Gwendoline Gauthier a fait le voyage à Cardiff pour s'imprégner des endroits décrits dans la pièce. © GETTY IMAGES

Voix d’en bas

Entourée par trois musiciens, la jeune comédienne Gwendoline Gauthier porte Iphigénie à Splott de Gary Owen, au Poche. Un monologue social et sentimental, trash et génial, qu’elle défend ardemment.

« Vous me connaissez tous / Quand je m’affiche dans la rue vous baissez cash les yeux / Me regarder en face vous y arrivez pas / Mais dès que je suis passée direct vous relevez la tête / Pour mater ce cul ferme mais juteux / Et c’est vrai alors la ramenez pas. » Celle qui parle, s’adressant sans fard au public, c’est Effie, jeune femme qui a grandi à Splott, un quartier déshérité de la capitale du pays de Galles, Cardiff. Effie est l’héroïne d’ Iphigénie à Splott, un monologue de Gary Owen (2015), croisement étonnant entre une tragédie grecque et un film de Ken Loach, monté au Poche dans une mise en scène de Georges Lini (1).

Le personnage d’Effie m’a beaucoup attirée parce qu’il est à la fois très loin de moi et très proche.

Ce personnage intense, c’est Gwendoline Gauthier qui l’endosse. Seule à parler donc, mais en dialogue avec trois musiciens – Pierre Constant, Julien Lemonnier et François Sauveur – qui l’accompagnent sur scène. Un sacré défi pour cette comédienne originaire du Périgord, montée à Paris à l’âge de 16 ans et formée au théâtre à l’Esact à Liège. Déjà repérée dans des spectacles de Philippe Sireuil ( Des mondes meilleurs, en 2016), qu’elle retrouve cette saison dans Mademoiselle Agnès (2), de Christophe Sermet ( Les Enfants du soleil, en 2017, qui lui vaut une nomination aux prix Maeterlinck de la critique comme espoir féminin), ou d’Axel Cornil ( Ravachol, en 2019), Gwendoline Gauthier a eu un « coup de foudre » pour le texte de Gary Owen et pour ce personnage de jeune fille paumée, limite alcoolique mais déterminée, qui concentre sur ses épaules les sacrifices que les logiques capitalistes imposent aux classes sociales au bas de l’échelle, notamment en matière de soins de santé. « Je crois que le personnage d’Effie m’a beaucoup attirée parce qu’il est à la fois très loin de moi et très proche, explique la comédienne. Eloigné dans son rapport au monde, dans le fait qu’elle est assez violente, qu’elle n’a pas peur du conflit. Et proche parce que je suis moi aussi issue d’un milieu très populaire. Ma mère m’a élevée en tant que femme seule et je sais à quel point, en tant que femme seule, on se prend la pauvreté beaucoup plus violemment dans la gueule. »

Guerrière

Des personnages de femmes qui ne soient pas des faire-valoir, dans le répertoire, il n’y en a pas beaucoup – les comédiennes en savent quelque chose. Qu’elles portent un monologue est encore plus rare, mais qu’elles viennent en prime des classes populaires, c’est carrément une exception. Le récit d’Effie est précieux pour cette raison, et Gwendoline Gauthier en est bien consciente. « ça me plaît qu’on voie enfin des gens comme ça au théâtre. Mais ce que j’adore, c’est qu’Effie est drôle. Elle ne s’apitoie jamais sur son sort, c’est une guerrière. Elle est victime, mais elle ne se victimise jamais. » Une voix singulière que la comédienne rapproche de la vague littéraire récente d’auteurs transfuges de classe. « Comme Didier Eribon et Edouard Louis. Mais ce sont quand même des hommes, des hommes blancs. Je suis en train de lire Basse naissance, l’autobiographie de Kerry Hudson, une Ecossaise qui a vécu avec sa mère seule, qui a été placée… Par une espèce de miracle, elle a réussi à s’en sortir. Mais quand on a fait des études et qu’on écrit, on n’a plus la même façon de parler d’où on vient, il y a une distance. »

Voix d'en bas
© VERONIQUE VERCHEVAL

Dans Iphigénie à Splott, Gary Owen colle bien à la réalité. Pour s’en convaincre, Gwendoline Gauthier a fait le voyage à Cardiff. « Je suis partie deux semaines et j’ai dormi à Splott, dans ce quartier. J’y ai retrouvé les endroits décrits dans la pièce. Par exemple la balade à travers les déchetteries, les usines à moitié désaffectées, les voies ferrées abandonnées, et puis cette plage… Mais ce qui m’a beaucoup surprise, c’est qu’il y avait très peu de filles. Je pense qu’elles deviennent très vite maman et qu’elles restent à la maison. Quand j’en croisais, elles étaient avec des poussettes. »

Pour les Cardiffoises comme pour les actrices, le virage de la maternité reste délicat à négocier pour éviter de disparaître du paysage. Mais les choses changent. Et de plus en plus de comédiennes, face au manque de rôles proposés, se muent en porteuses de projets. C’est le cas aussi de Gwendoline Gauthier. En 2021-2022, elle monte avec Julien Rombaux (qui l’avait mise en scène dans Love and Money, en 2018) Qui a tué mon père, adapté du roman d’Edouard Louis (3). Et, au sein de Une Tribu Collectif, elle a écrit, mis en scène et jouera Au pied des montagnes, un spectacle de théâtre d’ombres (nouvelle corde à son arc) pour tous à partir de 8 ans (4). Fameuse saison!

(1) Iphigénie à Splott,du 14 septembre au 2 octobre au Théâtre de Poche à Bruxelles.

(2) Mademoiselle Agnès, du 30 novembre au 17 décembre au Théâtre des Martyrs à Bruxelles.

(3) Qui a tué mon père, les 11 et 12 janvier à la Maison de la culture de Tournai, du 2 au 4 février à l’Ancre à Charleroi, les 8 et 9 février au Théâtre Le Manège à Mons, du 15 au 26 février au Théâtre de la Vie à Bruxelles.

(4) Au pied des montagnes, du 9 au 15 mai à La Balsamine à Bruxelles.

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