Villepin, sabre au clair

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Stratège inspiré pour les uns, dangereux exalté pour les autres, Dominique de Villepin est aux avant-postes dans la crise irakienne. Portrait d’un diplomate qui fait frissonner la France

Austerlitz ou Waterloo ? Aux côtés de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, le ministre français des Affaires étrangères, joue dans l’affaire irakienne l’une des parties les plus serrées que Paris ait disputées depuis longtemps. En cas d’échec, l’influence de la France risque d’être durablement émoussée. Et l’image du flamboyant ministre, souvent comparé, à l’étranger, à un maréchal d’Empire – Chirac héritant du chapeau de Napoléon -, singulièrement ternie. Pour l’heure, l’Hexagone mesure ses forces au Conseil de sécurité, où il n’a pas perdu l’espoir de sauvegarder la voie des inspections dans le désarmement de l’Irak. D’autant que rien ne tourne comme l’espérait George W. Bush. L’accélération de la coopération de Bagdad, qui a commencé à détruire ses missiles Al-Samoud, et la décision de la Turquie de fermer ses portes aux soldats américains compliquent la tâche de Washington. Du coup, le hussard Villepin revient à la charge, assure que les inspections  » font des progrès « , qu’il faut leur donner davantage de temps. Face à une administration américaine déterminée à ouvrir les hostilités et à débarrasser la planète d’un régime qu’elle juge dangereux pour la sécurité mondiale, le ministre français rappelle aussi que la résolution 1441 de l’ONU n’a pas pour finalité le départ de Saddam Hussein.

L’homme qui tient ainsi, contre vents et marées, le cap de la paix est un diplomate atypique, qui irrite certains autant qu’il fascine les autres, quand ce ne sont pas les mêmes. Son côté  » Quand on veut, on peut « ,  » Il n’y a pas de fatalité « ,  » C’est dans l’initiative qu’on a le plus de chance de réussir  » séduit ou déconcerte les habitués des doctrines et des méthodes plus classiques. Surnommé, de longue date,  » le Volcanique « , Dominique Galouzeau de Villepin, 49 ans, court d’une crise à l’autre, tente une réconciliation, mobilise ses alliés… On l’a vu, en quelques jours, plaider la cause du désarmement pacifique de l’Irak à la tribune de l’ONU, s’envoler vers la Colombie afin de marquer son souci pour le sort d’Ingrid Betancourt ou encore haranguer des manifestants ivoiriens hostiles à la politique française, accusée de faire le jeu des rebelles. Cette atmosphère de crise permanente épuise ses collaborateurs, priés de rester sur le pont sept jours sur sept. Mais Villepin, lui, affiche toujours une bonne mine insolente. Et se donne encore le temps, entre deux avions, de parler poésie avec ses amis écrivains.

Le patron du Quai d’Orsay aime répéter qu' » il y a un temps pour l’audace et un temps pour la patience « , mais qu' » il faut toujours prendre le risque de la paix « . Une phrase que ne renierait pas son homologue belge, Louis Michel, lui aussi adepte de la  » politique de l’action  » et du déplacement géographique. Côte à côte, ces deux ministres opposés à la  » logique de guerre  » font irrésistiblement penser à Don Quichotte et Sancho Pança. Avec, bien entendu, le Français dans le rôle de l’hidalgo à la longue silhouette et à l’imagination chimérique. Physique avantageux, les yeux bleus perçant sous le hâle, Villepin irradie du haut de son double mètre. Son éloquence impressionne et son style inspiré décoiffe. Au point que nombre de ses pairs le considèrent comme un doux illuminé, voire comme un dangereux exalté. En juin 2001, il reçoit pour Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice  » (Perrin), ouvrage consacré aux derniers feux du règne de Napoléon Ier, le prix des Ambassadeurs, qu’il accueille par une longue harangue sur l’ordre du monde. C’est l’une des premières fois qu’il s’exprime en public à titre personnel.  » Je me suis demandé, à l’écouter, s’il avait toute sa raison « , glisse une personnalité culturelle de droite.

La politique de l’action

Ayant passé son enfance entre Rabat – où il est né -, Casablanca et New York, au gré des déplacements professionnels de son père (Xavier de Villepin, sénateur des Français établis à l’étranger), Villepin l’aristocrate a une façon inimitable de parler de cette France dont il a  » rêvé avant de la connaître « . En poste à Washington puis à New Delhi (1984- 1992), formé à l’école de l’ex-ministre des Affaires étrangères Alain Juppé (1993-1995), très redouté secrétaire général de l’Elysée (1995-2002), il est un collaborateur dévoué du chef de l’Etat, une sorte de mentor qui rassure Chirac et l’encourage dans son grand dessein : redonner, sur la scène internationale, sa place à la France, pays qui, dans la tradition gaullienne, ne plie ni ne rompt devant plus puissant que lui.  » Pendant trop longtemps, on s’est mis en pilotage automatique avec le risque de subir l’Histoire, explique le ministre. Dans un monde en grand trouble, c’est dangereux.  » Et, de fait, sur les fronts planétaires, Villepin incarne jusqu’à la caricature les splendeurs et les misères de la théorie du mouvement. Il faut bouger, faire bouger et le faire savoir.

Une telle personnalité s’expose à toutes les humeurs inquiètes ou critiques. Un revers dans la crise ivoirienne, des fractures, en Europe et à l’Otan, entre pays alignés sur les Etats-Unis et c£ur de l’Union, des menaces de rétorsions économiques américaines et c’est Villepin, d’abord, qu’on incrimine. L’audacieux devient un irresponsable, auquel on n’aurait pas dû confier les intérêts de la France. On épingle son habitude d’agir en solo, sans faire de cas de ses ministres délégués (l’un d’eux, Renaud Muselier, a défini son rôle d’une manière significative :  » Il fait tout, je fais le reste « ). On dénonce le manque de tact d’un prince de la suffisance qui jamais ne s’excuse et préfère l’insulte à la langue de bois. On insinue que le grand stratège est surtout le spécialiste des man£uvres hasardeuses, lui qui fut l’artisan de la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, coup de poker qui tourna à la déroute de la droite. Et on laisse entendre qu’en diplomatie le silence, la retenue, l’inertie apparente portent plus de fruits que l’activisme.

Le ministre a-t-il réalisé pour autant que la politique ne peut pas être un interminable pont d’Arcole ? Pas sûr. Mises en garde et attaques contre sa personne se sont faites plus feutrées depuis son brillant discours du 14 février aux Nations unies. Le plaidoyer de Villepin contre l’usage de la force dans l’affaire irakienne –  » La France debout face à l’Histoire et devant les hommes.  » – a été applaudi de l’enceinte du Conseil de sécurité jusque dans les rues de Paris où l’on manifestait contre la guerre, gauche et droite réunies. Un succès impressionnant. Déjà, ses partisans voient le ministre des Affaires étrangères à Matignon. Le suffrage universel, jure-t-il, ne le tente absolument pas. Il ne s’y est d’ailleurs jamais frotté. Pourtant, ceux qui l’ont connu jeune  » ambitieux échevelé  » affirment que  » Dominique songe depuis longtemps déjà à l’Elysée « . S’il descend un jour dans l’arène, ce ne sera pas à moitié.  » Quand on fait les choses avec conviction, on les fait mieux « , martèle ce battant qui veut emporter l’adhésion. Les Français sont prévenus : ils sont priés de se rallier à son panache tricolore, et de panache, il n’en manque point.

Olivier Rogeau

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