservés de façon très méthodique, parmi lesquels on trouve beaucoup de photographies d’identité.

Keïta et Sidibé, Kouyaté et Sakaly : ces quatre photographes ont su saisir l’ambiance de la société malienne à l’aube de son indépendance. On y sent un vent de modernité souffler sur la capitale et sa jeunesse pleine d’espoir, friande de musique et de liberté. C’est l’époque du twist et des rêves d’égalité : un climat d’euphorie qui encourage les photographes à sortir dans la rue pour capturer cette vibration exceptionnelle. Tout le monde veut se faire photographier, comme pour dire :  » Regardez-nous en face ! Nous n’avons plus rien à vous envier.  » Des clichés d’une Afrique  » en marche « , à mille lieues de l’univers (de misère) que rapportait la carte postale coloniale.

Les anciens et les modernes

Les décennies suivantes confirmeront la popularité de la discipline auprès de toutes les couches de la société. De nouvelles figures émergent, qui ont digéré l’influence des  » anciens « . Mory Bamba ou Mamadou Konaté, par exemple. A côté des photographies d’événements familiaux, ce dernier documente les faits politiques. Il va ensuite donner à sa production un caractère plus artistique en travaillant sur des détails du corps. D’autres photographes tentent aussi d’exorciser les peurs, comme le travail d’Emmanuel Bakary Daou, qui évoque l’épidémie d’Ebola et les terreurs provoquées sur le continent. Autant d’artistes qui font le trait d’union avec la nouvelle génération. Car, en dépit de la guerre, des conflits religieux et autres difficultés qui ravagent le pays, la scène actuelle est plus vivace que jamais. Et les photographies – en prise directe avec l’instabilité politique – y sont autant de cris de résistance.

La problématique religieuse, par exemple, est au coeur du travail d’Aboubacar Traoré. Dans sa série Inch’Allah, il présente des personnages dont les têtes sont entièrement recouvertes d’une calebasse noire – dénonciation on ne peut plus directe de l’obscurantisme. Engagée au sein de l’association SOS Démocratie, Sogona Diabaté éclaire, elle, les difficultés que rencontre son pays, tandis que Seydou Camara aborde la destruction d’une partie des manuscrits de Tombouctou (c’est également à lui qu’on doit ces clichés de 333 portes pour rendre hommage aux richesses de la  » ville aux 333 saints « ). Citons aussi Bintou Camara qui recevait en 2011 le prix Visa de la création (Institut français) pour son projet Les Chinois en Afrique, une série qui évoque la réalité économique de ces Chinois immigrés sur le continent, et y ouvrant des perspectives commerciales. Ou Harandane Dicko, qui immortalise la rue africaine vue dans un rétroviseur là où Fatoumata Diabaté poursuit cette jeunesse bamakoise qui se déploie la nuit…

Bamako, capitale de la photo

Tous les deux ans, la capitale du Mali accueille un rendez-vous d’envergure internationale : les Rencontres de Bamako. Biennale africaine de la photographie. Fondées en 1994, elles ont fêté en 2015 leur 10e anniversaire. Une édition hautement symbolique : la dernière s’était tenue en 2011. Depuis, la guerre avait rayé l’événement des agendas. Cette longue attente était mal vécue des photographes qui ont besoin de cette plate-forme pour échanger mais surtout gagner en visibilité sur la scène internationale. Et pour cause, l’événement joue un rôle de premier plan dans la reconnaissance des photographes du continent. Elle a permis de révéler de nombreux talents : Samuel Fosso, Victor Diop, Sammy Baloji…

La Biennale décerne une série de récompenses visant les approches les plus audacieuses. De la dernière édition, on retient le prix Seydou Keïta remis à Uche Okpa-Iroha (Nigeria, 1972) pour son travail intitulé Plantation Boy, une série de clichés dans lesquels il s’incruste – au sens propre – dans des images du film Le Parrain. Une façon de dénoncer la trop longue absence des Afro-Américains dans l’industrie cinématographique hollywoodienne. Le travail de Lebohang Kganye (Afrique du Sud, 1990) a aussi été primé : dans Her-Story, la photographe superpose sa propre image à celle de sa mère dans des lieux où celle-ci a été photographiée, tandis que dans Heir-Story, elle se met en scène habillée du même costume que son grand-père.

De plus en plus prisée dans les collections occidentales d’art africain, la photographie malienne (et plus largement africaine) profite à présent d’une timide reconnaissance commerciale. Reste que pour les photographes africains contemporains, la situation est difficile : l’écrasante majorité exerce dans une grande précarité. Pour  » coller  » aux attentes du marché occidental (et espérer développer leur activité), ils sacrifient leur liberté pour livrer des clichés qui répondent à une vision et à un goût formatés. Ainsi, leurs clichés véhiculent de l’Afrique une image  » préfabriquée « , stéréotypée. Une réalité qu’il ne faut ni condamner, ni ignorer.

(1) Citations de Seydou Keïta extraites du livre Seydou Keïta, par André Magnin et Youssouf Tata Cissé, éd. Scalo, Zürich, 1997.

Par Gwennaëlle Gribaumont

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