Mathilde Renault, un larynx à fleur de peau. © philippe cornet

Volcan calme

La Belge Mathilde Renault propose Lucky Number, unalbum piano-voix qui place le dépouillement au premier rang d’émotions forcément charnelles. A savourer en concert.

 » Je ne sais pas où est rangé le café !  » Mathilde, trentenaire fébrile, nous accueille dans une belle maison de maître schaerbeekoise qui n’est pas la sienne.  » Je dois quitter mon appartement, en passe d’être insalubre, mais ce n’est pas facile de trouver un logement où installer mon piano à queue à Bruxelles.  » Le temps de choisir le thé vert, elle s’est mise à jouer sur celui de ses hôtes qui trône dans ce décor mozartien bobo. Pour la photo, elle chante ses passions d’une voix grave joliment griffée. Mathilde est électrique – justement le propos de son disque Lucky Number, collection de moments amniotiques où la pulsion du coeur rejoint celle des reins, l’organe purificateur.  » Ces dernières années, j’ai tendance à être stressée, speedée, et là, j’ai eu vraiment envie de poser ma musique. Cet album est d’abord une invitation à la méditation dans un monde formaté, un monde de zapping. Il invite à se poser, à l’écouter couché ou en voyageant, et (elle hésite) des amis m’ont confié qu’ils avaient fait l’amour en l’écoutant.  »

La BO de mon enfance était d’abord la musique jouée par mes parents

Pour réaliser cette brassée de morceaux écumés de toute frénésie apparente, la jeune femme est partie chez ses parents, résidents d’Exbomont, hameau d’une vingtaine de maisons des Ardennes liégeoises. En plus du logement principal, s’y trouve un studio-bibliothèque. Son album a donc été écrit dans ce cul-de-sac villageois, face aux saisons sifflant sur la campagne et les bois en bord d’horizon.  » On peut y rester des semaines et des semaines, entre le potager et le piano, profitant des trois hectares de terrain attachés à la magnifique maison de mes parents. Elle a été achetée à une autre époque dans ce village dont les rues n’ont même pas de nom et qui, pendant longtemps, a essentiellement été peuplé de fermiers. Sans forcément le vouloir, ma famille y a toujours été un peu perçue comme marginale.  »

Mathilde et sa petite soeur poussent en graines libres dans ce rural bucolique, en vase musical. La mère, Véronique Gillet, professeur de guitare classique, partage aussi les gammes latinos avec des Vénézuéliens. Le père, Jean-Christophe Renault, pianiste et compositeur, d’ailleurs intervenu dans le processus de création de l’album, donne à ses propres compositions au piano une identité  » entre Satie, Keith Jarrett et Robinson Crusoé  » – ce dernier pour le caractère volontiers insulaire d’un papa qui bannit la télé et écoute sporadiquement la radio.  » La BO de mon enfance était d’abord la musique jouée par mes parents et puis aussi Brel, les disques latinos, africains et indiens, Sting, Peter Gabriel. Pas les tubes.  »

Etape cinématographique

Le prénom Mathilde tient peut-être de la fameuse chanson brelienne, à moins que ce ne soit un hommage au Waltzing Matilda de Tom Waits, très présent sur la platine des Renault. Sur la route de l’adolescence de la fille aînée se glissent aussi Radiohead et Björk, deux impressions aujourd’hui en filigrane de Lucky Number, comme les parfums d’un espace élastique pratiqué par les premiers, et les gymnopédies telluriques de la seconde. Lucky Number ou Mathilde au pays des volcans calmes.

Lucky Number (7) est distribué par Cod&s. En concert le 24 janvier au Botanique, le 26 au Café du Parc à Liège et le 9 février au CC d'Andenne.
Lucky Number (7) est distribué par Cod&s. En concert le 24 janvier au Botanique, le 26 au Café du Parc à Liège et le 9 février au CC d’Andenne.

Pas facile pour quelqu’un en mouvement constant. Gamine, Mathilde s’adonne à la peinture, surtout celle de paysages :  » J’ai toujours eu besoin d’être créative mais je pouvais aussi devenir totalement contemplative, caler devant un ciel ou un arbre. Quand j’avais 12 ans, j’ai même vendu quelques toiles.  » Ensuite, l’image devient argentique via quelques cours de développement photo avec des amis de ses parents. De quoi pouvoir gérer  » un noir et blanc tragique et des gros plans abstraits. Perpétuellement dans une recherche formelle de beauté : j’approchais parfois une vinaigrette et y cherchais des choses qui me plaisaient en macro. J’ai fait une expo de mes photos couleur à Bruxelles et Liège, ce qui m’a guidé vers le cinéma.  »

L’étape cinématographique s’inscrit dans l’éducation familiale, faite aux films d’auteur, souvent découverts aux Grignoux liégeois, où David Lynch côtoie les  » vieux italiens et les productions nordiques « . A 17 ans à peine, Mathilde entre à l’Insas – sur concours – munie d’un limpide cahier de charges : satisfaire le rêve adolescent de devenir cadreuse, directrice photo et compositrice de films. On lui fait comprendre que la trilogie est excessive et très vite, l’étudiante passe plus de temps dans la salle de piano et avec les élèves en son, qu’à la caméra.  » J’ai réussi la première année avec distinction mais j’ai calé en seconde à cause des cours techniques.  » Rebond vers la musique et, après une année intense en académie, entrée au conservatoire flamand de Bruxelles où elle mouline notamment du John Coltrane,  » travaillant comme une folle sous la direction de Diederik Wissels « . Là aussi, la fille de l’air quitte le navire avant l’arrivée au port : trois ans de conservatoire – sur cinq – lui suffisent.

L’ours blanc des Ardennes

La vie de Mathilde est un voyage dont l’ADN impulsif improvise l’instant. Sa discographie le montre, où l’on compte un album réalisé à 20 ans avec la violoniste américaine Caroline Shaw, un autre dans la foulée avec le saxophoniste danois Jonas Knutsson, un troisième, pop et chanté, en 2011, et puis, désormais, le nouveau, Lucky Number. Les sensations s’y posent en neuf chansons qui peuvent rappeler les quiétudes d’Agnes Obel et les filiations d’Erik Satie. Toujours via ce larynx à fleur de peau.  » En utilisant le studio de mon père, je n’avais pas décidé de but en blanc de réaliser un album avec lui, l’ours blanc des Ardennes (sourire), mais peu à peu, sur une année et demie, la collaboration s’est mise en place, comme un puzzle. Et finalement, on ne sait plus vraiment qui a fait quoi.  »

En l’occurrence, Jean-Christophe Renault signe pour sa fille trois musiques et cinq textes.  » Mes paroles tendent vers le rêve et la mélancolie. Les siennes sont comme des haïkus, des maximes philosophiques. La nudité du disque laisse aussi plus d’improvisation dans le timing, davantage d’espace aux émotions. En solo, c’est plus facile d’être une antenne, de capter les choses. La chanson qui me correspond le plus est A Last Crazy Tango, dédiée à ma grand-mère maternelle, morte il y a un an et demi. Une chanson où l’on boit aux bons et aux mauvais côtés de la vie.  »

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