Wallonie-Bruxelles : l’amour en douce

Les socialistes Rudy Demotte et Charles Picqué ont lancé la  » fédération Wallonie-Bruxelles « . Ça sonne bien. L’écho est positif. Le lien entre francophones pourrait être renforcé, et les Flamands n’ont qu’à bien se tenir : en face, l’opposition se structure. Mais l’essai doit être concrétisé. Va-t-on limiter les compétences de la Communauté française ? Des ministres vont-ils être sacrifiés ?

Un moment historique en Belgique francophone ?

On aimerait le penser. Les dirigeants politiques francophones croient manifestement aux vertus de la méthode Coué. Ils veulent s’unir, essaient de parler la même langue, et y parviennent parfois. La récente déclaration des ministres-présidents Charles Picqué (Bruxelles) et Rudy Demotte (Wallonie et Communauté française) provoque une douce euphorie de ce côté-ci de la frontière linguistique. Cette fois, dit-on, les francophones ont trouvé  » le  » remède anti-dispersion. Ils vont créer des synergies entre Wallons et Bruxellois, supprimer les gaspis, arrêter de se diviser face aux Flamands. La potion magique : une  » fédération  » qui donnerait un statut égal aux deux partenaires. Terminées, les rivalités entre les arrogants du Centre et les autonomistes du Sud ! Il suffisait d’y penser… Mais l’effet d’annonce venu du camp socialiste devra se concrétiser. A ce stade, la révolution promise manque de consistance. Didier Reynders, patron du MR, ironise déjà :  » Rien de neuf sous le soleil. « 

Le réveil des régionalistes wallons ?

On ne les a guère entendus durant les sept mois de crise politique. La Belgique volait en éclats, mais les Happart, Van Cauwenberghe et Dehousse (tous PS) n’en ont pas profité pour chanter les louanges de la Wallonie indépendante. Les régionalistes sortent aujourd’hui de leur torpeur, poussés par une clique de jeunots qui trouvent les anciens un peu trop ringards. Chacun souhaite désormais surfer sur la vague. Tel le Liégeois Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Economie très prudent et étoile montante du PS : il vient d’afficher un profil régionaliste qu’on ne lui connaissait pas, affirmant la primauté de la Région sur la Communauté. La direction centrale du PS ne pouvait rester silencieuse. Elio Di Rupo a donc fait coup double. En laissant s’exprimer le tandem Demotte-Picqué, deux hommes de confiance, Di Rupo indique : 1. qu’il entend les revendications régionalistes – ce qui calmera certaines ardeurs dissidentes ; 2. qu’il prétend à nouveau orienter les débats en Belgique francophone. Marre de ce MR qui veut lui tailler des croupières. Di Rupo et le PS reprennent la main. Et détournent l’attention. Pas facile à défendre, le bilan socialiste en Communauté française ? A un an des élections, Marie Arena est priée de plier bagage. Demotte arrive. La Communauté change de nom. Joli tour de passe-passe.

Bruxelles réhabilitée ?

La crise de 2007 a confirmé la montée du sentiment identitaire bruxellois. Yves Leterme incapable de former un gouvernement ? La Belgique en capilotade ? Qu’à cela ne tienne, les Bruxellois donnent la leçon. Chez eux, rappellent-ils à l’envi, la cohabitation entre Flamands et francophones ne pose aucun problème. Et tant pis pour les uns et les autres si tout explose.  » Bruxelles peut se débrouiller seule  » : c’est ce qu’on entendait dans la capitale, au plus fort de la crise. Des intellectuels défendent cette vision. Des associations militent. Un nouveau parti régional (Pro Bruxsel) est né il y a quelques jours. Ministre-président au long cours, Charles Picqué avait lui-même largué les amarres. A ses yeux, plus rien à attendre des leaders wallons, si méfiants à l’égard de Bruxelles. Picqué avait même agacé ses partenaires sudistes, défendant, pour son fief, l’option d’une  » ville internationale autonome « . Aujourd’hui, le ton change. On enterre la hache de guerre. On prétend parler d’égal à égal. Bien entendu, le casse-tête bruxellois reste entier. Coincée en plein territoire flamand, peuplée en grande majorité de francophones, Bruxelles souhaiterait-elle se fédérer à la Wallonie qu’elle n’en aurait pas… les outils : il faudrait l’accord du nord du pays. Ce point, crucial, est éludé par le duo Demotte-Picqué.

Demain, une Belgique à quatre ?

Au fil de la réforme de l’Etat, la thèse flamande majoritaire n’a pas changé d’un iota : l’avenir du pays se joue à deux. Deux Communautés. Flamands contre francophones. Tant pis pour les Bruxellois, laissés au vestiaire, niés et négligés. Hésitants, divisés, les francophones n’avaient rien à proposer en échange. Tour à tour, les libéraux Jean Gol, Louis Michel et Didier Reynders, puis le socialiste Elio Di Rupo ont vanté un  » espace « , une  » nation « , une  » patrie  » francophone. La fusion des institutions, loupée en 1980, au contraire des Flamands, est restée une chimère. Relancée à intervalles réguliers, elle cabre les régionalistes de tout poil : pour faire bref, la Communauté française avalerait la Région wallonne. Impensable, aujourd’hui ! Les développements récents permettent l’esquisse d’une Belgique à… quatre. Tout se clarifierait. La Flandre devrait ainsi compter avec la Wallonie, bien sûr, mais aussi avec Bruxelles et la partie germanophone du pays. C’est d’ailleurs le Petit Poucet qui a donné le ton, il y a quelques mois. Les dirigeants de la Communauté germanophone imaginent leur territoire doté des compétences communautaires (enseignement, culture, santé) et régionales (économie, emploi, aménagement du territoire, etc.). Comme dans les trois autres entités ?

Bientôt la fin de la Communauté française ?

On pourrait le penser.  » Mais j’annonce le contraire ! déclare Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Il faut bien lire le texte des deux ministres-présidents. Il n’est nullement question d’une limitation des compétences de la Communauté. Je parierais donc qu’il s’agit d’une manière de couper l’herbe sous le pied aux régionalistes purs et durs…  » Demotte et Picqué évoquent tout au plus un changement de dénomination de la Communauté (rebaptisée fédération) et une modification des règles politiques (des ministres à double casquette). Ils ne vont pas aussi loin que Jean-Claude Marcourt, lui aussi socialiste, qui prônait de  » réduire la voilure de la Communauté « . En régionalisant l’enseignement, si pas la culture, par exemple. Rien de tout ça, pour l’heure. La direction du PS sait que le débat n’est pas mûr, qu’il faudrait convaincre l’allié CDH, réunir une majorité des deux tiers au Parlement de la Communauté française et obtenir l’accord des Flamands à Bruxelles. Une mine dans le champ institutionnel : la moindre demande francophone inciterait le camp flamand à exiger d’énormes contreparties. D’où le schéma prudent avancé par Demotte et Picqué.

Des ministres à double casquette, ça change quoi ?

C’est la principale mesure concrète qui est sur la table.  » Des  » ministres auraient une double casquette. Pas tous. Ceux-là seraient membres du gouvernement bruxellois ou wallon, et du gouvernement de la nouvelle fédération. A l’image de Rudy Demotte : depuis le mois de mars, le chef de l’exécutif wallon pilote aussi celui de la Communauté française. Etendre le cumul aux collègues de Demotte permettrait a priori de créer des synergies, d’éviter les doubles emplois et d’améliorer la cohérence des politiques à long terme.  » Comme si ces gens-là vivaient sur la planète Mars… « , ironise un observateur. Le libéral Reynders avait recyclé cette vieille idée, en septembre 2007. Haussement d’épaules du PS. Celui-ci relance la marotte aujourd’hui. Raillerie du MR. On verra dans les prochains mois si les deux partenaires-adversaires parviennent à ravaler leur susceptibilité réciproque. Un accord politique sur la composition des gouvernements serait un premier pas dans la bonne direction. Un tout petit pas. l

Philippe Engels

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