Une souris bleue

 » A la recherche du temps perdu  » : ainsi aurait pu s’intituler le dernier conclave gouvernemental consacré à la police et à la justice

Comme les deux précédents super-Conseils des ministres, ce fut une belle exhibition, rondement menée. Les principales vedettes, Laurette Onkelinx et Patrick Dewael, ont démontré leur talent de duettistes. Les ministres de la Justice (PS) et de l’Intérieur (VLD) se sont entendus sur une avalanche de mesures et de  » mesurettes « , dont la plus spectaculaire est certainement la présence en rue de 3 232 policiers supplémentaires d’ici à 2007. La police de proximité devrait en sortir renforcée, pourvu que les subtiles opérations de vases communicants, imaginées par le gouvernement, fonctionnent correctement.

En réalité, le  » sommet  » du Lambermont n’a accouché que d’une souris. Sauf rares exceptions, l’équipe de Guy Verhofstadt confirme en fait ce qu’on trouve dans l’accord gouvernemental conclu l’été dernier, avec un changement perceptible des priorités au niveau de la politique criminelle. Terminée la fixation obsessionnelle sur la petite délinquance, dont le précédent ministre de la Justice Marc Verwilghen (VLD) était un virtuose. La criminalité organisée et la délinquance en col blanc semblent désormais autant, si pas davantage, préoccuper la coalition violette. Mais, pour cela, il faut des moyens d’enquête, dont la note-cadre du 31 mars ne souffle mot. Combien de temps encore les juges d’instruction continueront-ils à pleurer pour trouver des policiers capables d’effectuer leurs devoirs d’enquête ?

On a aussi la désagréable impression que, derrière un semblant de nouvelles réformes, le gouvernement rattrape le temps perdu sous la précédente législature. Il va enfin moderniser la législation sur la protection de la jeunesse ! Enfin renforcer les équipes de la police technique et scientifique ! Enfin tenter d’endiguer structurellement la surpopulation carcérale, notamment en prenant des mesures pour restreindre la détention préventive (qui concerne près de 40 % des privations de liberté) ! Du moins s’il tient réellement ses promesses… En outre, le tribunal d’application des peines, cette arlésienne vieille de plus de dix ans, semble enfin sur les rails ! Bien qu’en préservant les prérogatives du pouvoir exécutif sur les congés pénitentiaires et les permissions de sortie (libérations provisoires), Laurette Onkelinx vide d’emblée la future institution de sa substance.

En effet, l’idée originale était de confier au tribunal d’application des peines un pouvoir de décision sur les libérations provisoires et les libérations conditionnelles, ces dernières n’étant généralement accordées que lorsqu’un détenu a déjà bénéficié de plusieurs permissions de sortie. La Ligue des droits de l’homme observe très justement qu’en continuant à décider des libérations provisoires, l’administration pénitentiaire garde, d’une certaine manière, une mainmise sur les libérations conditionnelles.

De plus en plus sollicité

Par ailleurs, ces nouveaux tribunaux se voient déjà corsetés par la décision du gouvernement de ne plus accorder de libération conditionnelle aux récidivistes condamnés pour crime de sang qu’à partir des trois quarts de leur peine. Si cette mesure – une évidente concession des socialistes aux libéraux – ne concerne qu’une poignée de détenus, dont le sort n’émeut sans doute pas grand monde, elle risque, en revanche, d’avoir des répercussions en chaîne, en matière de libération conditionnelle, sur les autres condamnés. C’est, en outre, un camouflet pour les membres de la commission Holsters, qui, pendant trois ans, se sont penchés sur le statut juridique externe des détenus. Le rapport de la commission, qui préconise de supprimer la distinction entre délinquants primaires et récidivistes et de prévoir que tout condamné puisse être libéré au tiers de sa peine, n’a même pas encore été discuté par le Parlement.

Bref, on tourne en rond. Mais cela n’a rien d’étonnant. La justice est aujourd’hui de plus en plus sollicitée. Elle est devenue le principal vecteur de résolution des conflits vécus dans la société. Elle fait donc logiquement partie des grandes priorités dont les citoyens attendent qu’elles soient rencontrées par le pouvoir politique. Cependant, ses moyens, bien que revus à la hausse, ne représentent que 1,67 % du budget de l’Etat. Et ce ne sont pas les 23 millions d’euros supplémentaires, prévus par le super-Conseil, qui vont bouleverser la donne.

Thierry Denoël

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