» Voulons-nous de ces détenus-là parmi nous, à leur sortie ? »

En Belgique comme en France, l’été a été chaud derrière les barreaux : tentatives d’évasion, suicides, morts suspectes. Des deux côtés de la frontière, les prisons sont surpeuplées.  » Il y a pourtant des solutions à explorer « , affirme la journaliste Florence Aubenas.

Elle pensait consacrer ses quelques mois de congé sans solde à l’écriture d’un livre. Raté. Appelée à la mi-juin à la présidence (bénévole) de l’Observatoire international des prisons (OIP) – section française -, la journaliste Florence Aubenas n’a guère progressé dans son travail de scribe, tant l’actualité carcérale l’a mobilisée.

Le Vif/L’Express : Votre engagement à l’OIP est-il complémentaire à votre métier de journaliste au Nouvel Observateur ?

Exactement. L’OIP, qui effectue un travail technique peu visible, veut désormais rendre ses messages plus accessibles au grand public. Parce que ce que l’opinion pense des prisons est fondamental. Aujourd’hui, la plupart des citoyens considèrent qu’un détenu doit aller en prison pour en baver. Il faut leur expliquer qu’il existe d’autres sanctions que la prison, que les aménagements de peine ne sont pas une preuve de laxisme mais une façon de punir qui permet de ne pas abîmer davantage la société. Ce discours-là est, hélas ! très peu relayé par le personnel politique. Il y a un gros travail pédagogique à faire là-dessus. Les politiques et les magistrats sont censés apaiser les tensions dans la société. Ce n’est pas cela que j’observe.

La presse joue-t-elle, elle, l’apaisement ?

Selon les cas, la presse sort les mouchoirs ou la potence. Un journal a publié l’identité et l’adresse d’un homme sorti de prison après vingt ans. Il a payé : il a purgé sa peine. Une telle pratique, ce n’est pas ce que j’appelle de la réconciliation. Qu’on me comprenne bien : j’adhère au principe de la punition et j’aspire à ce qu’il y ait moins de violence dans la société. Mais la prison n’a pas les moyens de faire autre chose que punir. C’est ça qui doit changer. Actuellement, seul 1 détenu sur 4 travaille, et 1 sur 4 étudie. Les assistants sociaux, en prison, n’ont le temps que d’effectuer des tâches administratives. La réinsertion des anciens détenus ne peut pas être assurée. Résultat ? Un taux de récidive compris, en France, entre 40 et 60 %. C’est énorme.

Que préconisez-vous ?

Il y a une révolution culturelle à faire. L’opinion doit comprendre qu’humilier quelqu’un en prison n’est bon pour personne. Quel bénéfice la société a-t-elle d’enfermer des gens s’ils sortent comme ça, à part de se dire que c’est bien fait pour leur gueule ? La prison doit se donner des moyens, il faut embaucher du personnel. Avant, on comptait un gardien pour 40 détenus ; maintenant, c’est 1 pour 80. Au gardien qui prend un peu de temps pour parler avec les détenus, on demande de quel côté il est ! Il faut donner du travail aux détenus qui le souhaitent et leur permettre de faire du sport, sans qu’ils doivent attendre des mois pour cela. On pourrait aussi réfléchir à d’autres types de peines (assignation à résidence, bracelets électroniques…).

Qu’avancez-vous comme piste pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale ?

Actuellement, il y a davantage de gens qui entrent en prison, leur peine est plus longue et ils sortent moins facilement. Construire plus d’établissements n’est pas une solution. Il faut intervenir en amont, emprisonner moins de personnes. D’où l’importance des peines alternatives. Mais la plupart des juges n’osent pas les prononcer parce qu’elles sont considérées comme une faveur, ce qu’elles ne sont pas. Ils redoutent aussi qu’on leur retombe dessus si des détenus condamnés à des peines alternatives disparaissent dans la nature. Ici, tout ce qui n’est pas prison n’est pas pris au sérieux.

En Belgique, le pourcentage de détenus étrangers dans les prisons avoisine les 50 %. Le même phénomène existe en France. Considérez-vous que les élus se désintéressent du dossier carcéral parce qu’il n’est, du coup, pas électoralement payant ?

Non, je ne crois pas ça. En France, on a plutôt affaire à un racisme pernicieux, qui fait dire à certains qu’il est injustifiable de dépenser 60 euros par jour (le coût moyen d’une journée en prison) pour un détenu étranger. Cela dit, il est clair qu’un jeune qui porte un nom typique et qui habite dans un quartier difficile risque plus qu’un autre, à délit égal, d’être condamné et de l’être à de plus lourdes peines, parce que l’on considère que son milieu social est un facteur aggravant. Si ce jeune n’a pas de travail, c’est encore pire. Et comme il y a aussi une discrimination à l’embauche…

Que pensez-vous du bracelet électronique ?

C’est une mesure alternative intéressante. Ici, 6 800 détenus devraient en être équipés à la fin de cette année. Mais ce ne sera pas un remède miracle. Selon les premières études réalisées, qui ne sont pas encore finalisées, le bracelet déboucherait sur de gros risques de récidive au-delà de trois à six mois. Passé ce délai, les effets secondaires sur les détenus seraient en outre lourds. Cet outil ne convient pas à tout le monde, ni tout le temps. Or, pour l’instant, il y a peu de critères pour définir les profils adéquats. Il faudrait aussi assurer un suivi du détenu porteur de bracelet, y compris par rapport à l’entourage. Le bracelet doit bénéficier d’une gestion à mesure d’homme et pas de masse. Ce n’est pas le cas…

Le travail en prison favorise-t-il la réinsertion des anciens détenus ?

Oui, c’est une autre piste intéressante. En France, 40 % des détenus n’ont jamais travaillé avant d’entrer en prison. Donc c’est bien qu’ils découvrent cette réalité-là. Mais pour que ce soit positif, il faut leur expliquer qu’il existe un droit du travail. Qu’ils soient payés, même un minimum. Et que travailler ne soit plus considéré comme un privilège, qui est supprimé en cas de dérapage. Sans cela, l’idée que les détenus se font du travail n’est pas très belle. Et cela ne les prépare pas au vrai marché du travail, à leur sortie.

La France a enregistré 108 suicides dans ses prisons, en 2008. La Belgique vit le même problème. Avez-vous des solutions à proposer ?

Dans toute l’Europe, les suicides de détenus sont en augmentation depuis les années 1990. Mais quand un détenu est désespéré, à qui voulez-vous qu’il parle ? Les gardiens sont débordés. L’infirmerie ferme à 17 heures. Les codétenus ne sont pas forcément des amis et sont même parfois un motif de suicide supplémentaire. Dans la lettre qu’il a laissée avant de passer à l’acte, un détenu a écrit :  » Je ne sais plus combien d’années il me reste à faire, mais je n’ai plus ni le courage ni la lâcheté de les passer ici.  » Ce qu’il faudrait, pour les détenus à risques, c’est les mettre le plus possible en lien avec l’extérieur, que ce soit au parloir ou par téléphone. Ce sont des mesures assez simples à prendre. Au lieu de ça, on tente d’empêcher matériellement les suicides en donnant des pyjamas qui se déchirent aux détenus. Dans certaines prisons, on les place, nus, entre deux matelas parce qu’on ne sait pas comment éviter qu’ils se tuent. C’est encore plus indigne. Quelle idée de l’humanité auront-ils à leur sortie ? Si l’on investit dans les prisons, ça nous coûtera moins cher à l’arrivée.

Propos recueillis par Laurence van Ruymbeke

 » il existe d’autres sanctions que la prison « 

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