» Versailles est mon ouvre « 

Si Louis XIV nous était conté… et répondait au Vif/L’Express. Sur ses goûts, ses artistes,

son château, ainsi aurait pu s’exprimer celui qui régna aussi sur les arts et les lettres.

Propos recueillis par Laurence Liban

Attendue à Versailles pour 11 heures, nous fûmes conduite dans une chambre où le roi entra, semblable au buste du Bernin. Sa stature, son regard, bref, toute la sévérité de sa personne suscitèrent en nous une timidité affreuse qui nous rendit muette et tremblante. Comment les choses se passèrent ensuite ? Nous ne pourrions le dire. Seules ces lignes témoignent que nous n’avons pas rêvé.

Sire, en cette année 1689, où vous venez de faire de Michel Richard Delalande le successeur de Lully, pouvez-vous nous dire quel a été votre premier contact avec la musique ?

Mon père, le roi Louis XIII, avait une passion pour la musique. Il jouait du luth, composait et dirigeait un petit ch£ur de chanteurs. Moi-même, j’ai appris le luth dès l’âge de 9 ans, mais mes goûts me portaient vers la guitare. Enfant, j’aimais fort les airs de Scaramouche et la commedia dell’arte. Mon maître de musique tenta de m’en détourner, car on ne jugeait pas cet instrument populaire digne d’un roi. Mais je l’ai mis à la mode à la cour et, aujourd’hui encore, je loge près de moi mon cher Robert de Visée, qui m’en joue la nuit, quand je ne peux pas dormir.

C’est donc d’Italie que vous sont venues vos premières émotions artistiques ?

Mazarin a bien veillé à mon éducation. Je devais avoir 7 ans lorsque j’ai assisté à ma première représentation théâtrale. Il s’agissait d’un petit opéra italien nommé La finta pazza. Il racontait un épisode de l’histoire d’Achille. Pour me distraire, on avait intercalé entre les actes des intermèdes dansés. J’ai toujours goûté que la danse, la musique et le théâtre travaillent ensemble.

En mars 1661, à peine le cardinal Mazarin inhumé, votre premier acte de gouvernement fut de créer l’Académie royale de danse. Pourquoi cette préoccupation d’apparence frivole, alors que vous venez de prendre le pouvoir ?

Quelle frivolité ? Voilà des siècles que la danse est le divertissement favori des Français. Tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là, nous tenons leur esprit et leur c£ur, quelquefois plus fortement peut-être que par les récompenses et les bienfaits. Et n’oubliez pas que, par l’art de la danse, la gloire de la France s’est répandue partout en Europe. Il est même possible que, grâce au système de notation que j’ai commandé aux académiciens, les siècles futurs pourront reproduire les pas des danseurs d’aujourd’hui ! Exactement comme on le fera de la musique de Lully.

Lully, c’est encore l’Italie. A 15 ans, en 1653, vous le nommez compositeur de la musique de la Chambre. Qu’est-ce qui vous plaisait tant chez lui ?

C’était un jeune homme de 21 ans quand j’en avais 15. Il était pétillant, vif, plein de drôlerie, et pourvu d’un gros nez qui le rendait sympathique. Il jouait du violon à merveille, il inventait des airs charmants, me montrait de nouveaux pas de danse. J’en ai raffolé tout de suite. Nous sommes devenus de véritables amis.

Est-ce au nom de cette amitié que vous lui avez conféré le monopole de tout le théâtre en musique, et avez ainsi abandonné Molière ?

Il l’a réclamé avec tant de force et d’importunité que, craignant que de dépit il ne quittât tout, j’ai dit à Colbert de lui accorder ce qu’il demandait. Je n’aurais pu me passer de cet homme-là. C’est lui qui, en 1673, a donné à la France son premier opéra, Cadmus et Hermione. Molière, en revanche, que j’aimais tant et que j’ai tant soutenu contre les dévots, n’a pas compris ce que je voulais et il a écrit Les Fourberies de Scapin. Mais Lully et Molière ont travaillé ensemble à de merveilleuses comédies-ballets, comme Le Mariage forcé où j’ai joué un bohémien, ou Le Bourgeois Gentilhomme. Savez-vous que c’est moi qui en ai commandé le sujet ? Un faux ambassadeur des Turcs s’était présenté à Versailles et nous l’avions reçu comme son rang l’exigeait. Je voulais tirer de cette supercherie de quoi divertir la cour.

Justement, ces divertissements, comme le carrousel et tant d’autres, n’ont-ils pas coûté un peu cher au royaume ?

Les plaisirs honnêtes ne nous ont pas été donnés sans raison par la nature ; ils délassent du travail, servent à la santé, polissent l’esprit et ôtent à la vertu je ne sais quelle trempe trop aigre. Ces divertissements publics ne sont pas tant les nôtres que ceux de notre cour et de tous nos peuples.

Mécène, commanditaire d’£uvres d’art, vous êtes très proche des artistes. Sur quel mode vos relations avec eux se sont-elles établies ?

J’aime à voir les choses en train de se faire. Le mois dernier, par exemple, j’ai passé des après-midi entiers à regarder les petites filles de Mme de Maintenon répéter Esther, le sublime ouvrage de mon cher Racine. Et combien de fois suis-je allé dans l’atelier de Le Brun, lorsque nous demeurions à Fontainebleau, pour le regarder peindre sa suite consacrée à Alexandre et lui faire mes remarques ! Il suffit de peu pour m’intéresser. Un simple croquis griffonné à la va-vite et qui m’éclaira comme il faut m’a déterminé à engager le jeune Hardouin-Mansart, qui n’était encore qu’apprenti. Et Versailles ! Les méchantes langues disent que je fais de l’architecture avec ma canne, mais ils conviendront que Versailles est mon £uvre, une £uvre réalisée avec les hommes de l’art que j’ai fréquentés toute ma vie, qui ont compris mon dessein au fur et à mesure qu’il m’apparaissait. Ces messieurs peuvent juger de mon estime, puisque je leur ai confié la chose du monde qui m’est la plus précieuse : ma gloire.

Propos recueillis par Laurence Liban

Sources : Mémoires de Louis XIV. Le métier de roi, par Louis XIV, présentés et annotés par Jean Longnon (Tallandier). Louis XIV artiste, par Philippe Beaussant (Payot). Une histoire de la musique, par Lucien Rebatet (Robert Laffont).

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