Voter avant juin?

L’hiver s’annonce tempétueux pour le gouvernement de Guy Verhofstadt. Devra-t-il se résoudre à affronter l’électeur plus tôt que prévu?

En ce début d’hiver incertain, une question hante les esprits des « partenaires » de la majorité: le gouvernement de Guy Verhofstadt pourra-t-il « tenir » jusqu’au 15 juin 2003, date à laquelle sont en principe prévues les prochaines élections législatives? Au Parlement, en effet, un conflit chasse l’autre. Le dossier Francorchamps et le vote du texte organisant l’abandon, par la Belgique, de la filière nucléaire ont donné lieu à d’innombrables manoeuvres, anathèmes et empoignades. A la tête des partis aussi,on s’agite ferme. Côté francophone, on stigmatise les velléités confédérales des libéraux flamands, tandis que ces derniers épinglent les irréductibles tendances au gaspillage des Bruxellois et des Wallons en matière de soins de santé, par exemple. Mais même entre les partis d’un même « camp » linguistique et présumés alliés au sein de l’attelage arc-en-ciel, les noms d’oiseau volent et les considérations peu affables, carrément hostiles ou à tout le moins irrespectueuses se multiplient. Louis Michel (MR) explique à qui veut l’entendre que – en schématisant un peu – « voter pour le pôle des gauches, c’est voter pour Ecolo en Wallonie, et c’est donc vouloir la fin du redressement wallon ». Elio Di Rupo, le président du PS, rétorque que « voter en faveur du MR, c’est voter pour le VLD, son alter ego flamand, et c’est donc accélérer le processus de dislocation de l’Etat belge ». Ces scélératesses-là, il devient difficile de les imputer à cette fameuse « culture du débat » qui, nous dit-on depuis le début de la législature, serait inhérente à la majorité arc-en-ciel. Dans les états-majors des partis, on avoue presque sans détour que cela sent, effectivement, la fin de règne. Et la question taraude tous les stratèges: comment, dans ces conditions, battre la campagne pendant encore près de sept mois, sans hypothéquer gravement le scénario de la reconduction de l’actuelle majorité (composée des libéraux, des socialistes et des écologistes), ardemment souhaitée par la majorité des partenaires? Coup de projecteur sur les raisons, les avantages et les inconvénients d’éventuelles élections anticipées…

1. Pourquoi la nervosité est-elle montée de plusieurs crans ces dernières semaines?

Le gouvernement est entré dans la phase ultime de sa législature: rien d’étonnant, par conséquent, si les partis s’agitent quelque peu. D’autant plus que, monopolisée par des dossiers-fétiches – parmi lesquels la réforme fiscale, que l’on vendra à l’électeur comme la principale réalisation gouvernementale de cette législature – et empoisonnée par quelques incidents que l’on n’avait manifestement pas vu venir (la vente d’armes au Népal, le Grand Prix de Francorchamps, débat autour de l’intégration, etc.), la majorité a pris du retard sur certains autres sujets. La fin de la législature se présente donc comme un entonnoirdans lequel il s’agit de pousser une série d’ingrédients parfois explosifs: l’écofiscalité, la sortie du nucléaire, l’interdiction de la publicité pour le tabac, la loi-programme chargée de concrétiser une foule de décisions – 500 articles concernant une multitude de sujets, notamment sociaux et budgétaires – prises précédemment mais en panne d’application. Le genre de situation propice aux crises de nerfs. Et, comme si cela ne suffisait pas, le PS et Ecolo se sont rapprochés au sein d’un « pôle des gauches ». Ce qui, pour les libéraux du MR, ressemble à s’y méprendre à une impardonnable faute de goût. Voire à une forme de trahison: après la sortie du président du MR sur « l’échec de l’intégration », la réaction unanime du PS, d’Ecolo et du CDH (l’ex-PSC) a été ressentie, par les libéraux francophones, comme une ébauche de majorité alternative, lourde de menaces pour la reconduction de l’arc-en-ciel et, par conséquent, susceptible d’hypothéquer la présence du MR dans le prochain gouvernement. Il est donc de bonne guerre que ces derniers épinglent, à la moindre occasion, les faillesde cette nouvelle, fragile mais néanmoins menaçante « union de la gauche ». Et qu’ils se jettent avec volupté sur les divergences idéologiques – pub tabac, avenir énergétique, bioéthique, etc. – qui divisent les troupes socialistes et écologistes. A force, tout cela fait franchement désordre…

Certes, la trêve des confiseurs imposera certainement un temps d’arrêt à la cacophonie actuelle. Mais dès le début du mois de janvier, celle-ci pourrait reprendre de plus belle: les dossiers potentiellement « sensibles » – la commission d’enquête parlementaire sur la Sabena, l’avenir de la SNCB, la recherche de l’oiseau rare censé présider aux destinées de Belgacom, la grogne du secteur des soins de santé- sont aussi nombreux qu’imprévisibles. Il en est un unanimement redouté: le contrôle budgétaire. L’exercice devra être réalisé au printemps prochain, à une petite encablure des électionset dans un contexte de morosité économique. De quoi provoquer de solides crispations…

2. Elections anticipées: les pour et les contre

Apparemment, l’hypothèse d’avancer la date du scrutin n’emballe personne. Certainement pas Guy Verhofstadt qui ne jure que par le 15 juin: un changement de cap sur ce sujet serait un mauvais coup porté à sa crédibilité. Le MR, lui, aimerait que les contribuables aient le temps de s’extasier sur les premiers effets de la réforme fiscale avant de procéder à leur devoir électoral. Le PS, pour sa part, aimerait faire oublier Francorchamps, qui risque de lui coûter une part de son électorat en terres liégeoises, où certains militants ne lui pardonneront pas ses « convergences » avec les Verts, désignés comme les fossoyeurs du Grand Prix. Pour les mêmes raisons, Ecolo gêné aux entournures aimerait laisser au temps l’occasion de panser certaines blessures. Ou certaines bourdes comme le choix « républicain » des militants.

Du côté flamand, on n’est guère plus emballé à l’idée d’appeler l’électeur aux urnes plus tôt que prévu: le SP.A (socialiste) aimerait bénéficier du délai suffisant pour convaincre du bien-fondé de son alliance avec Spirit, les héritiers de l’aile progressiste de la défunte Volksunie. Il aimerait, aussi, renforcer ses relations avec Agalev (écologiste), dont la cote semble remonter au nord du pays. Le VLD, lui, veut se donner le temps de parfaire son profil de « grand » parti populaire, susceptible de tailler les croupières à son principal rival, le CD&V (l’ex-CVP), avec lequel il rêve de creuser l’écart à son avantage. Les sociaux-chrétiens, enfin, ne sont pas parvenus à se refaire une santé dans l’opposition: leur parti est en proie à une crise de génération sans précédent. Il faut donc se rendre à l’évidence: le Vlaams Blok est probablement le seul parti qui pourrait tirer parti d’élections anticipées. Il entend profiter au maximum des récents événements anversois et des crispations « nationalistes » liées à la détérioration du climat international.

Cela dit, si les raisons d’en découdre continuaient à se bousculer avec autant d’acharnement tout au long des sept mois qui les séparent du scrutin, les partenairesen bisbrouille pourraient difficilement demander à l’électeur de donner une nouvelle chance à la formule arc-en-ciel en juin prochain. Il y aurait un côté indécent à la chose, dont l’opposition, et, parmi elle, l’extrême droite pourraient se gausser. On échafaude donc un autre scénario – une dissolution anticipée des Chambres, pour une « bonne » raison -, au cas où. Mais quand, dès lors, appeler les électeurs aux urnes? En mars? Cela permettrait d’aborder l’épreuve du contrôle budgétaire dans un état d’esprit plus serein, en tout début de nouvelle législature, dégagé des crispations générées par la proximité d’une échéance à hauts risques. Mais, dans ce cas, les parlementaires risquent l’épuisement, tant le travail à terminer avant la fin de la législature est important. Ainsi, les plus raisonnables estiment que, si élections devaient être anticipées, elles ne pourraient se dérouler qu’après les vacances de Pâques, à la fin du mois d’avril. Soit un mois et demi avant l’échéance initialement prévue. Le jeu en vaut-il la chandelle? Les responsables politiques répondent unanimement par la négative. Il n’échappe à personne, non plus, que le parti qui prendrait la responsabilité de provoquer le dérapage prématuré de la majorité risque fort – cela s’est souvent démontré dans le passé – d’en faire les frais électoraux. Mais, en politique, il faut aussi compter avec l’irrationnel…

Isabelle Philippon

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire