Vive la liberté !

Guy Gilsoul Journaliste

En 1958, il fallait être moderne, manger au self-service, acheter un aspirateur et se meubler en style haricot. Et la grande manifestation sur l’art moderne à l’Expo révélait l’air du temps. Une expo-document rappelle l’événement.

On n’y comprend rien « ,  » Même un enfant peut faire cela  » : en 1958, la cause de l’art moderne n’est pas gagnée. Alors, poussé par l’extraordinaire optimisme du projet de l’Expo, un groupe de passionnés et quelques personnalités, comme Emile Langui et encore Robert Giron, du palais des Beaux-Arts, vont obtenir l’immense espace du pavillon II (800 mètres de cimaises) afin d’y organiser la plus grande exposition jamais organisée sur les arts du xxe siècle. L’équipe belge s’entoure de 25 commissaires spécialistes incontournables du Japon, du Mexique, des Etats-Unis, d’URSS, de Turquie, d’Egypte… (la Chine et l’Allemagne de l’Est ont été écartées). Après bien des échanges, des rencontres, des éclats de voix et des compromis, l’exposition, intitulée 50 ans d’art moderne, ouvre ses portes aux côtés d’autres, organisées par les pavillons nationaux. Elle sera visitée quotidiennement par 3 000 visiteurs : un record.

Le parcours est chronologique et international, et la logique de l’arborescence clarifie le propos. Tout commence par les précurseurs de la fin du xixe siècle : de Monet à Ensor, en passant par Seurat, Van Gogh, Gauguin, Redon, Munch et, surtout, Cézanne. On y décline ensuite tous les grands mouvements depuis le fauvisme, le cubisme ou l’art naïf, jusqu’aux tout derniers développements matiéristes et informels. Les grandes figures de Giacometti avoisinent l’expressionnisme de Francis Bacon, la gestualité américaine tient une place d’honneur aux côtés des calligraphies japonaises ou… du réalisme socialiste. Certes, la guerre froide est au menu du jour mais, ici, on veut dépasser ces barrières. Les bons rapports avec les autorités de Moscou permettent ainsi aux visiteurs de découvrir l’une ou l’autre pièce de Picasso ou de Matisse, sorties exceptionnellement des réserves muséales où le régime stalinien les maintient à l’ombre.

L’exposition vise deux objectifs. D’abord, incarner l’esprit de réconciliation. On rêve d’universa- lisme et de  » rapprochement des peuples « . Et la défense de l’art moderne veut aussi gommer la plus grande des insultes jamais orchestrée contre les valeurs de la création : l’organisation, par le régime nazi, en 1937, du train de  » l’art dégénéré « , dans lequel se retrouvaient les £uvres d’un grand nombre d’artistes qui seront choisis en 1958. Ensuite, on veut s’inscrire davantage dans l’ère naissante de la démocratisation des loisirs. A l’heure des grandes audaces technologiques largement popularisées, les recherches artistiques restent en effet un domaine encore trop réservé. En cause, le mot d’ordre de tous les modernes : être créatif. Et donc, libre. La beauté, le savoir-faire, la tradition, tout cela vole en éclats au nom de la liberté. D’où la multiplication des chemins empruntés, la difficulté de critères objectifs communs et donc, l’incompréhension progressive que l’exposition veut combattre au nom, justement, de la liberté individuelle. Une vingtaine d’£uvres (on reste sur sa faim) présentées en 1958 et acquises depuis par les musées royaux des Beaux-Arts ainsi qu’une série de documents (lettres, photos et films d’époque) nous font revivre cet événement majeur auquel cependant, deux reproches au moins seront adressés. Le premier est une habitude locale : la sous-représentation des artistes belges. Le second est plus gênant. Il pointe un parti pris : ignorer les avant-gardes naissantes (de l’internationale situationniste au happening, en passant par Yves Klein et Manzoni) qui, justement, s’opposaient, à ces années d’art moderne.

Expo 58, aux Musées royaux des beaux-arts, 3, rue de la Régence, à Bruxelles. Jusqu’au 21 septembre. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 à 17 heures. www.fine-arts-museum.be.

Guy Gilsoul

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