Une semaine côté coulisses

De l’angoisse de la feuille blanche à la sortie de presse, sept jours dans la vie des journalistes du Vif/L’Express

Au nord-est de Bruxelles, en face de l’Otan, le numéro 50 de la rue de la Fusée affiche un écriteau plutôt discret : BMC (Brussels Media Centre). Les esprits chagrins y voient un ensemble de bureaux aseptisé dans un zoning sans âme, que  » rasent  » les avions décollant de l’aéroport tout proche. Les autres admirent un bâtiment moderne, lové dans un petit parc avec étang et lapins sauvages, voué aux arts en général et au plus noble en particulier : l’écriture.

Voici quelques années, les différents magazines du groupe Roularta ont été installés sur le même site. Les rédactions ont été réparties de part et d’autre d’un vaste hall fumoir : à droite, les francophones ( Trends-Tendances, Sport Magazine, Le Vif/L’Express, Weekend Le Vif/L’Express, etc.) ; à gauche, les publications flamandes (Trends, Knack…). Sur les murs de ce hall, une immense fresque du peintre Jan Vanriet – qui décora aussi la station de métro de Brouckère à Bruxelles et le théâtre Bourla à Anvers – porte le nom de Paradis perdu : images de chaos, tour de Babel, aigle de saint Jean l’Evangéliste symbolisant le début de la parole…

l La semaine de la rédaction commence le mercredi à midi. Au cours de ce déjeuner de travail animé par le rédacteur en chef s’ébauche la première épure du prochain numéro, tel qu’il se trouvera en librairie dix jours plus tard. Chaque journaliste annonce ce qui devrait faire l’actualité dans l’un ou l’autre des domaines dont il a la charge. On échange des idées, des propositions. On détermine de façon approximative la longueur souhaitable des articles et on s’interroge sur la meilleure manière de les illustrer. D’autres  » papiers « , proposés par la rédaction de L’Express, à Paris, viendront compléter le menu. Ils portent principalement sur l’actualité internationale, scientifique et culturelle, mais on y trouve aussi des sujets de société. C’est cependant à Bruxelles que sont sélectionnés, en toute liberté, les articles puisés dans la production française. Ils seront éventuellement  » belgifiés « , comme nous disons entre nous, pour les adapter à l’intérêt de nos lecteurs.

l Le prochain numéro est ainsi mis sur les rails alors que celui en cours n’est pas complètement achevé ! Ce sera chose faite le mercredi vers 18 heures, une fois  » bouclées  » les dernières pages envoyées par ligne informatique à l’imprimerie, située à Roulers : l’éditorial, le sommaire, les rubriques  » Mouvements « … Ainsi, précieuse souplesse, des informations du mercredi après-midi peuvent-elles encore figurer dans le numéro qui arrivera le vendredi matin dans les boîtes aux lettres et chez les libraires. Parfois, quand une actualité exceptionnelle l’impose, on dépassera l’heure de bouclage, en accord avec l’imprimerie. Ce fut le cas lors des événements du 11 septembre 2001 par exemple – un mardi – où plus de vingt pages spéciales furent réalisées en un temps record.

l Le jeudi, c’est le grand jour de la culture. Il s’agit des premières pages acheminées à l’imprimerie pour le numéro suivant. La veille ou l’avant-veille, les collaborateurs extérieurs ont remis ou envoyé leur copie. Les  » secrétaires de rédaction  » – deux journalistes responsables de toute l’intendance – se chargent notamment d’élaborer le plan du journal et de rechercher les illustrations adéquates. On consulte celles-ci sur les sites Internet des agences dont les délégués viennent aussi, chaque jour, apporter des clichés de l’actualité belge et internationale.

Lors d’un reportage, le journaliste peut aussi être accompagné d’un photographe qui réalise alors des images exclusives pour Le Vif/L’Express. Mais, parfois, il est bien plus opportun de demander à nos dessinateurs, Cécile Bertrand et Nicolas Vadot, d’illustrer un sujet. Le journal y gagnera en variété et en tempérament. Pour le reste, le jeudi est un jour relativement calme. Comme il n’y a pas de  » papier  » à boucler en urgence, les journalistes privilégient le  » terrain  » et les rencontres avec leurs informateurs. C’est le jour privilégié des rendez-vous et des reportages, pour prendre le temps de sentir la  » vraie vie « . Ou de réfléchir à des dossiers à plus long terme, sans être happé par les urgences de l’actualité.

l Le vendredi, on boucle les dossiers et articles  » magazine « , qui ne sont pas tributaires de l’actualité la plus chaude. En dehors des sujets fournis par Paris – en moyenne, une vingtaine de pages par semaine -, les articles du Vif/L’Express sont mis en page, sur Macintosh, à la rédaction. Deux graphistes assurent ce travail qui consiste, aussi, à réaliser des infographies, des cartes, des tableaux. Tout en suivant un  » lay out  » (maquette) préétabli et adapté régulièrement, ces  » maquettistes  » jouent avec la grosseur et la place du titre, du chapeau (introduction), de la photo, du  » hors-texte  » (phrase mise en exergue), des intertitres… Les articles apparaissent à l’écran, tels qu’ils se présenteront une semaine plus tard dans le journal.

l La tension monte le lundi. C’est le jour du  » tempéré  » : les dernières pages d’actualité non brûlante partent à l’imprimerie. L’après-midi, on réalise la maquette de la couverture. Parce qu’il s’agit de créer la  » vitrine  » du journal, déterminante en bonne partie dans la décision d’achat de nombreux lecteurs, cette opération-là peut parfois prendre beaucoup de temps. Il faut combiner un  » visuel  » (la photo) et un titre qui permettront à la fois d’annoncer clairement le contenu du dossier de couverture et d’accrocher rapidement le regard du lecteur. Il faut harmoniser les couleurs en fonction de l’image mais aussi de la lisibilité, équilibrer les éléments de cette couverture, privilégier l’aspect humain, résister au sensationnalisme facile. Certaines couvertures sont-elles plus  » vendeuses  » que d’autres ? Oui, mais on ne le sait pas forcément à l’avance ! Si la recette immuable du succès existait, tous les newsmagazines feraient la même chose… au risque de perdre leur personnalité. Nous savons, au Vif/L’Express, que nos lecteurs apprécient particulièrement les dossiers consacrés à l’actualité, aux grands événements culturels, aux questions de patrimoine et au bien-être, physique et mental.

l Mardi, jour du  » chaud « . A 11 heures, les jeux sont faits. Ou presque. Une heure plus tôt, le directeur de la rédaction, le rédacteur en chef, le rédacteur en chef adjoint et les secrétaires de rédaction ont tenu leur réunion quotidienne. Les dernières modifications (en principe !) sont apportées au contenu du numéro : un nouveau reportage ou article d’analyse qui s’impose, en raison de l’actualité, et qui en fait sauter un autre, une colonne ou une page supplémentaire à trouver pour les journalistes  » bavards  » dont l’article est plus long qu’annoncé… Le plateau de rédaction n’est jamais aussi animé. Derniers coups de fil pour recouper ses informations, cliquetis des claviers d’ordinateurs. L’essentiel de l’hebdo sera bouclé le soir même.

Dans leur bureau, le directeur de la rédaction, le rédacteur en chef et son adjoint sèchent qui sur un spot publicitaire pour la radio, qui sur un choix de photo, qui sur un article ou un édito à terminer, entre deux relectures. Car on relit beaucoup, au Vif/L’Express ! L’un des deux secrétaires de rédaction ouvre le feu. Objectif : vérifier que tout article, quel que soit son sujet, peut être compris par un non- spécialiste. Le réviseur (une fonction devenue rare dans la presse) s’attache ensuite à détecter les fautes de langue, de grammaire ou d’orthographe. Il repère aussi les incorrections historiques, les noms propres massacrés ou l’appellation erronée d’une organisation internationale. Un des chefs assurera la relecture finale. Quelques heures plus tard lors des mauvais jours – ah, la longue attente ! -, les journalistes introduisent eux-mêmes les corrections apportées à leur texte, vérifiant ainsi que leur pensée n’a pas été trahie. Une fois mis en page, les articles seront encore vérifiés, puis relus une dernière fois par une correctrice à l’imprimerie. Malgré cette quintuple correction, il arrive que des coquilles passent encore à travers les mailles du filet. Et même en couverture ! Ceux qui possèdent encore le numéro du 7 décembre 2001pourront le vérifier…

l Comme chaque jour, un pli est relevé, à minuit, par un coursier qui rejoindra, en voiture, l’imprimerie de Roulers. Il contient les photos, dessins et textes qui ne sont pas envoyés par ligne numérique. Au temps où l’informatique ne régnait pas en maître, cette enveloppe contenait l’essentiel du journal. Certains se souviennent avec effroi des sueurs froides éprouvées lorsque le précieux pli se perdait dans les méandres de la distribution interne.

l Mercredi, 10 heures : alors que quelques journalistes terminent des  » mouvements  » ou des papiers  » ultra-chauds « , les autres ont la tête plongée dans les journaux, comme chaque matin. Dans un peu plus de vingt-quatre heures, les premiers Vif/L’Express sortiront de presse et la rédaction aura la primeur de son travail. Le moment d’autosatisfaction ou d’autocritique douloureuse ne dure jamais très longtemps. De toute manière, le meilleur numéro est toujours le prochain.

Dorothée Klein

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